Par Jonas Eugène Kota
Le 13 octobre dernier, à la tribune du Conseil de sécurité de l’ONU, le représentant du Rwanda, Martin Ngoga, a affirmé que son pays est résolument tourné vers le « chemin de la paix », tout en dénonçant la présence des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) sur le sol congolais comme une “menace existentielle”. Selon Kigali, ladite menace justifierait non seulement son engagement militaire dans l’Est de la République démocratique du Congo mais aussi la nécessaire pression sur Kinshasa pour qu’il neutralise ce groupe armé.
Mais au-delà du discours policé de Kigali, se cache une véritable confusion de genres, soigneusement entretenue pour brouiller les pistes sur les véritables intentions du pouvoir de Paul Kagame. Cette confusion n’a qu’un objectif : empêcher le rapatriement au Rwanda de la crise qu’il a lui-même exportée depuis 1994, à savoir la difficile cohabitation entre Hutus et Tutsis.
Car c’est bien cela, la réalité profonde de la crise sécuritaire à l’Est de la RDC : une affaire strictement rwandaise, déplacée de l’autre côté de la frontière et transplantée sur le sol congolais sous la forme d’un conflit fabriqué entre Hutus des FDLR et Tutsis Banyamulenge. Autrement dit, le Rwanda déporte sa propre crise interne vers la RDC pour en faire un prétexte permanent d’ingérence militaire et diplomatique.
Le problème ? Ces propos, à bien des égards, ne reflètent ni l’histoire ni la réalité concrète de la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs. Voici pourquoi.
Depuis la fin de la guerre civile rwandaise en 1994, l’instabilité dans la région des Grands Lacs s’est caractérisée — surtout — par des actions de groupes armés et d’États étrangers sur le territoire congolais :
- Au Grand Nord-kivu, on observe la présence des Mbororo et des islamistes ougandais de l’Allied Democratic Forces (ADF) qui posent un problème à la RDC.
- Plus au sud et à l’est, notamment dans les Kivus, ce sont l’armée rwandaise ou des forces rwandaises opérant sous couvert de « rébellions » qui interviennent à répétition, arguant la menace des FDLR et l’« insécurité » des populations tutsies congolaises.
Autrement dit : ce n’est pas seulement l’existence d’un groupe armé qui explique l’ingérence, mais bien la récurrence de la logique d’« intervention extraterritoriale ». Le Rwanda invoque une menace – mais plutôt qu’unilatéralement s’en protéger, c’est la RDC qui se retrouve envahie et dont la souveraineté est mise à mal.
La réalité : les FDLR n’ont jamais été le danger « existentiel » annoncé
Pourtant, la réalité contredit ce narratif. Le Rwanda affirme aujourd’hui que les FDLR constituent une menace vitale. Les archives sont formels :
- En 2023, le représentant du Secrétaire général à l’ONU déclarait – « un simple fait » : « les FDLR ne constituent en aucun cas une véritable menace militaire pour le Rwanda ». Les rapports de divers experts estiment le nombre de combattants de la FDLR très réduit (quelques milliers tout au plus) et leur capacité affaiblie.
- En 2021, le vocabulaire employé par la représentation rwandaise à Kinshasa — via l’ambassadeur Vincent Karega — qualifiait pour la première fois les FDLR de « force résiduelle » ne représentant plus de « danger existentiel ».
Au regard de ces vérités, s’il était vrai que les FDLR constituaient une menace pour le Rwanda, pourquoi ce changement de ton ? Pourquoi maintenir un discours belliqueux alors même que le groupe était décrit, par les mêmes acteurs rwandais, comme affaibli ?
L’engagement rwandais dans les « efforts » contre les FDLR… pour en faire un argument d’ingérence
De plus, Kigali fait valoir qu’il a participé activement aux opérations menées contre les FDLR :
Rapatriements volontaires ou forcés, programmes DDRRR (Démobilisation, Désarmement, Réintégration, Rapatriement, Réhabilitation), traques conjointes avec la RDC, etc. Les archives montrent qu’en effet :
- Des rapatriements ont été recensés, des accords signés à cet effet, mais pendant ces mêmes processus, le Rwanda s’était employé à freiner systématiquement — voire saboter — les opérations de regroupement des FDLR pour leur rapatriement, dispersant les camps et rendant difficile leur retour.
