RDC : « Bifort », Kahasha, Alain Foka où Nicolas Kazadi ? L’affaire Fortunat Bisele livre de nouvelles révélations

Salace, le mot n’est pas assez fort pour qualifier la trame de la crise au sommet de l’Etat dans l’affaire d’une supposée haute trahison attribuée à Biselele, dit « Bifort », du temps de sa proximité avec le chef de l’Etat dont il était le Conseiller privé jusqu’à un passé très récent. Mis aux arrêts suite à des propos, jugés compromettants contre le chef de l’Etat, qu’il avait tenu dans un numéro de la série du dossier des mines en RDC, série conduite par le journaliste Franco Camerounais Alain Foka, Fortunat Biselele doit passer au procès à partir du 6 juin prochain pour répondre du chef d’accusation principale d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Une prévention facilement arrêtée suite à ses vieilles relations avec Kigali remontant à l’époque de la rébellion du RCD dont il était membre.

Mais un article de jeune Afrique, qui dit avoir léché de son regard quelques fines feuilles des PV d’audition de « Bifort », vient jeter une nouvelle lumière sur cette affaire où se mêlent à la fois des manœuvres politiciennes et une démarche de marketing du journaliste Foka. Celui-ci, selon le confrère Jeune Afrique semble avoir joué, plus qu’un journalisme et même un producteur qu’il est, un délicat rôle de facilitateur dans une opération de pré-campagne électorale. Donné pour avoir séjourné à Kinshasa dans le cadre de son dossier sur les mines, Foka se retrouve curieusement dans le bureau de Nicolas Kazadi, ministre des finances, où se concocte un documentaire de campagne. Et se retrouve comme un rabatteur pour convaincre des personnages qui doivent intégrer son scénario.

Entre-temps, un autre proche du chef de l’Etat, Pacifique Kahasha, est présenté comme celui qui aurait obtenu les autorisations nécessaires auprès du Président de la République pour que son « missi dominici » (Bifort) parlât. Proche de Vital Kamerhe, ancien Dircab de Tshisekedi, tombé lui aussi en disgrâce suite à l’affaire du programme de 100 jours du chef de l’Etat, Kahasha lui-même avait été brièvement arrêté avec Biselele avant de recouvrer sa liberté.

Bref, on assiste à un enchevêtrement de faits qui, dans le fond, ne seraient pas mieux que de peccadilles (comme dans le dossier François Beya), mais qui ont pris de l’épaisseur avec le contexte de la diffusion de l’émission où sont reprise des bribes de l’entretien de Foka avec « Bifort ». L’incriminé déclare, toujours selon les fines feuilles de PV consultées par J.A, avoir envoyé Foka dans les maïs en lui racontant des cracks – le fameux deal entre Kagame et Fatshi sur les minerais congolais – afin de détourner son attention de ce que lui, Biselele, allait faire à Kigali dans ses missions.

Mais c’est justement sur ces cracks que Biselele est poursuivi dans une affaire qui, en définitive, a les atours d’un règlement de comptes politiques qu’une sérieuse affaire d’indélicatesse avec une quelconque sûreté de l’Etat.

Congo Guardian propose, ci-dessous, la publication de jeune Afrique qui jette une nouvelle lumière sur ce qui devient finalement une « affaire Foka ».

« Fortunat Biselele : les secrets d’une disgrâce » (1/2). Alors que l’ancien conseiller de Félix Tshisekedi doit comparaître le 6 juin pour « trahison, atteinte à la sûreté de l’État et propagation de fausses nouvelles », JA a eu accès aux PV de ses auditions. Et il y est longuement question de son interview avec le journaliste Alain Foka…

Incarcéré à la prison de Makala depuis le 20 janvier dernier, Fortunat Biselele, dit « Bifort », était jusqu’à son éviction de la présidence l’un des plus proches confidents de Félix Tshisekedi. Conseiller privé du chef de l’État depuis le début de son mandat, il était aussi – et surtout – l’homme des missions sensibles. Son arrestation a fait l’effet d’une bombe. Difficile à l’époque d’y voir clair dans les faits reprochés au très discret bras droit de Tshisekedi, connu pour ses contacts étroits avec Kigali.

