(Kinshasa) – Les violences électorales en République démocratique du Congo risquent de compromettre la tenue des élections générales prévues le 20 décembre 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités congolaises devraient enquêter de manière urgente et impartiale sur les incidents violents liés aux élections et poursuivre les responsables, quelle que soit leur affiliation politique.
Depuis le début du mois d’octobre, Human Rights Watch a documenté des affrontements à travers le pays entre des partisans de partis politiques rivaux, qui ont conduit à des agressions, des violences sexuelles et au moins un décès. Des partisans du parti au pouvoir, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), ont été impliqués dans des menaces et des attaques contre des leaders de partis d’opposition ainsi que des journalistes. Des partisans de l’opposition ont également été impliqués dans des violences. Des incidents violents liés aux élections continuent d’être signalés.
« Les autorités congolaises devraient agir de toute urgence pour prévenir les violences avant, pendant et après le scrutin, afin d’empêcher qu’une situation déjà dangereuse ne dégénère », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Les partis politiques et les candidats devraient prendre publiquement position contre les violences et aider à garantir que les citoyens aient la possibilité de voter pour les candidats de leur choix. »
Lors du scrutin, les Congolais éliront leur président, les membres des parlements national et provinciaux, ainsi que les conseiller municipaux. Plus d’1,5 million de personnes ne pourront pas voter dans les zones affectées par des conflits, notamment dans la province du Nord-Kivu dans l’est du pays, mais également dans la province du Mai-Ndombe dans l’ouest. Des millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays pourraient également être dans l’incapacité d’aller voter.
Human Rights Watch s’est entretenu avec 36 personnes par téléphone, dont des victimes de violence, des membres de leur famille, des activistes, des membres de partis politiques, des journalistes, du personnel médical, des sources judiciaires et sécuritaires, du personnel des Nations Unies ainsi que des observateurs électoraux.
Lors d’un incident majeur survenu le 7 novembre, des partisans du parti du président Félix Tshisekedi, l’UDPS, ont affronté des partisans du parti d’opposition de Moïse Katumbi, Ensemble pour la République (connu sous le nom d’Ensemble), lors d’un rassemblement de ces derniers à Kasumbalesa, dans la province du Haut-Katanga au sud-est du pays. Les partisans de Moïse Katumbi ont saccagé le bureau d’une section locale de l’UDPS, tandis que les partisans de l’UDPS ont attaqué et blessé six personnes, violé au moins deux femmes et agressé sexuellement trois autres, selon des témoins ainsi que des sources sécuritaires, des services médicaux et de l’ONU. Cinq agents de police ont été blessés. Les autorités n’ont apparemment pas mené d’enquêtes sur les attaques, notamment sur les cas de violences physiques et sexuelles.
Le 13 novembre, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a invité les candidats à l’élection présidentielle à adopter un code de bonne conduite en amont de la campagne électorale officielle, qui a débuté le 19 novembre. Le code de conduite prévoit que les candidats se déclarent « déterminés à lutter contre toutes formes de violences en périodes préélectorale, électorale et postélectorale ». Par leur signature, les candidats s’engagent également à « respecter les résultats issus des urnes et ne recourir qu’à la voie judiciaire… pour contester les dits résultats ». Cependant, aucun des principaux candidats à la présidence ne l’a signé, certains évoquant un manque de confiance envers la CENI et son engagement en faveur d’élections libres et équitables.
Les violences et les tensions accrues ont également eu des répercussions sur les médias et les journalistes. Le 9 novembre, des agents de services de renseignement ont arrêté Raphael Ngoma, journaliste de la Radio communautaire de Moanda, à Moanda, dans la province du Kongo Central. Il a été placé en détention sur ordre de l’administratrice du territoire, Amina Panda, qui l’a accusé de diffuser de fausses informations sur un rassemblement de l’opposition. Il a été libéré le lendemain sans chef d’inculpation.
Le 7 décembre, le collectif congolais Journaliste en Danger (JED) a déclaré que John Kanyunyu Kyota, un journaliste pigiste qui collabore notamment avec la radio allemande Deutsche Welle, avait reçu des menaces par téléphone pour ses reportages sur la campagne électorale. Craignant pour sa sécurité, John Kanyunyu Kyota vit depuis en clandestinité.
S’adressant au Conseil de sécurité de l’ONU le 11 décembre, la cheffe de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), Bintou Keita, a déclaré que « de violents affrontements entre partisans de partis politiques rivaux [se produisaient] dans de nombreuses provinces ». Elle a également indiqué que les femmes leaders politiques et les candidates faisaient l’objet « d’intimidations ainsi que d’attaques misogynes physiques et verbales ». Elle s’est dite « alarmée par la prolifération de la més- et désinformation ainsi que des discours de haine, en ligne ou non, dans le cadre de la campagne électorale ».
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les autorités sont tenues de prendre toutes les mesures raisonnables pour créer et maintenir un environnement dans lequel les candidats, les citoyens, les responsables électoraux, les journalistes et les activistes de la société civile peuvent opérer sans subir de violences ni d’intimidations. Des élections démocratiques nécessitent la protection de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression a publié des directives détaillées sur la manière de garantir les libertés d’opinion et d’expression ainsi que l’accès à l’information pendant les élections.
