La crise sécuritaire dans le Nord de la RDC ne fait l’objet d’un intérêt approprié dans l’action des institutions publiques. Aussi bien au parlement qu’au sein du Gouvernement, à la présidence de la République et même dans les médias, la région des Uélé est la grande oubliée alors que le pays y vit un grand bourbier sécuritaire avec des pertes en vies humaines, l’exploitation illicite des ressources congolaises, les incursions des armées des pays voisins, etc. ; tout cela dans une indifférence officielle devenue déconcertante.
Ancien député national de Dungu, dans la province du Haut-Uélé, Xavier Bonané Ya Nganzi donne de nouveau de la voix pour sensibiliser sur cette situation afin de susciter sa prise en charge conséquente. Il a été l’invité du programme « Lolaka ya Uélé », une initiative d’expression des communautés mise sur pieds par le Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) et « Ebuteli », deux organisations qui produisent des rapports et des recherches sur la RDC.
Les récents bulletins sécuritaires dans la zone citent le territoire de Faradje, dans la province du Haut-Uélé, comme l’une des principale zones d’activisme des groupes armés qui est confronté à l’incursion des groupes venant du Sud-Soudan. Cette zone avait déjà été le théâtre, en septembre 2023, d’un affrontement entre l’armée régulière sud-soudanaise et un groupe armé du même pays.
D’autres incidents ne se comptent plus, notamment la dernière incursion à Adawu 2 en date du 11 juillet 2024 et qui avait fait des morts et des blessés.
Dans le territoire voisin de Watsa, le mois de septembre a été marqué par une série d’attaques armées à Moku, en chefferie Mariminza où un engin explosif a été découvert.
Le troisième territoire qui est aussi affecté par cette dynamique est celui de Dungu, victime des incursions des groupes armés aussi bien sud-soudanais que centrafricains, tchadiens et autres libyens nomades.
Pour mieux faire comprendre cette situation, Bonane Ya Nganzi commence par identifier les acteurs de cette insécurité qu’il stratifie en deux catégories essentielles. Il y a des incursions des groupes armés des pays limitrophes qui font des incursions en territoires congolais, notamment sud-soudanaises et centrafricaines, qui exercent des poursuites de leurs rébellions nationales sur le territoire congolais d’où opèrent parfois celles-ci qui viennent s’y réfugier.
La seconde catégorie est celle de la SPLA, l’armée régulière sud-soudanaise, qui fait aussi des incursions souvent à Faradje en poursuite de leurs rébellions dont les membres se réfugient souvent dans les camps des réfugiés.
La situation, explique encore Bonané Ya Nganzi, est assez compliquée du fait que ces réfugiés se dissimulent parmi la population et les communautés qui sont les mêmes de part et d’autre de la frontière. Il s’agit, entre autres, des peuples logo, mondo, baka, azande.
Ces supposés réfugiés vivent souvent en familles et échappent ainsi à tout contrôle, ce qui fait que l’armée régulière sud-soudanaise vient souvent les poursuivre en territoire congolais.
Si l’armée régulière sud-soudanaise justifie ses incursions par le droit des poursuites, celles des groupes armés se justifient aussi par des raisons d’exploitation des ressources naturelles congolaises, notamment le bois et l’or, ainsi que le braconnage dans le parc national de la Garamba qui s’étend sur Faradje et Dungu.
Qui sont donc ces groupes armés ? Les plus en vue sont les forces résiduelles, mais très actives, de les LRA ougandais qui sont les plus anciens dans la zone. Il y a ensuite les UDA qui sont essentiellement des libyens se déplaçant à cheval et se livrant au braconnage.
Les SELEKA centrafricains sont aussi répertoriés, ainsi que les NASF (National Salvation Front) qui sont des sud-soudanais. Ce groupe se greffe souvent sur les camps des réfugiés sud-soudanais sous la conduite de leur chef, Justine Mario.
Autre groupe armé, l’UPC, Union pour la paix en Centrafrique, dirigé par Ali Darasa. La particularité de ce chef milicien est qu’il s’agit d’un Nigerien qui dirige aussi les Mbororo dans la zone de Wombo d’où il planifie ses opérations.