Poursuivi pour « trahison, atteinte à la sûreté de l’État et propagation de fausses nouvelles », « Bifort » sera jugé à partir du 6 juin devant le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe. Le 29 janvier, Richard Bondo Tshimbombo, l’un de ses avocats, a écrit à la ministre de la Justice, Rose Mutombo Kiese, afin de lui demander de faciliter le transfert de son client à l’hôpital au motif que « la rupture brutale des soins et la torture morale » qu’il subirait « depuis son extraction musclée de l’hôpital militaire du camp colonel Tshatshi aggravent […] son état de santé ».

Dans la foulée de son interpellation le 14 janvier, il a été détenu pendant sept jours dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement (ANR). Fortunat Biselele y a été entendu à trois reprises par les enquêteurs : une première fois le jour même dans l’après-midi, puis à deux reprises le 17 janvier. Jeune Afrique s’est procuré les procès-verbaux de ses auditions, ainsi que la note de l’Office de police judiciaire (OPJ) rédigée le 18 janvier.

Propos sensibles

Parmi les préoccupations des enquêteurs de l’ANR figure l’interview que Fortunat Biselele a accordée au journaliste et producteur Alain Foka dans le cadre d’une émission consacrée à la RDC et à la crise avec le Rwanda, diffusée sur Youtube le 6 janvier.

Sorti de sa réserve habituelle, Biselele y avait évoqué l’existence d’arrangements économiques à des fins sécuritaires entre Kinshasa et Kigali – arrangements noués à l’initiative de Félix Tshisekedi au début de son mandat. Des propos extrêmement sensibles en pleine guerre avec les rebelles du M23, que Kinshasa accuse le Rwanda de soutenir.

Qui est vraiment Alain Foka ?

Lors de sa première audition, l’ex-conseiller est longuement revenu sur cette émission. Il explique avoir rencontré Alain Foka en septembre 2022 dans le bureau du ministre des Finances, Nicolas Kazadi. Il assure avoir refusé une première proposition d’interview, avant d’accepter quelques mois plus tard. L’entretien a eu lieu à son domicile, le 29 décembre 2022. « [Alain Foka] m’a dit que je devais intervenir pour évoquer la bonne foi du Président Tshisekedi vis-à-vis du Rwanda », explique-t-il aux enquêteurs pour justifier son apparition face caméra.

Fortunat Biselele dit avoir reçu en amont l’accord du chef de l’État, un feu vert qui lui a été confirmé, assure-t-il, par Pacifique Kahasha, chargé de mission de Félix Tshisekedi. Arrêté en même temps que « Bifort » mais relâché peu de temps après, Kahasha a aussi répondu aux questions des enquêteurs le 14 janvier. Dans les locaux de l’ANR, ce proche de Vital Kamerhe est revenu sur son rôle dans l’émission de Foka, qu’il présente comme un « ami » et qu’il a connu via son frère, Alain Kahasha, ex-directeur d’Airtel au Niger.

« Cadeau de Noël »

Le chargé de mission explique avoir été désigné par Tshisekedi pour gérer, avec le journaliste, « la réalisation d’un documentaire devant servir à préparer la campagne ou à [en] être l’un des supports ». Selon Kahasha, la liste des intervenants mandatés du côté des autorités congolaises avait été validée par le Président, qui devait revoir le contenu avant publication. Sur cette liste figure bien, selon lui, Fortunat Biselele, même s’il conteste avoir obtenu l’accord spécifique du chef de l’État pour l’intervention filmée de celui-ci. « Bifort est hiérarchiquement mieux placé que moi pour ne pas soutenir que c’est moi qui ai obtenu l’accord du chef pour qu’il intervienne ».

Pacifique Kahasha semble toutefois faire la différence entre l’existence d’un « documentaire de campagne », qui devait faire l’objet d’une éventuelle « censure », et l’interview du 6 janvier à l’origine de l’affaire. « Ceux qui ont participé [à cette émission] ne savait pas que c’était dans ce cadre, explique-t-il. Tout ce que j’ai fait, c’était informer le chef qu’Alain Foka devait, comme cadeau de Noël […], tourner une chronique et il avait approuvé. […] La chronique a été très appréciée, même par le chef ». Kahasha se refuse ensuite à commenter les déclarations de l’ex-conseiller.

