Moïse Katumbi en 2022 comme en 2015 : Opportunisme politique ou panne de stratégies ?

En quittant aujourd’hui l’Union sacrée après une longue période de brouille, l’ancien Gouverneur du Katanga réédite, à quelques points de précision près, son procédé de 2015 avec le PPRD. Deux époques, même timing (à une année des élections) ; même objectif : se positionner pour la présidentielle ; et même environnement contextuel : brouille avec ses partenaires qu’il quitte. Mais cette fois-ci sera-t-elle plus productive que 2015 ?

Fin septembre 2015, Moïse Katumbi se fend, sur la Voix de l’Amérique, d’une brève déclaration dans laquelle il annonce officiellement son départ du PPRD, le parti qui l’a porté aux élections de 2006 et 2011. Sur le coup, l’annonce est un non-événement se trouve déjà en rupture de ban avec sa famille politique depuis sa boutade des trois penalties.

Au commencement étaient les trois penalties

De retour d’un long séjour londonien, officiellement pour des soins médicaux, le Gouverneur du Katanga improvise un meeting dès sa sortie de l’aéroport de Luano après son retour pour faire cette annonce. En réalité, Katulmbi n’en est pas à son premier coup, puisqu’en 2010 déjà, il est cité parmi les hauts cadre de l’Alliance de la Majorité Présidentielle (AMP) qui ont tenté de créer un courant – le Centre Libéral Progressiste (CLP) – au sein de cette plate-forme kabiliste, mais l’initiative est vite étouffée dans l’œuf.

En 2015, Katumbi – qui revendique déjà un certain leadership au regard de sa popularité indéniable dans son fief katangais – croit tenir le bon bout et franchit donc le Rubicon. Le coup est une réussite, car il entraîne un nombre impressionnant de sociétaires du FCC, parmi lesquels des figures qui étaient citées cinq années plus tôt avec le CLP, telles que Olivier Kamitatu, José Endundo, etc. Mais en 2015, Katumbi emporte avec lui une bonne demi-douzaine de ministres (parmi lesquels Sama Lukonde, alors Ministre des sports et aujourd’hui Premier ministre), ainsi que plusieurs dizaines de députés nationaux qui, tous, démissionnent de leurs formations politiques ou décident de partir avec ces formations politiques pour ce qui est des présidents.

Comme en 2010 avec le CLP, ce mouvement s’observe à une année des élections projetées dans un premier temps pour 2016. En 2010 elles étaient attendues pour 2011.

Autre spécificité, Moïse Katumbi est en proie, en 2015, à une procédure judiciaire autour d’une nébuleuse affaire judiciaire. Les déboires vont s’aggraver avec des accusations de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat avec le concours de mercenaires américains qu’il présente officiellement comme des ingénieurs en agriculture, mais qui vont vite s’affirmer comme de redoutables body-guard.

La rue lushoise est alors chauffée à blanc avec des manifestations étouffées à coups de gaz lacrymogène, tandis que Katumbi doit répondre à de multiples convocations en justice. Les affaires judiciaires tendent aussi l’atmosphère, notamment avec l’incendie du palais de justice et la démission d’une juge qui se retrouvera, plus tard, aux côtés de Katumbi en Europe lorsque celui-ci réussit à s’exfiltrer sous prétexte de soins à suivre à l’étranger.

On en restera là, car Katumbi, qui va finir par déclarer sa candidature à la présidentielle, ne réussira pas à regagner le pays. Il est l’objet d’un avis de recherche par la justice au même moment où il doit se battre au sujet de sa nationalité congolaise.

Brève idylle avant la rupture

Les élections vont donc intervenir en son absence, et Katumbi ne regagnera le pas qu’après la prise des fonctions de Tshisekedi comme Président de la République.

Revenu donc au pays, Moïse Katumbi, qui avait tissé, en Europe, de bonnes relations avec l’opposition radicale conduite par l’Udps, trouve naturellement des portes ouvertes au Palais de la Nation. Très vite, le clan katumbiste va se montrer particulièrement entreprenant pour dénoncer l’alliance FCC-CACH au pouvoir.

Et lorsque la rupture est consommée entre Tshisekedi et Kabila, Katumbi met dans la balance son poids parlementaire de 77 députés pour renverser les rapports de force à l’Assemblée nationale.

USN 2022 feat PPRD 2015

L’idylle au sein de la nouvelle plate-forme au pouvoir, l’Union sacrée de la nation, va, cependant, être de courte durée. Les choses se gâtent dès la période de formation du nouveau gouvernement. Le camp katumbiste estime que le quota ministériel lui réservé n’est pas proportionnel à son poids politique (77 députés) par rapport, par exemple, à l’Udps (seulement 36 députés) qui se taille la part du lion.

Ces rapports vont se détériorer de plus bel dès les premières heures du Gouvernement des warriors quand Ensemble pour la république, le parti de Katumbi, se montre particulièrement critique au sujet de la gouvernance.

Cela faisait donc plus d’une année – jusqu’au moment de l’annonce de son départ – que Moïse katumbi était à couteaux tirés avec son partenaire Tshisekedi par leurs lieutenants interposés.

A son départ, Moïse Katumbi suit donc le même procédé qu’en 2015. Il fait l’annonce sur les médias étrangers (RFI et France 24) à une année des élections. Le contexte de l’annonce est, comme en 2015, délétère : Katumbi est en peine dans son procès contre Beveragi au Katanga. Le tribunal de commerce ploie, en effet, sous des injonctions politiques pour que l’ancien Gouverneur du Katanga perde afin qu’il soit coupé des moyens financiers en perspective des élections.

Autre fait : lorsqu’il doit se rendre à l’étranger, la semaine dernière, Moïse Katumbi se plaint d’avoir été interdit de survol de l’espace aérien national. Il a, cependant, fini par quitter le pays.

Dans ce tableau comparatif, il va rester de voir comment vont se comporter les ministres et députés restés fidèles au camp katumbiste. Car jusque-là, c’est plutôt le mouvement contraire qui a été observé : des ministres estampillés katumbistes (Mutinga, Lutundula, Okende) ont officiellement déclaré leur allégeance à Tshisekedi. Plus de vingt députés ont fait de même.

Christian Mwando et les autres katumbistes du Gouvernement vont-ils regagner Lubumbashi ? La réponse ne devrait pas tarder, car Ensemble pour la République ouvre son congrès dans la capitale cuprifère ce lundi 19 décembre.

Entre opportunisme politique, calculs affairistes et panne d’inspiration

En attendant, l’on notera que Moïse Katumbi garde la même rhétorique politique sur les deux époques : dénonciation de la mauvaise gouvernance et des dérives démocratiques, et déclaration de soutien au peuple éploré. Il  surfe sur les mêmes plages comme s’il s’est arrêté une stratégie, à moins qu’il ne s’agisse d’un opportunisme ou d’une panne d’inspiration. En effet, la ressemblance des actes et des événements sur des époques différentes laissent quelque peu perplexe sur les réelles capacités de Katumbi à déployer une véritable offre politique d’un homme d’Etat plutôt que des calculs affairistes.

L’homme affirme être porteur d’une vision et d’un programme, et les heures qui suivent en diront plus.

Jonas Eugène Kota

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