Le dernier entretien du Président de la République avec ses concitoyens à travers sa porte-parole continue d’alimenter les conversations entre Congolais au sujet de ses regrets d’une justice qui, sous son mandat, n’aura pas été à la hauteur de ses attentes. Ces conversations se poursuivent d’autant plus que même après ces regrets, les travers de cette justice se poursuivent sans désemparer dans tous les prétoires et à tous les niveaux aussi bien des juridictions et des strates de la société. Avec une prépondérance, bien entendu, du plus fort sur le plus faible ; l’Etat étant devenu lui-même, par ceux-là même qui sont investis de son autorité ou par les démembrements de leurs familles biologiques et politiques, le principal protagonistes de la déchéance continue de la justice. Une déchéance devenue comme un sport national.
Les services dans un sport nationale de désacralisation de l’État au profit du plus offrant
Un sport qui semble avoir fait tant d’émules que tous les services et structures censés servir à préserver la paix, la cohabitation pacifique entre les populations par une justice équitable, la sécurité des biens et des personnes, la sûreté nationale, la protection de nos frontières ou encore la souveraineté nationale ; bref, tous ces services et structures sont ceux qui sont devenus aujourd’hui la source des malheurs de la majorité des compatriotes du fait de leur instrumentalisation par une frange des compatriotes. Cette frange justement qui a l’escendance sur ces services et structures parce qu’investie légalement du pouvoir de les mouvementer au mieux des intérêts du peuple tout entier et sans distinction.
Aujourd’hui , ce ne serait pas un crime quelconque ni une infraction de dire que nos services – ANR, DGM, CNS, la justice même, services spéciaux de la police, renseignements militaires, Garde républicaine, etc. – se sont vus délités de leurs nobles missions pour être mis au service de certains maîtres qui en ont fait leurs couteaux suisses pour servir leurs intérêts, au besoin et de plus en plus souvent, contre leurs propres compatriotes.
Homo homini lupus, dit un adage qui, bien malheureusement, colle harmonieusement à ce qui est fait aujourd’hui de tous ces services et structures qui, désormais, sèment plus la désolation, la division, la haine et tout autre antivaleurs éloignant les peuples les uns des autres plutôt que de les unir dans un idéal partagé de coprospérité. Ces dernières années – surtout ces derniers mois – sont symptomatiques de cette situation qui fait que l’Etat, par ces différents services – inspire plus la terreur que l’assurance. De la même manière que les Congolais ont pris l’habitude de craindre le pire lorsqu’ils se retrouvent nez à nez avec un policier (surtout la nuit), de la même une simple invitation de la justice vous inspire de rédiger illico son testament.
Sûreté de l’État ou intérêts du régime ?
Et le plus gros chagrin est que cette situation n’est pas le fait de la prédation isolée de certains «éléments incontrôlés » de ces différents services, mais une volonté délibérée de tous ceux qui peuvent les mouvementer de le lever sans état d’âme contre d’autres citoyens. Autrement on n’expliquerait pas pourquoi, par exemple, des éléments de la Garde Républicaine, censée assurer la sécurité de la seule famille du Chef de l’État et des hôtes de la République, peuvent se retrouver en faction devant des résidences privées, dans des cortèges et des fêtes mondaines, etc. On n’expliquerait pas cette montée de la présence des renseignements militaires dans des questions politiques ou, pire, dans le sport pour arrêter des dirigeants sportifs.
Ou encore cette omniprésence des militaires, membres des forces combattantes, dans des chantiers immobiliers simplement parce que le terrain est querellé et que le plus fort a réussi à lever la puissance publique contre son adversaire pour s’imposer. Dans ce genre de situation, c’est presque systématiquement celui qui mobilise la puissance publique qui a tort.
On ne revient pas, non plus, sur cette montée en puissance des préventions d’atteinte à la sûreté de l’Etat et autres du genre, seulement en cette période électorale. Des préventions qui frappent systématiquement et presqu’exclusivement des opposants au profit de ceux qui ont l’autorité de l’Etat tout en étant, eux aussi, protagonistes aux élections. Et en grattant sur le vernis, on découvre que ce concept de sûreté de l’État couvre plutôt, et presque dans tous les cas, les intérêts du régime au pouvoir…
Et pour ces préventions au contours indiscutablement politiques, on voit se lever la justice pour des détentions prolongées sans poursuites formelles, le renseignement militaire pour des arrestations spectaculaires à la Jack Bauer, des arraisonnements aux aéroports par l’ANR, la DGM ou tout autre service le plus zélé et le plus prompt à la besogne.
On ne revient plus sur la justice, à toutes les juridictions, qui est le point de départ du chagrin du Chef de l’Etat, magistrat suprême. Ce maillon le plus faible mais le plus porté au front de la déconstruction de l’Etat est aujourd’hui un appareil ou, mieux un repaire des artistes spécialisés en vaudevilles judiciaires qui font rire tout en saccageant la paix sociale.
Cette même justice qui, par exemple, s’est retrouvée sans vergogne, avec ses animateurs les plus en vue et supposés être les moins soupçonnables, à l’avant plan du début de maquillage de l’enquête sur l’odieux assassinat de Chérubin Okende.
Homme d’Etat, législateur et poète athénien du 6eme siècle avant Jésus-Christ, Solon affirme que « la société est bien gouvernée quand les citoyens obéissent aux magistrats et les magistrats aux lois ». À quelle loi donc obéissent nos magistrats?
Même les « institutions d’appui à la démocratie »…
Le chagrin des Congolais, c’est aussi la déchéance de leurs institutions dites d’appui à la démocratie qui se sont ostensiblement portés, eux aussi, au service d’autres maîtres que la démocratie. Il ne sert, à rien, en effet, de chercher des démonstrations pour montrer combien le CSAC est devenu la gorge qui tousse pour une toux d’autrui contre des médias et des professionnels de la presse. Son réveil coïncide systématiquement avec des situations embarrassantes pour ses maîtres.
Ou encore la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) qui, par exemple, ne s’était pas empêchée, pour les besoins d’une cause bien comprise, de prendre une déclaration tendant à édulcorer la condamnation, par le Ministre des droits humains, de la violente répression de la marche de l’opposition en mai 2023.
Des exemples et des cas peuvent être multipliés pour souligner la situation de déchéance sociale dans laquelle se trouve la RDC par le fait du dévoiement de toutes les structures et services censés concourir à préserver, consolider et entretenir la paix et l’unité nationale. La société congolaise vit comme un schisme qui met, d’un côté, une frange de privilégiés protégés par ces services et structures de l’État , et, de l’autre, la large majorité de ces compatriotes opprimés au moyen de ces mêmes services et structures utilisés par cette autre frange des privilégiés.
Et même en écrivant ceci jusqu’à cette dernière phrase, nous nous demandons ce qui va nous advenir. Parce que nous sommes, à ce point, contraint à l’autocensure comme rempart pour la survie professionnelle… ou même la survie tout court…
Jonas Eugène Kota