Les autorités congolaises devraient assurer la sécurité et la sûreté de tous les observateurs électoraux mobilisés dans le pays. La CENI devrait publier les résultats du scrutin bureau de vote par bureau de vote et sur le site internet de la CENI, comme l’exige la loi, afin de prévenir d’éventuelles violences et abus postélectoraux, a déclaré Human Rights Watch.
« Les citoyens congolais dans tout le pays devraient pouvoir exercer leur droit de vote en toute sécurité », a déclaré Thomas Fessy. « La crédibilité du processus électoral étant en jeu, les autorités congolaises devraient mettre en place un plan de protection exhaustif des électeurs, des candidats, des responsables électoraux, des observateurs et des journalistes. »
Informations complémentaires et témoignages
Violences à Kasumbalesa
Le 4 novembre, un membre de l’UDPS, le parti au pouvoir, connu sous le nom de « Cœur de Lion » a averti Moïse Katumbi, le candidat à l’élection présidentielle du parti Ensemble, qu’il risquait de « se faire tabasser » s’il faisait campagne à Kasumbalesa, une ville frontalière dans le Haut-Katanga au sud-est du pays. « S’il vient à Kasumbalesa, il fera face aux biceps … des enfants de Fatshi béton », a déclaré le responsable, faisant référence au président Félix Tshisekedi par son surnom. Le discours menaçant, filmé lors d’un rassemblement de l’UDPS, a été largement diffusé.
Le lendemain, un mouvement de jeunesse provincial soutenant Moïse Katumbi a répondu par des déclarations de haine à caractère ethnique visant les partisans de l’UDPS, dont les bastions se situent dans les provinces du Kasaï. « Nous avons suivi la communication de l’UDPS qui interdit à un fils du Katanga, le fils d’un natif du Katanga, d’entrer dans sa maison », a déclaré le mouvement. « S’ils veulent nous défier chez nous [au Katanga], nous devrons également montrer que nous sommes natifs [d’ici]. Nous irons à Kasumbalesa la semaine prochaine et nous voulons voir qui peut nous arrêter. »
Human Rights Watch a, dans le passé, documenté des tensions ethniques lors des élections de 2011 alimentées par les dirigeants des provinces voisines du Katanga et du Kasaï, qui proféraient des discours de haine et d’incitation à la violence. Ces tensions trouvent leurs racines dans des mouvements migratoires historiques entre ces provinces. Au début des années 1990, les autorités katangaises de l’époque ont expulsé de force des centaines de milliers de Kasaïens de la province, causant la mort de milliers d’entre eux.
Le 7 novembre, les partisans d’Ensemble ont organisé un rassemblement à Kasumbalesa. Des partisans rivaux de l’UDPS, armés de bâtons de bois, ont attaqué les participants du rassemblement. À mesure que le rassemblement grandissait, la foule a pu repousser les partisans de l’UDPS.
Après le rassemblement, les partisans d’Ensemble ont saccagé le siège local de l’UDPS, déclenchant des échauffourées entre les deux groupes. « Les militants de l’UDPS en colère ont attaqué ceux d’Ensemble et s’en sont pris surtout aux femmes », a raconté un témoin. « J’ai vu deux femmes… Elles ont été déshabillées, tabassées et agressées avec des attouchements dans leurs parties intimes. Si la police n’était pas intervenue, leur situation aurait été encore plus grave. »
Un policier congolais déployé sur les lieux a indiqué que la police a aidé deux femmes, qui avaient été déshabillées et agressées sexuellement, à échapper à leurs agresseurs. L’agent de police a indiqué que les policiers étaient en sous-effectif et manquaient d’équipement adéquat pour contenir des foules violentes. « Si les manifestants utilisent des pierres, nous aussi on prend des pierres », a-t-il raconté. « Quand ce sont les bâtons, on fait la même chose. »
Une femme de 51 ans a raconté à Human Rights Watch qu’elle avait été frappée et violée :
Mes camarades et moi étions habillées en T-shirts avec l’effigie d’Ensemble. Après le rassemblement, je suis sortie acheter la marchandise à vendre quand je suis tombée sur un groupe de militants de l’UDPS qui se sont rués vers moi et ont commencé à me battre avec des bâtons. J’ai repris connaissance à l’hôpital, où j’avais été transporté et mes habits étaient déchirés. C’est comme cela que [le médecin] a constaté qu’on m’avait introduit un bâton dans le vagin.
Au cours de l’incident, des assaillants ont violé au moins une autre femme et en ont déshabillé et agressé sexuellement trois autres, selon un témoin et des sources sécuritaires, médicales et onusiennes.
Les autorités devraient mener des enquêtes promptes et impartiales sur les attaques et les violences sexuelles, et poursuivre de manière appropriée les personnes responsables. Les autorités devraient veiller à ce que les victimes de violences sexuelles reçoivent des soins médicaux et psychosociaux adéquats.
