Les Evêques catholiques de Bukavu disent non aux élections dans un pays sous occupation (document)

PEUPLE CONGOLAIS, COMMENT ALLER AUX ÉLECTIONS QUAND LE PAYS EST OCCUPE !

Message des Évêques de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu aux chrétiens catholiques et aux hommes de bonne volonté.

INTRODUCTION

Nous, Archevêque et Évêques de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu, réunis à Kinshasa en session extraordinaire le 28 janvier 2023, avons passé en revue les questions socio-pastorales brûlantes qui marquent particulièrement la vie de nos six diocèses en partie et de tout notre pays en général, en cette année électorale 2023.

A l’issue de nos échanges sur les joies et les peines de notre mission dans cette partie Est de la R.D. Congo, nous partageons les fruits de nos réflexions et de notre prière, avec les fidèles chrétiens catholiques et les citoyens congolais, avec la classe politique de notre pays et avec tous les hommes de bonne volonté.

Tout en nous réjouissant du courage qui anime notre peuple, nous déplorons le fait que notre Province ecclésiastique soit progressivement en état de guerre d’occupation totale. NOS CONSTATS.

Nous sommes peinés de constater amèrement que le Saint Père était attendu à Goma mais il n’a plus retenu de s’y rendre vu son état de santé préoccupant et vu l’occupation inquiétante de l’Est du pays par les M23 et leurs parrains.

Sur le plan sécuritaire, nous constatons avec regret que la rébellion du M23 et ses parrains sont revenus en force depuis 2022 alors qu’en 2013 ils avaient été défaits et évacués du territoire national. Que s’est-il donc passé entre temps ? Qu’a fait l’État congolais pendant ces 10 ans pour que cela ne se reproduise plus ?

De même, au terme de la conférence de Goma en 2013, il avait été entendu que l’État congolais mette fin à l’activité des groupes armés dans cette partie de la République notamment, par le rétablissement de l’autorité via l’efficacité de l’armée et de la police ainsi que par la mise en œuvre du processus de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (DDR). Là aussi, que s’est-il passé sur ce point ?

Comment en est-on arrivé à la situation actuelle où, par exemple, dans le Nord-Kivu, les ADF, en Ituri, les CODECO, au Sud-Kivu dans les hauts et moyens plateaux, des milices recrutées sur base de critères identitaires continuent à semer partout la désolation ? Que s’est-il passé en plus pour que même à l’intérieur du territoire national, des bandes armées portent le péril jusqu’à KWAMOUTH, aux portes de la capitale ?

Depuis 2016, qu’est-ce que l’État congolais a fait de la réforme des forces de l’ordre pour qu’aujourd’hui le pays se trouve sous une forme de tutelle d’armées étrangères du Burundi, du Kenya, de l’Ouganda et même du Sud Soudan ? Les forces de l’ONU présentes, depuis plus de 20 ans, ne risquent-elles pas de muer le pays vers une sorte de protectorat ? N’est-ce pas là la consommation effective de la balkanisation ?

La présence des troupes de l’EAC, pour des raisons inavouées crée des zones tampons à Kibumba, au Nord de la ville de Goma pour bloquer tout espoir de réunification. Est-ce une manière de tracer les frontières d’un nouveau pays ? Avons-nous encore à douter de la balkanisation effective du territoire national ! Pouvons-nous comprendre quelle est effectivement la mission des troupes de l’EAC dans cette situation ?

Pour tout dire, 8 paroisses sur 33 du Diocèse de Goma sont occupées par les troupes du M23 ; à Beni dans le diocèse de Butembo-Beni , c’est tout le Semliki qui est occupé par les ADF Nalu d’origine ougandaise ; 4 paroisses sur 19 dans le diocèse de Kasongo, sont en proie des groupes armés mai mai ; tous les moyens et hauts plateaux du diocèse d’Uvira sont occupés par l’armée burundaise ; au Maniema, l’impossibilité d’un consensus autour de l’élection d’un gouverneur de Province créent des divisions au sein des populations alors qu’à Bukavu, les mésententes et désaccords entre le Législatif et l’Exécutif provinciaux accentuent des tensions sociales qui pourraient déboucher à des soulèvements populaires.

