Document/Comprendre l’affaire Stanis Bujakera et saisir le péril qui guette la liberté de la presse en RDC

Le document ci-dessous est un condensé du dossier judiciaire du journaliste Stanis Bujakera au Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe. Il retrace toutes les péripéties d’un procès qui s’avère, à tous points de vue, sans objet, le ministère public n’ayant pas réussi à articuler le moindre grief sérieux ni avancer des preuves probantes.

Tout, dans cette affaire, transpire une main politique. Mais le plus grave est l’objectif ultime de la démarche qui vise le musèlement pur et simple de toute la presse congolaise.

Le ministère public l’a requis le 8 mars dernier dans son réquisitoire en parlant d’un verdict (20 ans de prison) pour « donner une leçon » à la presse.

Ce lundi 18 mars 2024, à 48 heures du prononcé du verdict, les associations professionnelles des journalistes congolais (UNPC, JED, J.A, MILRDC, etc.) ont publié ce dossier contenant aussi leur appel, non pas seulement à la relaxe du confrère Bujakera, mais aussi à la mobilisation contre le musèlement des journalistes. Jamais la RDC n’a connu un tel recul démocratique avec ce genre de menaces directes contre la liberté de la presse.

Stanislas Bujakera Tshiamala a été arrêté le 8 septembre 2023. Cela fait presque sept mois que ce journaliste internationalement reconnu, correspondant de Jeune Afrique et de Reuters, directeur de publication adjoint d’Actualité.cd, père de deux enfants en bas âge, est privé de liberté, qu’il est empêché de faire son métier et qu’il passe ses nuits dans une cellule avec dix autres détenus.

Cela fait presque six mois que son procès est ouvert devant le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe.

Il est accusé d’avoir fabriqué et relayé sur la messagerie Whatsapp un rapport de l’ANR qualifié de faux par les autorités portant sur la mort de l’ancien ministre des transports et opposant Cherubin Okende.

Ce rapport a servi de base à des articles publiés par plusieurs médias dont Jeune Afrique. Les avocats ont pointé audience après audience les défaillances dans ces accusations.

