Quelle est la situation réelle de la cité de Bunagana aujourd’hui ? Qui l’administre ? Le M23 l’a-t-il réellement libéré ? Quel est le rôle des troupes de l’EAC sur cette cité ? que deviennent les recettes douanières, nerfs de la guerre ? Autant de questions que continuent de se poser les congolais une année après la chute de cette position psychologiquement stratégique.
Des questions devenues lancinantes ces dernières semaines depuis le déploiement des troupes de l’EAC, mais sans que le Gouvernement congolais ne reprenne l’administration de la cité, ni que l’on sache si réellement le M23 et ses soutiens rwandais se sont réellement retirés.
A Kinshasa, le silence ne cesse de s’épaissir, alors que le douloureux anniversaire de la perte de cette cité a entretenu des échanges emprunts d’amertumes difficiles à dissimuler. Même pour ceux qui sont censés entretenir l’opinion et l’espoir.
Sans fard, d’aucuns estiment qu’à ce jour, Bunagana est devenu le symbole de l’improductivité de la diplomatie congolaise, égrainant en cela les multiples sommets tenus jusqu’à un cessez-le-feu dont Kinshasa est loin, bien loin de tirer profit. Bref, aujourd’hui, une année après, Bunagana n’est jamais retourné sous le contrôle du Gouvernement congolais ni de l’armée et de ses forces de sécurité.
De Goma, un confrère très introduit, à qui nous avons demandé un aperçu sur la situation à Bunagana, a eu ce commentaire sans appel au plan sécuritaire d’abord : « Bunagana est toujours sous le contrôle des rebelles du M23. La situation n’a pas évolué. Le contingent ougandais cohabite avec eux ».
Puis sur le volet socioéconomique : « Les activités officielles à la frontière sont paralysées. Quelques boutiques sont ouvertes mais la population est toujours en errance dans des camps. C’est une population majoritairement Hutu mélangée avec les Tutsi ».
Quant à la position des différentes forces en présence, c’est un véritable vaudeville : « Entre les rebelles et les Fardc, c’est la force régionale qui joue à la zone tampon qui ne dit pas son nom ».
Et quid de l’Etat : « L’administration n’existe plus et donc l’Etat est absent ».
Rétroacte : comment Kinshasa est devenu dindon de la farce face à l’EAC et le M23/RDF
Une année s’est écoulée depuis l’occupation de la cité de Bunagana, Nord-Kivu, par les rebelles du M23. Le 13 juin 2023, en effet, ce groupe rebelle, qui venait de reprendre les activités après avoir été défaits en 2013, prenaient le contrôle de cette cité stratégique sans coup férir. Soutenu par le Rwanda, le M23 était entré dans Bunagana (qui n’a pourtant pas de frontière avec le territoire rwandais) en passant par l’Ouganda.
Les forces régulières des FARDC avaient dû décrocher, selon le compte-rendu fait alors par le porte-parole du Gouvernement central, pour éviter de faire des victimes parmi les populations civiles. Depuis lors, l’armée régulière a perdu encore d’autres contrées et territoires emblématiques des conflits récurrents conflits à l’Est, telles que Chengerero, Rutshuru et Kiwanja.
La perte de Bunagana avait porté un coup sur le moral des congolais en raison de son importance stratégique dans le triangle frontalier entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. Financièrement, cette cité est, en effet, le troisième poste douanier du Nord-Kivu après Kasindi (frontière avec l’Ouganda) dans le territoire de Butembo et la grande barrière (frontière avec le Rwanda à Goma).
Et stratégiquement, Bunagana est un point psychologique dans la récurrence des conflits entre la RDC et ses voisins de l’Est, particulièrement le Rwanda. Cette cité est, en effet, considéré comme le point le plus important de ravitaillement des troupes du M23 et leurs soutiens avérés de l’armée rwandaise, mais également comme la voie du trafic illicite des ressources minières de la RDC.
Quand l’EAC se déploie et met les FARDC hors-jeu
Les pressions diplomatiques de Kinshasa et des autres capitales avaient conduits à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entré en vigueur début mars 2023 ; un cessez-le-feu assorti d’une demande de retrait du M23 des territoires qu’il occupe, dont Bunagana, avec l’annonce des troupes d’observation de ce cessez-le-feu et d’interposition.
C’est ce qui sera fait fin mars avec le début du déploiement des troupes ougandaises de l’EAC. Ce déploiement va prendre fin le 2 mai 2023 avec l’arrivée de ces troupes à Mabenza. Cependant, ce déploiement a vite viré en une illusion pour les congolais à qui le Gouvernement avait annoncé que les troupes de l’EAC allaient jouer un rôle offensif aux côtés des FARDC pour bouter dehors le M23 et ses soutiens de l’armée rwandaise. Le chef de l’Etat, qui l’avait annoncé dans une interview avec la presse occidentale, avait ajouté que ce déploiement allait intervenir par Bunagana.
Rien de toutes ces annonces ne se réalisera car, en effet, les troupes de l’EAC se déployaient dans une perspective de résilience pour la restauration de la paix et la stabilité de l’Est de la RDC et de la région des Grands lacs tout en soutenant et en respectant la Constitution de la RDC ainsi que la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC. Cette déconvenue sera, d’ailleurs, l’une des causes de la grande friction entre Kinshasa et le commandement militaire du contingent de l’EAC, qui avait dû être changé sur demande expresse du Président Félix Tshisekedi. Avant, bien entendu, que Kinshasa ne demande le retrait de l’EAC dont le mandat ne correspondait plus aux attentes de la partie congolaise.
Depuis lors également, les mécanismes de ce retrait se sont avérés plus compliqués à manœuvrer, en sorte qu’au terme du tout dernier sommet de Bujumbura, les troupes de l’EAC ont obtenu un nouveau bail pour une présence en territoire congolais jusqu’en septembre 2023.
Pendant ce temps, le retrait annoncé des troupes du M23, au même moment du déploiement des troupes ougandaises d’interposition n’a pas réglé le problème de la reprise du contrôle de cette cité par le Gouvernement congolais qui devait y déployer l’autorité de l’Etat. Au contraire, il règne encore sur Bunagana une situation confuse où Kinshasa n’a aucun contrôle sur ce territoire pourtant supposé libéré par le M23. Des sources crédibles soutiennent qu’au contraire, le M23 a maintenu sa présence.
Dans tous les cas, la situation administrative, financière (douane), économique et sécuritaire continue, une année après, d’échapper au contrôle de Kinshasa. Certaines langues vont jusqu’à soutenir que c’est Kinshasa qui se retrouve comme dindon de la farce dans cette opération où il est celui qui a sollicité le déploiement des forces de l’EAC contre l’avis d’une frange de l’opinion congolaise mais se trouve aujourd’hui incapable d’en obtenir le retrait.
Depuis le déploiement des contingents ougandais, sud-soudanais, burundais et kényanes en RDC, le M23 s’est, officiellement, retiré depuis de plusieurs autres de ses positions, supposées remises à la force est-africaine. Mais ces retraits sont qualifiés de « leurres » ou « diversion » par les FARDC.
JDW