L’application, déjà en cours, du système Licence, Master et Doctorat (LMD) dans l’enseignement supérieur et universitaire en RDC est l’objet d’une vive polémique au sein de la société congolaise. Depuis trois années académiques, étudiants, parents, enseignants et autorités académiques, bref tous les partenaires à l’éducation, convergent sur un seul point qui les mets d’accord : personne ne maîtrise véritablement ce système et personne ne se souvient d’en avoir été informé ni y avoir été sensibilisé efficacement.
Pour d’aucuns, ce système LMD, du moins de la manière dont il a été implémenté et dont il est appliqué, a occasionné un grave recul à l’enseignement supérieur et universitaire déjà malade depuis des décennies et il devrait être supprimé pour ramener le pays à l’ancien système dont on pouvait encore produire quelques pépites de valeur.
L’arrivée , à l’ESU, d’une nouvelle ministre, elle-même professeur d’université, relance ce débat qui jette sur la table plusieurs propositions allant de sa suppression pure et simple à son maintien contre des améliorations progressives en passant par la demande d’un moratoire sur sa mise en œuvre en attendant de réunir toutes les conditions requises pour sa bonne application.
Pour décortiquer le sujet et apporter quelques matériaux à la réflexion, Congo Guardian a approché un partenaire éducatif à travers l’interview ci-dessous pour comprendre ce système, élucider les conditions de son instauration en RDC, les difficultés à la base des récriminations et esquisser des pistes de solution pour sauver l’enseignement supérieur et universitaire reconnu unanimement comme étant à la dérive.
Notre interlocuteur, Adélard Mambuya Obul O’kwess, est doctorant et enseignant (chef de travaux) du journalisme à l’Université des sciences de l’information et de la communication du Congo (UNISIC), soit le tout récent ex-IFASIC.
Interview avec Jonas Eugène Kota
Une vive polémique a cours actuellement au sujet du système LMD en application dans le secteur de l’ESU en RDC depuis maintenant trois années académiques. De quoi retourne cette polémique et quelle en est la cause ?
La polémique porte essentiellement sur le processus de mise en oeuvre de cette réforme dite LMD. Le bilan à mi-parcours semble montrer clairement que c’est mal parti et qu’il faille s’arrêter un moment pour évaluer. Certains au sein de nos universités et des structures de l’Enseignement supérieur et universitaire estiment que les choses avancent dans la bonne direction. Voici le cœur du débat.
Aujourd’hui, trois années après, des parents, des étudiants et même des enseignants ainsi que des autorités académiques affichent des insuffisances quant à la connaissance exacte et la compréhension de ce système LMD. Pouvez-vous l’expliquer brièvement et simplement à nos lecteurs en indiquant d’où et de quand ça date, qu’est-ce qui l’a inspiré et en quoi il consiste ?
Le LMD a été adopté comme nouveau système dans la Loi-cadre n° 14/004 du 11 février 2014 de l’enseignement national qui fixe à son article 98 que le LMD est le nouveau système d’enseignement supérieur en RDC, avec deux objectifs: 1) harmoniser le cursus de l’enseignement supérieur et universitaire et 2) favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants. Globalement, le système LMD vise à arrimer l’enseignement national au système le plus répandu dans le monde pour que nous ayons le même niveau en termes de qualité d’enseignement et d’équivalence des diplômes.
Contrairement à notre système traditionnel qui appliquait l’enseignement par objectifs, le LMD était censé apporter une approche par compétences. Tout ça ce sont des concepts. Il faut leur donner un contenu clair.
Quels sont les préalables requis pour la bonne application de ce système ?
Le système LMD devait d’abord être expliqué suffisamment aux acteurs et parties prenantes du système éducatif de la RDC. Ceux qui ont mené la réforme devaient se rassurer qu’ils avaient eux-mêmes compris ce que c’est. Que ceux qui l’appliqueraient en connaissaient les objectifs, les outils et mécanismes de mise en œuvre, les nouvelles approches et méthodes d’apprentissage, de cotation, de suivi des étudiants, etc. J’avoue que tout ceci n’a pas été fait dans les règles de l’art. On nous a appelé à des journées de sensibilisation où les orateurs se parlaient à eux-mêmes sans aucune cohérence.
Dans sa situation actuelle, la RDC a-t-elle les capacités de développer efficacement un tel système ?
Nous n’avions certainement pas rempli les conditions d’adoption immédiate de ce système. D’abord sans évaluation sérieuse du système PADEM, comment aurions-nous pu savoir ce qui était à changer ou à modifier? De deux: le problème de la qualification des enseignants pour la nouvelle approche par compétence: aucun séminaire, aucune étude préalable. Trois: le nombre d’étudiants à prendre en charge, par quels mécanismes sans numérisation de l’ensemble du système, comment suivre individuellement chaque étudiant? Quarto: les filières: combien? Avec quel contenu? Pour répondre à quel profil? Sans compter l’accès à des bibliothèques spécialisées en qualité et en quantité…
Une des raisons de l’adoption de ce système c’était de faciliter la mobilité des étudiants et des enseignants, mais qui en a entendu parler un seul jour?
Qu’est-ce qui, selon les informations dont vous disposeriez, aurait milité pour l’instauration de ce système dans la situation actuelle du pays ?
Les seules personnes qui avaient des informations c’était les dirigeants politiques et ceux qu’ils avaient recrutés pour la mise en œuvre. Mais on sait qu’en 2021, le Président de la république lui-même avait demandé que trois ministres sectoriels: ESU, Budget et Finances prennent le temps de mûrir la mise en œuvre de cette réforme. Le compte-rendu de ce conseil des ministres indiquait même qu’il était possible de postposer la généralisation de la réforme à une année plus tard. A la surprise générale, ce sont des annonces fortes qui ont été entendues trois semaines plus tard.
Aujourd’hui , au regard des récriminations, que feriez-vous si vous étiez ministre de l’ESU ? Supprimer ce système pour revenir à l’ancien ou continuer à faire avec en apportant progressivement des améliorations avec le prix que ça coûte en termes de déperdition de la qualité de la formation de la main d’œuvre ?
La ministre Marie-Thérèse Sombo semble avoir pris une bonne option: procéder à une évaluation à mi-parcours du LMD dont certaines études comme celle menée par le prof Mbangala montrent que le système est inadapté à notre environnement actuel. Moi à la place de la ministre, je ferais un moratoire et demanderais à chaque institution de me donner, endéans 10 jours, sa propre évaluation et des propositions de correctifs nécessaires. Le moratoire consisterait à trouver une modalité intermédiaire avec l’ancien système pour pouvoir apporter progressivement les améliorations qui s’imposent.