La questionnaire sécuritaire est l’un des principaux sujets du débat électoral depuis le lancement de la campagne présidentielle. Où en est la RDC avec sa situation sécuritaire, principalement à l’Est, qu’est-ce qui a été fait pour pacifier le pays et que faire pour parvenir à cette pacification véritable ; ainsi se décline l’exercice qui a attend les différents candidats, principalement Félix Tshisekedi, le sortant qui devra rendre compte de ce qu’il a fait de la sécurité nationale par rapport à ses engagements de départ.
Dans l’un de ses nombreux entretiens avec la presse, en effet, Félix Tshisekedi, qui s’exprimait à partir de Goma, avait déclaré que la persistance de l’insécurité à l’Est sera un échec de son mandat. Aujourd’hui on est bien fin mandat et la situation sécuritaire aujourd’hui est, de toute évidence, pire qu’au moment de sa prise de pouvoir en janvier 2019.
De la résurgence du M23 et la reprise de l’appui rwandais au phénomène Mobondo en passant les tueries entre teke et yaka dans le grand Bandundu jusqu’à l’Est de la ville de Kinshasa, les récents affrontements à Kisangani entre mbole et lengola (500 morts et plus de 24.000 déplacés), sans oublier l’activisme de la Codeco et des terroristes ougandais qui prospère en Ituri, autant que l’insécurité oubliée des Mbororo dans le grand nord du pays, etc. ; la question sécuritaire est bien une problématique transversale qui ne saurait passer sous silence.
Quand Félix Tshisekedi fait commerce de Kagame sur Katumbi
De tous les candidats à la présidence, c’est Félix Tshisekedi qui donne la charge sur l’enjeu sécuritaire lorsqu’il tente d’enjoliver son bilan tout en inscrivant cette question parmi les trois axes de son nouveau programme. Mais, autant que ses lieutenants, le Président sortant a plutôt embouché la trompette de diabolisation de son adversaire Moïse Katumbi.
Depuis Moanda, Félix Tshisekedi tente de dresser l’électorat contre Katumbi en disant de lui qu’il n’a jamais condamné le Rwanda et Paul Kagame comme agresseurs de la RDC. Ce passage de cette diabolisation lors de son meeting de Boma passe même en boucle sur la chaîne nationale.
Mais dans les réseaux sociaux et d’autres espaces médiatiques, l’accusation est renvoyée au visage de son auteur avec force détails sur la position connue de Katumbi et celle de Tshisekedi lorsque les Congolais le prévenaient contre la fraternité qu’il avait tissée avec son « frère » Kagame.
Le soutien historique de Tshisekedi à Kagame et les condamnations des agresseurs par Katumbi
Les internautes se délectent d’abord de ce soutien que Félix Tshisekedi avait apporté à son « frère » Paul Kagame contre l’opinion intérieure de son propre pays, et cela au cours d’un entretien de presse à Goma à l’occasion de la fête de l’indépendance de la RDC en 2021, la ville de tous les enjeux sécuritaires de l’Est. Au cours de cet entretien, en effet, le Chef de l’Etat s’en prenait à cette opinion hostile au Rwanda et à son Président. « Je ne vois pas comment, en continuant à traiter Kagame ou Yoeri Museveni d’agresseurs, de grands méchants loups ou de diables et tout ce que vous voulez, etc., je ne vois pas comment on peut chercher et obtenir justice et réparation », disait-il dans cette interview.
Quelques semaines plus tard, le M23 ressurgissait avec fulgurance pour conquérir presque tous les territoires d’où il avait été délogé en 2013 jusqu’à sa reddition. Et c’est l’armée congolaise, ainsi que le Gouvernement à travers son porte-parole, qui annoncera l’implication du Rwanda, notamment à partir de la prise de Bunagana, jusqu’à construire sa communication et sa diplomatie sur le thème de l’agression de la RDC par le Rwanda et non plus une rébellion interne.
« Pays frère » pour Tshisekedi, « pays agresseur » pour Katumbi
Voilà pour l’histoire. Aujourd’hui, cependant, la grande responsabilité est rejetée sur Moïse Katumbi par Félix Tshisekedi tout au long de sa campagne. A Boma, par exemple, il a demandé au public venu l’écouter de chasser toute personne qui viendra après lui et qui ne citera ni ne condamnera Paul Kagame. Rien que ça.
Sur la toile après cet appel, on rappelle à la tshisekedie cette position claire de Moïse Katumbi sur la question sécuritaire de l’Est et tous ceux qui en sont responsables. En effet, lors d’un passage sur France 24 en décembre 2022, il disait ce qui suit : « Je condamne fermement cette agression du M23. Que ce soit le Rwanda ou le Burundi ou l’Ouganda, je ne serais jamais d’accord que les pays voisins puissent aider les rébellions dans notre pays. C’est une guerre injuste et le M23 doit partir ».
Face à ces deux postures historiques, l’opinion peut désormais se faire une opinion claire. D’un côté, le candidat Tshisekedi ne se donne pas le temps (ceci explique peut-être cela) de s’attarder sur ce qu’aura été son propre bilan ni sur l’esquisse de son plan quinquennal sur cette question sécuritaire. Il préfère botter en touche en jouant avec l’amour propre des Congolais quand il présente justement Kagame comme le grand méchant loup ainsi que tous ceux, comme Katumbi, qu’il désigne comme étant les suppôts de l’agresseur.
« Pour manger avec le Diable il faut avoir une longue fourchette
De l’autre, Moïse Katumbi préfère poursuivre sur la voie de sa caravane en assurant qu’il a un plan de pacification de l’Est du pays en six mois.
L’erreur de Tshisekedi dans ce jeu est qu’il attire davantage l’attention sur le vide de son bilan en matière sécuritaire pour se voir obligé de rendre compte de ce qu’il a fait de la sécurité nationale durant ses cinq années de mandat. Sur ce jeu, justement, les Congolais de la toile lui rappellent que c’est lui qui avait ouvert les portes du Congo à Paul Kagame quand l’opinion intérieure le prévenait contre la nocivité et la toxicité de sa proximité. Un acteur politique rappelait même cette jurisprudence de Kiro Kimate, un ancien politicien des années CNS, qui prévenait que « pour manger avec le Diable il faut avoir une longue fourchette ».
Malgré les avertissements des Congolais, Tshisekedi rejetait catégoriquement le qualificatif de « pays agresseur » pour désigner le Rwanda au profit de « pays frère ».
Albert Osako