Comme si cela ne suffisait pas, au point de vue économique, la misère a partout élu domicile dans un pays potentiellement très riche et vendu à l’extérieur comme « pays solution » mais avec un peuple réellement misérable : les infrastructures routières sont délabrées, impraticables dans bien des cas ; ce qui condamne les communautés locales à l’enclavement, à l’insécurité, à l’isolement et à la misère.

De même, l’équité dans les échanges commerciaux est dans l’impasse. L’incurie de l’État, par rapport aux infrastructures collectives, enlève à l’entreprise locale les moyens d’être compétitive. Cette situation est aggravée par des taxes intempestives qui bloquent l’économie locale de sorte que l’entreprenariat est continuellement affaibli ; ce qui ne favorise ni le commerce intérieur ni la croissance nationale, mais entretient ce marasme économique.

Nos populations sont victimes d’une justice qui n’est pas toujours rendue équitablement. Au procès, celui qui perd n’est pas nécessairement le fautif, car la corruption s’est facilement et largement introduite dans l’exercice de la justice. Dans les milieux périphériques, la tendance est alors de recourir à la justice populaire tel que le lynchage ou la résurgence des groupes armés comme moyen ultime de se rendre justice collectivement en désespoir de cause. Devant cet état des choses, nos populations sont prises en otages à telle enseigne que nous ne gérons plus l’ensemble de nos diocèses.

RECOMMANDATIONS.

Au regard de la situation qui prévaut dans notre Province ecclésiastique, nous formulons les recommandations suivantes :

Au Président de la République et Chef de l’État.

En votre qualité de Garant de l’unité nationale et Commandant suprême des FARDC et de la Police Nationale, de vous impliquer davantage afin que les congolais de l’Est réintègrent la Nation, vivent paisiblement, retournent dans leurs villages et que tous les congolais jouissent des richesses de leur pays. Autant les populations congolaises sont contentes de recevoir le Pape, autant les populations de l’Est seront heureuses de votre proximité qui se fait trop attendre pour mettre fin à cette occupation d’une partie de notre pays.

Aux populations de l’Est et aux fidèles catholiques :

Nous recommandons de lutter pour réintégrer l’unité nationale de refuser jusqu’au bout l’occupation du pays et de ne pas collaborer de quelque manière que ce soit avec les envahisseurs.

A ceux qui ont en charge la justice : 17. D’éviter toute légèreté dans la notification des ordonnances : ce qui crée des confusions dans la gouvernance et l’exploitation abusive de la population qui ne sait plus à quel saint se vouer dans cette situation de tourmente.

CONCLUSION

Telle est la triste réalité que nous vivons. D’aucuns se posent la question de savoir comment faire l’enrôlement en vue des élections dans ce contexte ? Tout royaume divisé contre lui-même va à sa ruine (cf. Mt 12, 25 ; Mc 3,24). Nos politiciens devraient comprendre que ce temps n’est pas de créer des conflits en interne mais de s’unir pour bouter dehors l’ennemi commun qui amène la guerre en R.D.Congo. Agir autrement n’est que trahison ou complicité avec les ennemis qui, aujourd’hui veulent s’emparer d’une partie de notre pays. Nous encourageons notre peuple à une prière fervente et à se mobiliser pour refuser l’amputation d’une quelconque partie de notre pays et à ne pas quitter nos villages au profit sournois des envahisseurs.

Que par l’intercession de la Vierge Marie, Reine de la paix et Notre Dame du Congo, Jésus son Fils nous apporte la vraie paix, car si Yahvé ne bâtit la maison, c’est en vain que veille la garde (Cf : Ps. 127,1). Que la visite pastorale du Saint Père nous réconcilie en Jésus- Christ (Cf. 2Cor 5,8-10)

Fait à Kinshasa, le 28 janvier 2023.

Évêques de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu

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