Missions rwandaises

À l’époque, l’émission a fait grand bruit : Biselele y esquisse les contours d’une proposition qu’aurait faite Félix Tshisekedi à son homologue, Paul Kagame : « Nous sommes un pays riche, nous sommes des voisins et aucune guerre ne fera déplacer nos frontières, nous sommes des voisins à vie. Moi je vous propose de mettre ensemble des projets où nous allons jouer gagnant-gagnant. J’ai des minerais chez moi qui vous intéressent. Avec votre carnet d’adresses, vous pouvez contacter des investisseurs à travers le monde et nous allons travailler ensemble pour développer la zone. »

L’évocation de ce partenariat « win-win », selon les termes du conseiller, a immédiatement déclenché une vive polémique alors que la guerre avec le M23 bat son plein.  Selon la note d’OPJ, “l’incriminé savait pertinemment bien que pareils propos feront passer l’Autorité suprême comme étant un complice du pouvoir rwandais”. La gestion de ce conflit a, depuis mars 2022, fracturé la présidence congolaise entre partisans d’une ligne dure et ceux plus enclins à un dialogue avec Kigali.

Biselele, ancien de la rébellion du RCD-Goma, est réputé avoir conservé des liens étroits avec le Rwanda. Il y a notamment effectué de nombreux déplacements au début du mandat de Tshisekedi, lorsque ce dernier souhaitait se rapprocher de son voisin. Diffusée dans un contexte de crise diplomatique entre Kinshasa et Kigali, l’interview de Fortunat Biselele a rapidement suscité la crispation des autorités et ce, jusqu’au plus haut niveau de l’État.

Retour à l’ANR. Lors de son premier interrogatoire, le 14 janvier, les enquêteurs lui ont demandé s’il reconnaissait que cet entretien a « mis à mal le chef de l’État » et donnait « de la matière à ceux qui tirent sur lui en disant qu’il y a eu un deal avec le Rwanda ». S’il admet avoir été « maladroit » et « indélicat » dans ses propos, « Bifort » n’hésite pas à rejeter une partie de la faute sur Alain Foka, qu’il qualifie de « manipulateur » et qu’il présente comme un journaliste « recruté » par la présidence.

« Depuis quand ce journaliste est l’un des nôtres ? », lui demande l’un des agents. « C’est Nicolas Kazadi qui me l’a présenté comme tel », répond-il, assurant que, selon son interprétation, Alain Foka « ne pouvait qu’être de [leur] côté en ne sortant que ce qui est bénéfique pour le chef ». Contacté par Jeune Afrique, le ministre des Finances n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Tout en reconnaissant la « gravité » de ses propos, l’ex-conseiller dit avoir été piégé et accuse Alain Foka de l’avoir « conditionné ». « Le journaliste m’avait dit qu’il était au courant de mes nombreuses missions au Rwanda. Il voulait savoir ce que j’allais y faire. Pour ne pas lui donner les vraies raisons, j’ai menti en disant ce que j’ai dit, je le regrette », explique-t-il, concluant sa première audition en se défendant fermement d’être un membre des renseignements rwandais. « On ne vous en apportera pas la preuve », lance-t-il aux agents chargés de l’interroger, ajoutant qu’il ne s’est jamais rendu à Kigali pour des négociations portant sur les minerais congolais.

Sollicité par Jeune Afrique, Alain Foka précise qu’il ne voit pas comment il aurait pu avoir été « recruté » par la présidence congolaise, sachant qu’il est actuellement en plein tournage d’une série de documentaires sur le sujet des mines, dont deux épisodes sont déjà parus, et qui ne sont pas particulièrement favorables aux autorités en place.

L’insistance de « Bifort » sur ses connexions rwandaises ne doit rien au hasard. Au cours des prochaines heures d’interrogatoire qui attendent l’ex-conseiller de Tshisekedi, les enquêteurs vont en effet longuement insister sur les liens qui l’unissent à certains des plus influents sécurocrates rwandais.

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