  • Ils ont rappelé que le journaliste n’était pas l’auteur de l’article incriminé, que le parquet était en possession de messages internes à Jeune Afrique où Stanis Bujakera expliquait à l’un de ses collègues de Jeune Afrique qu’il ne s’était pas occupé de ce dossier. Une pièce que l’accusation s’était bien gardée de verser au dossier, ce que nous avons corrigé.
  • Ils ont rappelé que le parquet accusait à la fois notre client d’avoir reçu d’un compte télégramme un document qualifié de faux et de l’avoir fabriqué. Mis face à cette contradiction, nous l’avons entendu nous expliquer que notre client aurait pu se l’envoyer à lui-même d’abord sur Télégramme, puis sur Whatsapp. Comble du ridicule.
  • Ils ont entendu qualifier Stanis Bujakera de “diable” trahissant la haine que toute cette procédure sous-tend. Il n’y avait rien d’autre qu’un avis de recherche au dossier avant l’arrestation de notre client. Il est daté du 7 septembre 2023. Stanis Bujakera était donc déclaré en fuite alors qu’il n’a jamais été convoqué.
  • Ils ont entendu que le ministère public déclaré à l’audience du 8 mars que la condamnation de Stanis Bujakera servira de leçon aux journalistes dont Patient Ligodi, son collaborateur à ACTUALITE.CD
  • Ils ont pointé que le parquet n’avait apporté aucun élément de preuve que ledit document avait été fabriqué par Stanis Bujakera, il n’a présenté ni le faux sceau, ni prouvé que la signature était de la main de Stanis Bujakera. Il n’a pas présenté les outils qui auraient permis à notre client de le fabriquer.
  • Ils ont relevé que le parquet n’avait fourni aucune capture écran d’un quelconque message accompagnant la transmission du dudit document. Il parle de partager sur Telegram et Whatsapp, il a été en possession des téléphones de notre client pendant plusieurs semaines et il n’est pas capable de fournir au tribunal une quelconque photo des échanges dont il parle.
  • Les avocats de Stanis Bujakera ont prouvé que le sceau qualifié de vrai par l’Accusation et opposé au faux qui se trouverait sur le document incriminé était lui-même un faux. Puisqu’à la demande des avocats, l’ANR a produit un spécimen de sceau encore différent des deux premiers. Qui a fabriqué le faux sceau de l’ANR produit par le parquet ? Pourquoi se retrouve-t-on aujourd’hui avec trois sceaux différents ? Cela devrait faire l’objet d’une enquête et les coupables devraient être poursuivis.
  • Ils ont demandé une contre-expertise sur l’analyse des métadonnées et d’une adresse IP qui auraient lié le document incriminé à Stanis Bujakera. Le parquet a affirmé être parvenu, grâce à une machine coûtant 14 000 dollars qu’il n’a pas été capable de nommer, à extraire des métadonnées d’une photo du document partagé sur Telegram puis whatsapp. Les deux sociétés ont publiquement dit que c’était techniquement impossible, ce qui a été confirmé par des experts internationalement reconnus.
  • L’Accusation a également cité une adresse IP et affirme qu’elle a permis de lier l’envoi dudit document à Stanis Bujakera. Cette adresse IP était utilisée par un serveur en Espagne. La société qui en est propriétaire, Bullhost, a même publiquement expliqué que ce serveur était à usage interne, qu’il ne communique aucune information au monde extérieur, pas plus à Stanis Bujakera qu’à un autre.
  • Face à toutes ces incohérences, les avocats ont cessé de solliciter auprès du tribunal une contre-expertise sur l’ensemble des éléments pseudo-techniques fournis par le parquet et château de cartes sur lequel se base toute l’accusation. Un expert agréé, greffier dans une autre cour, a été désigné. Les avocats ont dit qu’il n’avait ni la compétence, ni le matériel pour mener cette contre-expertise. Il a jeté l’éponge au bout de deux mois.
  • Les avocats ont fourni au tribunal les noms d’experts nationaux et internationaux qu’il a refusé d’entendre. Ils auraient pourtant dit ce que tout le monde sait. Le dossier contre notre client a été monté de toute pièce et dans la précipitation.
  • A l’audience du 8 mars 2024, l’expert désigné par le tribunal ne s’est pas prononcé sur les accusations de fabrication du sceau ou d’imitation de la signature par Stanis Bujakera.  Il n’en fait même pas mention dans son rapport, il a conclu qu’il lui été difficile de confirmer que le document incriminé était diffusé en premier par le journaliste.
  • Les avocats ont relevé tous ces éléments accablants à chaque demande de mise en liberté provisoire. Le parquet, lui, n’en avait qu’un seul : Stanis Bujakera est résident américain donc susceptible de fuir. Comme si cela faisait de lui un mauvais citoyen. Les avocats en ont introduit 7. Elles ont toutes été rejetées.
  • Nous avons suivi comme vous sur les réseaux sociaux des professionnels des médias, des représentants des plus grandes organisations de défense des droits de l’homme et des droits des journalistes, nationales et internationales, des artistes partout à travers le monde s’indigner de cette situation semaine après semaine.
  • À cause de ce dossier, la RDC fait l’objet d’une plainte devant le groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires.
  • Nous avons entendu le président de la République et premier magistrat de ce pays constater que notre client était “peut-être victime des tergiversations de la justice”. Nous avons espéré que de le voir annoncer qu’il allait “mettre son nez” dans ce dossier allait provoquer un sursaut.

Nous allons continuer de nous battre à ses côtés jusqu’à ce que les faits soient reconnus, qu’une justice équitable soit rendue et que Stanis Bujakera soit libéré et acquitté de toutes les charges qui pèsent injustement contre lui.

Au regard de tout ce qui précède, et après avoir suivi les réquisitoires du Ministère Public qui a requis 20 ans de prison contre notre confrère, et à 48h du verdict de ce procès injuste, Nous, les Organisations professionnelles de la Rdc, nous lançons un appel vibrant aux Juges du Tribunal de Grande Instance de la Gombe, pour qu’ils fassent montre d’un ultime sursaut d’honneur et d’indépendance, en ordonnant l’acquittement pur et simple de Stanis Bujakera. 

En tout état de cause, et quel que soit le verdict qui sera prononcé à son sujet ce mercredi 20 mars 2024, l’histoire retiendra que ce journaliste était Innocent de toutes les accusations portées contre lui. Que le procès de Stanis Bujakera était un procès politique. Son arrestation et sa détention pendant plus de 6 mois constituent des plus graves atteintes à la liberté de presse et d’expression que les autorités congolaises pouvaient commettre et elles l’ont fait. 

Face aux périls qui menacent les fondements mêmes de la démocratie dans notre pays, nous, journalistes et professionnels des médias congolais, nous devons restés mobilisés contre toute tentative de confiscation ou remise en cause de nos espaces de liberté chèrement conquises. Car, à travers le procès Stanis Bujakera, c’est l’avenir de la presse libre et indépendante qui est en danger.

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