Activisme politique en RDC : L’Eglise catholique passée au crible (Rapport)

Depuis ce 3 octobre 2022, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et son partenaire de recherche Ebuteli ont lancé une série de rapports sur la démocratie en République démocratique du Congo. Ces études se concentrent sur les structures de mobilisation comme moyen d’examiner les canaux de redevabilité dans le pays.

L’Eglise catholique est la première structure de cette étude dont le rapport déjà disponible est intitulé « L’église catholique en RDC au milieu du village ou au coeur de la contestation ? ». Le rapport fait un survol de l’action de l’Eglise catholique sur le processus démocratique en concentrant l’intérêt sur la période de 1990 à ce jour pour relever ses points forts et ses points faibles, tout en esquissant quelques projections d’avenir sur ce que pourrait être son impact sur le cours de l’histoire politique du pays, par son volet démocratique des élections.

Si « la lutte pour la démocratie entre 1990 et 2018 révèle une Église largement investie dans la promotion et la consolidation de la démocratie, (…) cela ne devrait pas nécessairement être le cas », conclue le rapport qui note que « rien ne garantit que l’Église reste une force progressiste en politique ».

Pour cause, l’absence même de démocratie au sein de l’Eglise qui, de plus, compte, plusieurs centres d’initiatives d’actions sans souvent évoluer sur des bases consensuelles. Le rapport relève également que l’église a connu des moments de gloire grâce à l’action de certaines de ses têtes couronnées, à l’activisme politique des laïcs ainsi qu’’à l’engagement de la société civile. Aujourd’hui, cependant, l’église catholique connaît de profondes divergences internes aussi bien entre les évêques qu’entre ses différentes structures (CALCC, Commission Justice et paix, CLC, etc.), tandis que la plupart de ces structures sont en perte de vitesse et certaines têtes couronnées ne sont plus de ce monde.

Bref, le rapport conclue qu’en l’état actuel, l’Eglise catholique est partie pour perdre gravement de sa superbe et de son influence sur le cours de l’activité politique en général et le processus électoral en particulier, laissant le champ libre à tous les stratagèmes qui se mettent déjà en place pour une vaste escroquerie électorale en 2023.

Congo Guardian propose, ci-dessous, une partie de larges extraits de ce rapport qui peut être consulté sur le site internet du GEC.

  1. EGLISE CATHOLIQUE, UN GEANT AU PIEDS D’ARGILE ?

L’Église catholique est l’un des acteurs les plus importants de la politique nationale congolaise. Aux moments d’inflexion critiques du système politique du pays, elle a joué un rôle clé dans la promotion de la démocratie. À la fin des années 1950, certains de ses prêtres ont amplifié les appels et ont participé à la lutte pour l’indépendance ; dans les années 1990, les prêtres catholiques ont aidé à organiser des marches et des pétitions pour instaurer une démocratie multipartite. Puis, entre 2015 et 2018, l’Église catholique a occupé le devant de la scène politique comme jamais auparavant, prenant la tête de la mobilisation des gens dans les rues, facilitant le dialogue politique et menant une diplomatie stridente dans la presse et en coulisse.

L’Église n’a cependant pas toujours été un catalyseur de la démocratie. Pendant la période coloniale, elle était un partenaire du gouvernement colonial dans son entreprise d’extraction, souvent brutale et oppressive. L’archevêque Malula a d’abord cautionné le coup d’État de Mobutu en 1965 avant de s’y opposer farouchement. Et pendant la CNS, l’archevêque Monsengwo a été critiqué pour sa gestion d’un processus qui a fini par être manipulé par Mobutu.

Compte tenu de son importance, mais aussi des controverses entourant son implication dans la politique, il est important d’examiner ses forces et ses faiblesses. Nous soulignons ici deux aspects : l’orientation de son activisme politique, qui se limite principalement au processus électoral, et le degré de démocratie au sein de l’Église catholique elle-même.

