Stanis Bujakera, une affaire qui choque les consciences et souille la République

Ils ont frappé l’un des meilleurs d’entre nous dans un abject casting de répression psychologique déshumanisant pour contraindre à l’auto-musèlement à travers une stratégique confusion des genres entre intérêts d’un régime et vraie raison d’État. Pendant ce temps, affaire Okende tend à être subrepticement soustraite de l’actualité alors que le document de tous les malheurs ne cesse de susciter de l’intérêt…

De mes 36 années de carrière journalistique, et avec quatre régimes au pouvoir à mon compteur, jamais je n’ai connu cette sorte d’inquisition violente tendant à semer la terreur dans les esprits afin de mettre la presse, toute la presse, au pas. L’émoi qu’entretient le sort de Stanis Bujakera, dont la situation ne cesse d’interpeller les consciences, est, sans conteste, l’expression du choc que ressentent les consciences face à cette forme de violence parmi les plus abjectes et deshumanisantes qui soient. S’il s’agit d’un de ces nombreux faits de zèle qui animent les flagorneurs qui, sous les tropiques, jonchent les allées des régimes au pouvoir, alors celui-ci est bien loin de faire rire.
Face à l’incompréhension d’une affaire supposée judiciaire, mais qui enjambe allègrement et sans vergogne les fondamentaux d’une justice réellement juste (déjà Bujakera avait été arrêté comme un vulgaire malfrat hors des heures légales et par de prétendus représentants de la loi sans mandat), on se réduit à se faire faire l’écho d’un message à peine voilé : « voici ce qui vous attend quand vous approchez la ligne rouge ». En tout cas, c’est ce que ma conscience professionnelle, bientôt quadragénaire, me laisse entendre.
Quelle autre explication donner à la lâcheté de ce lynchage des régimistes qui, sans aucun respect de la dignité humaine, vouent Stanis Bujakera à un tel traitement déshumanisant devant ce silence lourdement approbateur des officiels qui ont tous les moyens pour arrêter ce lynchage mais ne les utilisent pas ? L’explication ne peut être autre que la volonté de marquer les esprits par la violence, mais pour quel dividende lorsqu’on voit cette opprobre dont on couvre la République tel que le renseigne la récrimination planétaire sur le sort aussi inacceptable qu’injustifiable sur un sujet manifestement sorti d’un casting machiavélique dont l’objectif clair est de semer la terreur pour tenir toute une profession (et, partant, l’opinion) en laisse ?
Car, en fait, c’est l’un des meilleurs d’entre nous qui est ainsi pris pour subir cette ignominie de ceux qui, comme une femme qui casse un miroir qu’elle accuse de l’enlaidir, font de l’anti-patriotisme à rebours et feignent de ne pas voir leurs propres travers souverainement étalés sous leurs yeux ? Stanis Bujakera est, en effet, ce journaliste presqu’inégalable pour les titres dont il est couvert pour son professionnalisme, titres dont certains lui ont été décernés par ses bourreaux d’aujourd’hui qui, hier, se bousculaient à ses côtés pour s’immortaliser en selfies.
Culminant à plus de 500.000 followers sur son compte tweeter, Bujakera est ce journaliste que même ses ravisseurs d’aujourd’hui appellent à juste titre « info certifiée ». Et parmi ces reconnaissants s’alignent des membres du gouvernement, des officiers supérieurs et généraux de l’armée et de la police, des membres de ces mêmes services d’intelligence, des acteurs et leaders politiques de tous bords, des diplomates, des activistes de la société civile, des étudiants en journalisme et même des journalistes professionnels dont moi-même. Nous sommes tous suspendus au compte de Stanis Bujakera, non pour surveiller un rwandais, un ennemi, un propagateur de faux bruits, etc. comme on le dépeint aujourd’hui, mais bien pour nous mettre à la page de l’actualité grâce à des informations qui se passent de tout doute quant à leur véracité et leur authenticité.
En frappant donc Stanis Bujakera, ses pourfendeurs d’aujourd’hui s’offrent leur temps de reniement pour la simple raison qu’ils ont choisi le chemin de la déresponsabilisation par un refus systématique de s’assumer pour rejeter toujours la faute à l’autre.
Ce que je perçois, en fin de compte, c’est que les réactions enregistrées à ce jour ne me semblent pas véritablement à la mesure de la situation face à l’arbitraire qui sous-tend l’affaire Bujakera.
Je rappelle que c’est l’un des meilleurs d’entre nous qui est pris et ainsi humilié au mépris total des lois dans le but de marquer les esprits par la terreur.
Je ne sais pas, non plus, si l’on perçoit cette confusion délibérée entretenue à la frontière devenue poreuse entre la vraie raison d’État et les intérêts d’un régime. Car il s’agit manifestement de cela avec ce journaliste qui gêne plutôt qu’il ne trahit sa nation comme on l’accuse lâchement dans les réseaux sociaux par ceux qui, en temps normal, ne soutiendraient pas leurs thèses face à lui dans une confrontation civilisée et équilibrée.
Ce que je veux dire encore, puisque c’est là qu’on entraîne la conscience nationale, c’est que ce n’est pas parce qu’une info gêne qu’elle est forcément fausse ou anti patriotique. Entretenir une telle confusion nous renvoie de nouveau à cette situation que j’évoque déjà, à savoir la volonté de faire passer un message clair à la presse aux abords des élections pour que chacun sache ce qui l’attend quand il franchit la ligne rouge tracé, non pas pour préserver la vraie raison d’État, mais pour carapacer un régime contre les vulnérabilités que confèrent les évidences. Mais quoi que l’on fasse, ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on peut espérer rabatte la fièvre.
En attendant, l’injuste sort de Stanis Bujakera suscite un sentiment de profonde amertume face à cette forme de répression psychologique anticipative et anticipée pour bloquer la pensée et entraver les libertés. Cette forme de répression déshumanisante qui inflige à toute une Nation l’opprobre d’un recul à cause de l’égoïste volonté de préserver les intérêts d’une infime poignée de certains de nos compatriotes en cassant le sucre sur toute la République.
Je ne vais surtout pas oublier le fond réel de cette démarche extrême qui n’est autre que la volonté de galvauder l’enquête sur l’assassinat de Chérubin Okende. Une volonté qui charrie, de toute évidence, cette répression délibérée derrière une action comme celle-ci. Cette forme d’unanité volontaire face aux principes démocratiques partagés et qui confine au monopartisme et à la pensée unique d’hier que ceux d’aujourd’hui ont combattus avec l’ambition de bâtir un pays plus beau qu’avant et une démocratie qui, aujourd’hui, se décline en termes de remplissage des prisons, sans état d’âme.
Si un correspondant d’un média international est traité de la sorte, qu’en serait-il d’un « locaux »? Bujakera, lui, n’a certainement pas de bol, car s’il était une correspondant étranger, il aurait été expulsé sans état d’âme comme le fut Sonia Roley sous le prétexte fallacieux de l’expiration de ses titres de séjour.
Tous comptes faits, on retiendra que depuis quelques jours, le meurtre de Chérubin Okende est passé au second plan alors que le document incriminé, et qui ouvrait une piste que les enquêteurs devaient explorer, n’a jamais autant hanté les esprits depuis que l’arrestation de Stanis Bujakera est venue renforcer l’attention et l’intérêt.
Jonas Eugène Kota

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