Lutte contre le blanchiment d’argent : La RDC exposée aux sanctions financières internationales

La République démocratique du Congo court le risque de subir des sanctions du Groupe d’Action Contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale (GABAC) et du le Groupe d’Action Financière sur le Blanchiment des Capitaux (GAFI) pour déficit d’efforts dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ces sanctions peuvent consister en l’inscription du pays sur une liste noire, ce qui pourrait affecter gravement le secteur bancaire et financier du pays dans ses transactions internationales suite à des embargos, par exemple, pouvant toucher surtout les banques évoluant en RDC. Sur 40 recommandations faites par les instances africaines et mondiales attitrées, le pays n’a accompli, à ce jour, que 6 seulement, soit un taux de satisfaction de 15% depuis la mise en place, en août 2018, des mesures de Lutte contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme .

C’est ce qui ressort du rapport d’évaluation mutuelle de la RDC sur les efforts fournis par le Gouvernement dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, rapport établi et adopté en 2020 – mais publié seulement ce mois de juillet 2022 – par le Groupe d’Action Contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale (GABAC) qui est une institution spécialisée de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et un Organisme Régional de Type GAFI (ORTG) qui promeut des politiques afin de protéger le système financier des Etats membres contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.

Les Etats de la juridiction du GABAC ont formellement reconnu les normes du Groupe d’Action Financière (GAFI) comme standards de référence en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Le GAFI regroupe 37 pays et territoires ainsi que des organisations régionales telles que  l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Canada, la Chine, la Commission Européenne, le Conseil de coopération du golfe , la Corée, le Danemark, l’Espagne, les Etats-Unis, la Russie, la Finlande, la France, la Grèce, Hong Kong, l’Inde, Israël, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Malaisie, le Mexique, le Royaume-Uni, Singapour, la Suède, la Suisse, la Türkiye, l’Union européenne, etc.

Congo Guardian publie ci-dessous la synthèse des conclusions de ce rapport de 180 pages.

SYNTHESE DU RAPPORT D’EVALUATION MUTUELLE DES MESURES DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME EN RDC (Avril 2021)

Les autorités compétentes de la RDC ont globalement une faible compréhension des risques de blanchiment des capitaux et financement des capitaux (BC/FT) auxquels est exposé le pays. Toutefois, elles ont adopté la loi n°04/016 du 19 juillet 2004 pour encadrer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elles ont par ailleurs pris des initiatives institutionnelles visant à renforcer cette lutte, notamment la création de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF), du Comité consultatif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLUB), du Comité National de Coordination de Lutte contre le Terrorisme international (CNCLT), du Fonds de Lutte Contre le Crime Organisé (FOLUCCO) et de l’Observatoire de Surveillance de la Corruption et de l’Ethique Professionnelle (OSCEP). Mais ce cadre juridique n’est pas adapté aux Recommandations du GAFI, telles que révisées en 2012, et les ressources mobilisées ne permettent pas au cadre institutionnel de produire les résultats satisfaisants.

La RDC est particulièrement exposé à des risques de blanchiment des capitaux liés à l’intégration dans le système financier des produits issus de la corruption, des détournements de deniers publics, de la fraude douanière et fiscale, du braconnage, du trafic d’espèces fauniques et d’essences forestières protégées, du trafic des minéraux. Ces risques sont accentués par des vulnérabilités inhérentes à l’importance du secteur informel, la prépondérance de l’utilisation du cash dans les transactions financières, le faible niveau de l’inclusion financière et l’insuffisance du cadre législatif et réglementaire encadrant les Entreprises et Professions Non Financières Désignées (EPNFD) et les ASBL.

Le risque de financement du terrorisme est également important en raison du contexte sécuritaire marqué par l’activisme de groupes et bandes armés, l’instabilité de certains pays voisins dans la partie orientale et la porosité des frontières.

La RDC n’a pas encore défini des procédures et mécanismes de traitement des listes établies au titre des Résolutions 1267 et 1373 de Nations Unies, d’où la difficulté de mise en oeuvre des sanctions financières ciblées contre les personnes listées. Les procédures de gel et confiscation des avoirs et autres biens des terroristes ne sont ni définies, ni mises en oeuvre.

La RDC dispose d’une cellule de renseignements financiers (CENAREF) qui traite, analyse et dissémine les déclarations qu’elle reçoit des entités déclarantes relatives aux soupçons de BC/FT. Le nombre de DOS reçues par cette cellule reste très faible au regard de la démographie et du potentiel délictuel du pays. Vingt (20) rapports ont été transmis aux autorités judiciaires, mais un seul a donné lieu à un jugement à la suite d’une requalification des faits. La CRF congolaise a une opérationnalité limitée. Elle ne dispose pas de système de sécurisation fiable des informations. La protection des informations transmises à cette structure est souvent remise en cause par certains assujettis qui expliquent ainsi la faiblesse du nombre de Déclaration d’opérations suspectes (DOS) transmises malgré la structuration de l’environnement criminogène.