L’objectif de l’activisme de l’Église

Les tendances mondiales de la théologie de l’Église catholique ont eu un impact significatif sur les perspectives des prêtres congolais. Peu après l’obtention de l’indépendance du Congo en 1960, l’Église a convoqué le Concile Vatican II, qui a mis l’accent sur la mise à jour – aggiornamento – de l’Église, afin de mieux communiquer avec non seulement ses fidèles mais aussi les hommes et les femmes dans un monde de plus en plus sécularisé.

Certaines pratiques de l’Église devaient être améliorées et son enseignement devait être présenté d’une manière plus compréhensible. D’où la nécessité entre autres de l’utilisation des langues vernaculaires, et l’inclusion des cultures non occidentales. Cela a également entraîné des changements structurels dans la manière dont l’Église s’engage auprès de ses fidèles laïcs. Comme nous l’a dit Julien Lukengu, « depuis le Concile Vatican II, l’Église n’est plus pyramidale, la pyramide est inversée. Les problèmes sociopolitiques sont traités de la base vers le sommet ».

Cet élan a donné naissance à la propagation des CEVB et d’autres associations laïques qui ont donné plus de voix et de responsabilités aux laïcs.

Le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005) en a également inspiré certains, avec son soutien aux droits de l’homme et à la justice sociale, bien que certains évêques congolais aient également été influencés par la théologie de la libération latino-américaine que Jean-Paul II avait critiquée pour son défi à la hiérarchie de l’Église et sa proximité avec le marxisme. Rigobert Minani, prêtre jésuite, souligne : « Les gens de ma génération ont été très influencés par les évêques latino-américains : j’ai une photo d’Oscar Romero [l’évêque salvadorien assassiné pour s’être opposé à la dictature] dans mon bureau. Nous avons été formés à la théologie de la libération. »

Au Congo, ces influences théologiques se sont largement traduites par un accent sur les droits politiques, notamment le processus électoral. L’Église s’élève souvent contre la corruption, la pauvreté et l’exploitation injuste des ressources naturelles. Elle dispose d’une commission épiscopale Caritas-Développement (CECD), chargée des projets humanitaires et de développement de Caritas, influents et bien financés, ainsi que de la commission épiscopale pour les ressources naturelles (CERN), qui se concentre sur l’exploitation minière et forestière. Cependant, ces commissions proposent rarement des déclarations ou des campagnes qui conduisent à des actions de la part de l’ensemble de la CENCO. Leur mode d’action préféré est celui des déclarations et des projets de type ONG.

La raison de cette situation n’est pas claire. Certains membres du clergé interrogés suggèrent que c’est parce que les droits politiques et les élections sont des injustices plus sensationnelles et qu’il est donc plus facile de galvaniser les actions de la CENCO. D’autres, moins critiques, pensent que le moyen d’aborder les questions socio-économiques passe par la sphère politique : « Qui d’autre peut éradiquer la corruption si ce n’est le gouvernement ? C’est là que tout commence ».

Il est également possible que cette réticence à s’engager dans une critique économique des élites congolaises soit due au fait que l’Église elle-même est un acteur économique puissant. C’est l’un des plus grands propriétaires fonciers du pays et gère des milliers d’écoles et de centres de santé. Aujourd’hui, environ 30 % des écoles publiques et 40 % des établissements de santé du pays sont gérés par l’Église. Cette dernière bénéficie d’importantes exonérations fiscales pour ces établissements et les autres entreprises qu’elle gère dans le pays. Comme nous le dit un prêtre, « le fait que l’Église a des choses à protéger – des terres, des écoles – signifie qu’elle a une aversion au risque ».

L’accent mis par l’Église sur les élections est donc peut être une opportunité manquée en termes d’éducation civique et de mobilisation populaire. Comme cette série de rapports va le souligner, on s’est trop concentré sur l’aspect strictement électoral de la démocratie au Congo – l’acte de voter, la présentation des résultats et l’intégrité de la Ceni – à l’exclusion relative d’autres aspects clés de la démocratie et de la justice sociale : une population qui comprend ses intérêts, se mobilise en fonction de ceux-ci et demande des comptes à ses dirigeants. L’Église catholique, aux côtés d’autres groupes d’intérêt, pourrait jouer un rôle clé en fournissant l’espace physique, les réseaux sociaux et l’impulsion morale pour ce type de mobilisation.