Autres cas liés aux élections
Le 28 novembre, dans la ville de Kindu, une jeep appartenant apparemment à l’équipe de campagne du gouverneur provincial Afani Idrissa Mangala a percuté et tué Dido Kakisingi, 38 ans, président de la ligue des jeunes de Moïse Katumbi pour la province orientale du Maniema. Les partisans de l’UDPS ont d’abord tenté de bloquer le convoi de Moïse Katumbi et la foule de militants qui l’accompagnaient sur l’une des principales artères de la ville. Dido Kakisingi a demandé l’aide des forces de sécurité pour dégager la voie. Les partisans de l’UDPS ont ensuite jeté des pierres sur le convoi, blessant Dido Kakisingi. Une jeep blanche arborant les affiches de campagne du gouverneur et un drapeau de l’UDPS l’a ensuite percuté, entraînant sa mort. La police a effectué des tirs de sommation pour disperser la foule alors que les tensions montaient entre les partisans rivaux.
Les autorités ont procédé à deux arrestations en rapport avec la mort de Dido Kakisingi, selon des sources judiciaires, mais l’enquête est au point mort en raison d’une ingérence politique présumée. « L’autopsie a été demandée par le parquet », a expliqué un membre de la famille. « Mais ils ont refusé de nous en partager les résultats. »
Le 4 novembre, des militants présumés de l’UDPS ont attaqué le convoi de Martin Fayulu, un autre candidat de l’opposition à l’élection présidentielle. Fayulu et ses partisans se dirigeaient vers un rassemblement de pré-campagne à Tshikapa, dans la province du Kasaï. Au moins deux personnes et un policier ont été blessés par des jets de pierre. La porte-parole du président Félix Tshisekedi a condamné, dans un communiqué, de tels « actes antidémocratiques » et exprimé son « regret face à l’intolérance politique » qui a conduit à l’incident.
Le 24 octobre, le gouverneur provincial du Kasaï Central, John Kabeya, membre de l’UDPS, a déclaré lors d’un rassemblement que « si vous voulez obtenir des voix, allez dans d’autres provinces, mais ici au Kasaï Central, c’est [le fief de] Tshilombo » – une référence au président Félix Tshisekedi, originaire de cette province. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), qui garantit la liberté de la presse ainsi que l’égalité d’accès des candidats aux médias, a indiqué que la déclaration de John Kabeya était un « discours de honte » qui « incit[ait] à la haine ethnique et régionale, à l’exclusion et à la discrimination » – et a interdit sa diffusion.
Le 18 novembre, la police a arrêté Abel Amundala, coordinateur national responsable adjoint de la jeunesse et candidat parlementaire d’Ensemble, ainsi que six membres de son équipe de campagne lors d’une réunion politique à Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga. Abel Amundala a raconté qu’ils avaient été conduits au poste de police et interrogés à propos de la réunion. La police les a relâchés deux heures plus tard sans chef d’inculpation.
Le 20 novembre, à Ngandajika, dans la province du Lomami, des partisans de l’UDPS ont attaqué un convoi de camions et de motos de la campagne d’Ensemble. Les militants de l’UDPS ont brûlé la moto de Pierre Kaneka, cadre local d’Ensemble. Pierre Kaneka a expliqué que la police stationnée à proximité n’est pas intervenue. Il a raconté que quasi simultanément, un autre groupe de l’UDPS a attaqué sa résidence, forçant sa femme à fuir. Plus tard cette nuit-là, des militants de l’UDPS ont saccagé le siège local d’Ensemble. Pierre Kaneka a indiqué qu’il avait porté plainte et qu’une personne soi-disant impliquée dans l’attaque avait été arrêtée. Pierre Kaneka est passé dans la clandestinité par crainte de représailles.
Préoccupation à l’échelle internationale
L’Union africaine et la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC) ont toutes deux déployé des missions d’observation électorale en RD Congo. La Mission de l’Afrique australe a réitéré les principes et directives de la SADC régissant les élections démocratiques qui « mettent l’accent sur la mise en œuvre de mesures visant à prévenir les violences politiques, l’intimidation et l’intolérance ».
Dans une déclaration de novembre publiée quelques jours à peine avant le lancement de la campagne électorale officielle, le gouvernement des États-Unis a appelé à un processus électoral pacifique et a déclaré qu’il envisagerait d’imposer des sanctions ciblées « à l’encontre des personnes portant atteinte à la démocratie en [RD Congo] ».
Le 8 décembre, l’Union européenne a averti qu’elle imposerait des sanctions ciblées à l’encontre de « toute personne qui fait obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections prochaines en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit, ou qui contribue à de graves violations des droits de l’homme ou à des atteintes à ces droits ». L’UE a annulé sa mission d’observation dans le pays après que les autorités congolaises n’ont pas autorisé l’utilisation d’équipements satellitaires pour son déploiement. Certains groupes de la société civile congolaise ont indiqué que la décision du gouvernement « [donnait] l’impression d’un agenda caché durant les élections ». Au lieu de cela, l’UE a déployé une mission d’experts composée de huit personnes dans la capitale, Kinshasa.
N.B.: Le titre est de la rédaction