Le dispositif congolais de LBC/FT est fragilisé par la capacité et l’intégrité morale assez limitées des enquêteurs et des magistrats dans le cadre des poursuites judiciaires sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.  Les insuffisances du cadre législatif et réglementaire laissent certaines Institution financière (IF) et EPNFD en dehors du champ d’application de l’ensemble des mesures préventives relatives à la LBC/FT. En ce qui concerne le devoir de vigilance relatif à la clientèle, des instructions ont été publiées par la Banque Centrale du Congo (BCC) pour compléter et faciliter l’application de la loi anti-blanchiment, en vue de la mise en oeuvre efficiente des obligations de vigilance. Celles-ci ne s’appliquent cependant qu’aux Etablissements de crédit (banques, Institution de microfinance, COOPEC, caisses d’épargne, institutions financières spécialisées, sociétés financières), excluant les autres institutions financières du champ d’application, notamment le secteur des assurances, les établissements de monnaie électronique et les services financiers de la Poste.

Le secteur bancaire de la RDC a globalement une compréhension basique des risques de BC/FT et met en oeuvre les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle et de vigilance constante des opérations, quoique de manière peu satisfaisante. Par contre, les secteurs de la microfinance et des coopératives d’épargne et de crédit, de change manuel, de transfert de fonds et de valeurs, de monnaie électronique ou encore celui des assurances, n’ont aucune compréhension des risques de BC/FT que représentent leurs clients, produits ou services ; ce qui se traduit par une faible mise en oeuvre des mesures préventives par les acteurs de ces secteurs dont certains sont pourtant confrontés à des risques élevés de BC/FT. De manière générale, la mise en oeuvre satisfaisante de l’obligation de vigilance est confrontée au défaut de pièces d’identification sécurisées en RDC, ce qui rend difficile la connaissance du client.

Au niveau de la régulation et du contrôle, la BCC a une certaine compréhension des risques de BC/FT. Elle a mis en place des mécanismes de contrôles prudentiels périodiques qui incluent des contrôles sur place, mais leur efficacité est toutefois limitée. L’approche de cette supervision n’est pas fondée sur les risques de BC/FT étant donné qu’aucune étude visant à établir les risques sectoriels n’a encore été menée et les sanctions prononcées ne concernent pas le volet LBC/FT alors que les institutions financières présentent des défaillances en la matière.

L’Agence de Régulation et de Contrôle des Assurances (ARCA), de création récente, ne dispose pas encore de méthodologie et d’outils appropriés pour assurer une supervision de LBC/FT dans le secteur des assurances. Le secteur des Entreprises et Professions Non Financières Désignées (EPNFD) est dépourvu d’autorités désignées de supervision en matière de LBC/FT, malgré les risques élevés de BC/FT qu’il représente dans une économie marquée par l’informel et une circulation abondante du cash. La RDC dispose d’un cadre juridique satisfaisant en matière d’entraide judiciaire et d’extradition. L’effectivité de sa mise en oeuvre demeure toutefois très limitée dans le domaine de la LBC/FT du fait de l’inexistence de demandes reçues et de requêtes émises.

La coopération des autorités compétentes en matière de LBC/FT est relativement active au niveau de la CENAREF qui, bien que n’étant pas membre du Groupe Egmont, échange des renseignements de manière réactive avec des homologues étrangers avec lesquels elle a signé des protocoles d’entente. Elle est cependant moins perceptible au niveau des autorités de régulation et de contrôle des IF, de la douane et de la police qui pourtant disposent des pouvoirs légaux et réglementaires pour conclure des accords de coopération leur conférant la capacité générale de partager des informations avec des homologues étrangers dans le cadre de leurs missions. En outre, la douane congolaise est membre de l’OMD et la police est membre de l’OIPC-Interpol (Organisation International de Police Criminelle). Ces deux organismes internationaux offrent des plateformes d’échanges d’informations.

B- RISQUES ET SITUATION GENERALE

2. La RDC fait face à un éventail de facteurs qui l’exposent à des activités criminelles de BC/FT. La structuration de son économie avec une prépondérance du secteur informel, la forte utilisation du numéraire du fait du faible niveau d’inclusion financière, la forte dollarisation de l’économie du fait du faible contrôle opérationnel des changes, l’absence d’un système d’identification fiable, la corruption généralisée créent un environnement criminogène propice aux activités de blanchiment de capitaux. Ces risques sont accentués par la perpétration de crimes économiques et environnementaux générateurs de produits susceptibles d’intégrer le processus de blanchiment tels que : les détournements des deniers publics, la fraude douanière et fiscale, l’exploitation illégale de ressources naturelles, la criminalité faunique et ligneuse.

3. Le pays est également exposé aux menaces du terrorisme et de son financement du fait de la présence de groupes et bandes armés pouvant exploiter divers trafics illicites, de son environnement géographique et sécuritaire immédiat, notamment avec l’instabilité de certains pays voisins accentué par la porosité des frontières.

C- NIVEAU GLOBAL D’EFFICACITE ET DE CONFORMITE TECHNIQUE

4. La RDC a mis en place un système de LBC/FT au niveau d’efficacité encore relativement faible, en dépit de l’engagement sans équivoque des autorités politiques à combattre ces fléaux. On relève des insuffisances notoires dans la mise en oeuvre de certains mécanismes essentiels tels que la coordination nationale, la définition d’une politique de lutte mettant en exergue l’approche basée sur les risques et la surveillance des institutions financières et les EPNFD.

5. En ce qui concerne la conformité technique, le cadre juridique élaboré en 2004 n’a pas essentiellement connu des mises à jour pour s’arrimer aux évolutions des normes internationales, notamment aux Recommandations du GAFI de 2012.

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