La démocratie au sein de l’Église : qui prend les décisions ?

L’Église est à la fois hiérarchique et décentralisée. La structure de l’Église catholique au Congo, ainsi que ses organisations laïques, sont présentées à l’annexe 1. Bien que l’Église ne soit pas démocratique au sens populaire du terme – les évêques sont nommés par le pape en consultation avec les autres évêques congolais, qui nomment ensuite la plupart des autres responsables de l’Église -, il existe de nombreux freins et contrepoids internes qui la rendent responsable.

La principale source d’autorité dans l’Église catholique réside dans les évêques, qui agissent avec une indépendance considérable. Le pape lui-même, tout en étant à la tête de l’Église catholique, est l’évêque de Rome et s’adresse à ses collègues évêques en tant que « vénérables frères ». Dans la plupart des pays, les évêques sont organisés en une conférence épiscopale – la CENCO au Congo – qui prend les décisions de manière consensuelle. Si de nombreux pays comptent au moins un cardinal, cette position ne signifie pas qu’il est au-dessus de ses confrères évêques en termes de hiérarchie ; ses principales prérogatives relèvent de la Curie romaine, l’organe gouvernemental du Saint-Siège, notamment l’élection d’un nouveau pape.

Au Congo, le cardinal a souvent été considéré comme le chef de l’Église et a eu une importance symbolique, même s’il ne prend pas de décisions au nom de l’épiscopat congolais ; il est choisi et nommé par le pape, contrairement aux évêques, qui sont proposés par leurs collègues évêques au niveau local et ensuite nommés par le pape.

Le Congo a eu quatre cardinaux depuis l’indépendance : Joseph Malula, Frédéric Etsou, Laurent Monsengwo et Fridolin Ambongo.

Alors que la doctrine de l’Église est fixée par le Vatican, les décisions concernant l’implication dans la politique nationale sont largement dirigées par la CENCO et ses dirigeants. Depuis l’indépendance, l’Église du Congo est divisée en six archidiocèses (Bukavu, Kisangani, Kinshasa, Lubumbashi, Kananga et Mbandaka), chacune avec un archevêque ; et un total de 47 diocèses, chacun avec un évêque. Chacun de ces évêques et archevêques est membre de la CENCO. L’assemblée générale est l’organe suprême de la CENCO. Tous les évêques diocésains en sont membres de droit, ainsi que les évêques coadjuteurs et auxiliaires. Ordinairement, l’assemblée générale se tient une fois par an tandis que le comité permanent se réunit deux fois par an et le secrétariat général assure un suivi et une préparation continus.

Dans la pratique, alors que tous les évêques sont censés avoir un poids égal, le cardinal, les membres du secrétariat général et les membres du comité permanent sont largement en mesure de fixer l’ordre du jour de la CENCO et de représenter la CENCO en public. Par exemple, à l’approche des élections de 2011, le cardinal Monsengwo a fait de nombreuses déclarations publiques sur le processus électoral et la révision constitutionnelle qui a eu lieu en janvier 2011. Bien qu’il ne s’exprimait pas au nom de la CENCO, une grande partie de l’opinion publique congolaise l’a pris pour un représentant de l’Église catholique, étant donné son rang ; le gouvernement de Joseph Kabila s’est même plaint qu’il s’arrogeait le mandat de la CENCO.

Comme nous le dit le président du CALCC, Jean-Bosco Lalopkasha : « La dynamique de la mobilisation des laïcs à Kinshasa varie en fonction du cardinal, car chaque évêque est autonome. Le cardinal Monsengwo était très politique, il comprenait les souhaits et les aspirations de la population. Il était à l’avant-garde des mobilisations. »

(A suivre)

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