- Certains rapatriés hutus étaient soudoyés puis « remis » dans des zones congolaises afin de s’en prendre aux populations tutsies locales, renforçant la thèse du « danger tutsi » et justifiant l’intervention rwandaise.
En réalité donc, le discours rwandais selon lequel « nous sommes partenaires de la paix » s’accompagne dans les faits d’une instrumentalisation du groupe FDLR… pour alimenter un récit d’ingérence.
Le dialogue omis : absence de données concrètes de Kigali depuis Washington
Par ailleurs, depuis le lancement du processus de négociations à Washington (et Doha), la partie rwandaise n’a jamais fourni de preuves tangibles à ses allégations :
- Aucune liste de leaders FDLR (militaires ou politiques) à capturer ou neutraliser
- Aucun document retraçant la localisation des troupes FDLR sur le sol congolais fourni à la RDC ou aux médiateurs.
- Aucune clarification sur les liens exacts entre la RDC et les FDLR, ou sur les responsabilités précises auxquelles Kigali demande à Kinshasa de répondre.
Cette absence de transparence installe un flou stratégique : Kigali parle, mais ne prouve pas — laissant croire que la « menace » existe surtout dans son discours, non dans son étayage opérationnel.
Le véritable enjeu : la question hutu/tutsi et l’usage de la RDC comme terrain
Plus profondément, la « crise tutsi/hutu » importée par le Rwanda en RDC est sans doute le noyau de la confusion que cesse de semer ce pays. En effet, depuis 1994, c’est la difficile cohabitation entre Hutus et Tutsis rwandais qui demeure la réalité sécuritaire fondamentale. Le Rwanda de Paul Kagame a transplanté cette logique en RDC : d’un côté les Hutus FDLR, de l’autre les Banyamulenge tutsis congolais — au mépris de la souveraineté congolaise.
En 2005, en dépit d’engagements comme ceux des Communauté de Sant’Egidio (déclaration de Rome) où les FDLR avaient renoncé à la lutte armée et au discours génocidaire pour engager une opposition politique, Kigali avait rejeté tout compromis politique avec eux.
Pas plus tard que ce 14 octobre, le Rwanda a publié une liste de 25 personnalités rwandaises en exil (politiciens, journalistes, religieux, activistes ou présumés « terroristes »), dont certains liés aux FDLR — un moyen de bloquer toute possibilité de dialogue avec eux )on ne négocie pas avec les terroristes) – en vue de leur retour dans leur pays, mais aussi de justifier ultérieurement une intervention en RDC sous couvert de « neutralisation ».
La question est donc moins celle des FDLR que d’un agenda rwandais qui trouve dans la RDC le terrain de ses logiques ethniques, frontalières et sécuritaires.
Conclusion : la « menace rwandaise » déguisée
Ainsi, quand le Rwanda affirme aujourd’hui : « Nous respectons nos engagements de paix », tout en exigeant « que le processus ne soit ni détourné ni affaibli », en appellant les partenaires à un « cap clair », il est essentiel de lire derrière ce vernis :
- Une justification d’une présence militaire illégitime en RDC;
- Une instrumentalisation de la FDLR à des fins de pression diplomatique et économique sur Kinshasa (notamment dans l’accord économique envisagé);
- Une confusion de genres : faire passer la RDC pour complice, mais occulter sa propre responsabilité dans l’ingérence et l’intervention;
- Un refus de cohabitation pacifique entre Hutu et Tutsi sur son propre territoire, que l’on étend à la RDC.
Pour la RDC, pour ses populations de l’Est, pour la communauté internationale, il est indispensable de voir clair : ce ne sont pas les FDLR qui structurent aujourd’hui la crise, mais bien la politique rwandaise. Et elle ne saura être réglée tant qu’on n’aura pas exigé le retrait effectif des troupes et services rwandais du territoire congolais, la transparence totale sur les groupes armés, leurs alliances, leurs soutiens et une restauration de la souveraineté congolaise dans l’Est.
Le discours rwandais mérite donc d’être dénoncé pour ce qu’il est : un brouillard stratégique cherchant à occulter la réalité, à inverser les rôles, à légitimer l’ingérence par la peur fabriquée.