On cite aussi la SPLA, l’armée sud-soudanaise, qui est très active en territoire congolais où elle opère jusqu’à Aru, dans l’Ituri.
« Ces incursions sont accompagnées d’incendies, de pillages des villages congolais, des tueries ainsi que des arrestations des Congolais qui sont déportés vers les pays voisins », déplore le député honoraire Bonané Ya Ngazi. Celui-ci souligne aussi un élément nouveau dans la cartographie de la crise sécuritaire au Nord du pays en faisant savoir l’apparition des groupes d’autodéfense aussi bien au sud-soudan qu’en Centrafrique, particulièrement au sein des communautés azande qui estiment être les plus grandes victimes de l’activisme armé dans ces zones.
Du côté sud-soudanais, ce sont les jeunes qui se regroupent aussi pour protéger leurs communautés « parce que les milices sévissent aussi dans les zones zande ».
« Ces deux groupes agissent sur terrain et débordent allègrement en territoire congolais puisqu’ils disent agir pour leurs communautés qui se trouvent aussi de ce côté de la frontière », fait observer Bonané dans cette nouvelle configuration qu’il considère comme étant les « wazalendo » communautaires dans cette partie du pays.
La grande confusion dans cette zone vient donc principalement du fait que les groupes qui agissent ne tiennent pas compte des frontières, puisqu’ils considèrent la dimension communautaire qui est transfrontalière.
Abordant la situation sécuritaire dans le territoire de Watsa, Xavier Bonané prévient tout de suite qu’il s’agit d’un phénomène différent, car ce territoire n’est pas affecté par les différents groupes ci-haut énumérés. Les différents monitorings expliquent ces violences comme provenant du Nord-Kivu.
« Lorsqu’on opère des arrestations de malfrats recherchés dans ce territoire, on constate qu’il n’y a aucun fils du territoire, ni même des miliciens sévissant plus au Nord », fait-il remarquer avant d’ajouter : « Il y a majoritairement les enfants du Nord-Kivu et des enfants de l’Ituri dans une moindre mesure. » On est donc en train d’assister à l’exportation des violences de Beni, Butembo et autres vers ces territoires des Uélé qui deviennent le théâtre des opérations d’ailleurs avec des dégâts collatéraux que l’on peut imaginer en termes de vols, viols, braquages et tueries, sans oublier les règlements des comptes qui s’installent dans cette zone de Watsa particulièrement aurifères.
« Plus d’un milliard de dollars circulent dans cette zone et attirent tous les criminels qui viennent, chacun, user de sa méthodologie pour s’accaparer d’une part de ce pactole », déplore Bonané Ya Nganzi qui conclue : « Ce n’est pas un banditisme local ».
Et qu’en est-il de la situation à Dungu qui se situe dans une zone triangulaire entre la RDC, le Sud-Soudan et la Centrafrique ? « Cette zone connaît un calme précaire, mais en l’état actuel, le ressenti de la population le prouve », note Bonané qui signale des incursions du côté de Doruma, notamment, depuis le mois d’octobre dernier.
Toutes ces dynamiques affectent le vécu quotidien des populations et nécessitent une attention appropriée des autorités, estime Bonané Ya Nganzi. « La population est obligée de changer de mode de vie », déplore l’ancien député de ce territoire de Dungu.
Cette population essentiellement sédentaire et qui s’adonne à l’agriculture, est victime de la dévastation des champs par les cheptels des Mbororo. Elle ne sait plus faire la pêche, car tous les déplacements les exposent à des attaques des milices nomades.
Cela entraîne la chute de la production locale et, partant, l’aggravation de la pauvreté qui, elle, cause des déplacements des populations.
Quant aux mécanismes de coopérations militaires entre les pays limitrophes, Bonané Ya Nganzi souhaite vivement que ce genre d’approches se multiplie le long de la frontière poreuse. « Les trois pays sont obligés de développer des mécanismes de collaboration, non seulement parce qu’ils ont les mêmes problèmes et les mêmes ennemis, mais aussi parce qu’ils ont des intérêts communs », conclue-t-il. Il préconise, entre autres mesures, une coopération, non pas seulement de pays à pays, mais aussi de province à province.
JEK