Dans l’ombre des négociations de Doha et de Washington, une autre bataille se joue : celle d’Uvira et de son rôle central pour la stabilité des Grands Lacs. Si ce verrou venait à céder, il ouvrirait non seulement un corridor vers le Sud congolais mais placerait le Burundi au cœur d’un bras de fer régional, exacerbé par son conflit direct avec le Rwanda et par l’ambition d’une hégémonie tutsie rwandaise visant à étendre son influence sur l’ensemble de la région. La stabilité régionale, déjà fragile, ne pourra se maintenir durablement sans que la donne burundaise ne soit pleinement prise en compte.
Par Jonas Eugène Kota
Alors que les médiations diplomatiques piétinent à Doha et Washington, la région des Grands Lacs entre dans une zone de turbulence où le Burundi, longtemps considéré comme un acteur périphérique, se retrouve désormais au cœur d’un bras de fer géopolitique d’envergure. À Bujumbura, le président Évariste Ndayishimiye fait face à une pression croissante — tant extérieure qu’intérieure — dans une guerre d’influence qui dépasse largement les frontières de son pays.
Une diplomatie sous tension : le Burundi dans la ligne de mire
Selon les dernières révélations des sources crédibles, une délégation du mouvement rebelle AFC/M23, soutenue par Kigali, s’est récemment rendue à Bujumbura pour rencontrer le président Ndayishimiye. Derrière cette visite inhabituelle se joue une partie à plusieurs bandes : d’un côté, Kigali, qui nourrit des visées d’expansion de l’empire tutsie, cherche à neutraliser le soutien de Bujumbura à Kinshasa ; de l’autre, le Burundi tente de préserver sa stabilité interne et son positionnement régional, tout en évitant l’isolement diplomatique.
Kinshasa, de son côté, s’appuie sur son voisin burundais comme sur un maillon logistique crucial. Plusieurs rapports, dont ceux relayés par Africa Intelligence, évoquent en effet le transit d’armes et d’équipements militaires congolais vers Uvira via le territoire burundais — une coopération tacite mais décisive pour contenir l’avancée du M23/RDF dans le Sud-Kivu.
C’est précisément ce soutien que Kigali et ses alliés régionaux cherchent à faire cesser, quitte à placer Bujumbura dos au mur.
Uvira, verrou stratégique et risque de basculement
Aux portes d’Uvira, la ligne de front s’est transformée en point névralgique de la confrontation entre la coalition pro-rwandaise M23/RDF et les forces armées congolaises (FARDC) soutenues, discrètement, par le Burundi. Si cette position venait à céder, les conséquences seraient considérables : elle ouvrirait un corridor sud vers Kalemie et potentiellement le Katanga, offrant à la coalition pro-rwandaise une profondeur stratégique inédite.
Un tel basculement modifierait radicalement l’équilibre des forces dans la région et pourrait même redéfinir les contours de la guerre à l’Est de la RDC, déjà minée par une multitude d’acteurs locaux et étrangers aux agendas divergents.
Le Burundi et ses démons intérieurs
Mais Bujumbura doit également gérer ses propres failles internes. Le pays reste marqué par ses fractures ethno-communautaires entre Hutus et Tutsis, que certains acteurs extérieurs n’hésitent pas à raviver. Le mouvement rebelle RED-Tabara, d’obédience tutsie et soutenu par Kigali, a récemment intensifié ses activités.
Selon plusieurs sources sécuritaires, ses combattants ont été repérés aux côtés de la coalition M23/RDF dans le Sud-Kivu, notamment dans la plaine de la Ruzizi, ce qui en fait un véritable cheval de Troie aux portes du Burundi.
À cette instabilité politique et sécuritaire s’ajoute une dimension économique de plus en plus critique. En effet, la pression militaire sur le verrou d’Uvira, principal axe d’approvisionnement du Burundi, asphyxie son économie. Cette voie constitue la colonne vertébrale du commerce burundais avec la RDC et une porte d’accès vitale aux marchés régionaux.
Or, les récentes tensions dans la plaine de la Ruzizi ont ralenti voire interrompu le transit des marchandises et des produits énergétiques, plongeant le pays dans une grave crise d’approvisionnement en carburant. Les files interminables aux stations-service de Bujumbura symbolisent ce blocage, qui menace déjà le fonctionnement du transport, de l’agriculture et des services essentiels.
Pour un pays enclavé et fragile, cette asphyxie logistique agit comme une pression supplémentaire sur le régime Ndayishimiye, pris entre le besoin de survie économique et la fidélité à Kinshasa.
Une bataille régionale aux airs de guerre froide africaine
Dans ce jeu d’alliances mouvantes, le Burundi apparaît comme le maillon faible mais décisif de la chaîne régionale. Son positionnement pourrait déterminer l’issue de la confrontation actuelle : maintien du statu quo ou basculement stratégique en faveur de la coalition pro-rwandaise.
Pour Kigali, neutraliser Bujumbura, c’est s’assurer un accès au Sud de la RDC et potentiellement au Katanga.
Pour Kinshasa, préserver le soutien du Burundi, c’est maintenir une ligne de résistance et un corridor vital pour son armée.
Entre les pressions diplomatiques, les manœuvres militaires et les failles internes, Ndayishimiye joue une partie périlleuse. Dans les Grands Lacs, la bataille autour du Burundi est désormais l’un des points de bascule majeurs de la stabilité régionale — une stabilité suspendue à un équilibre fragile entre survie politique, alliances forcées et intérêts géostratégiques concurrents.
Il apparaît désormais que la stabilité dans les Grands Lacs, même au-delà du rapport principal entre Kigali et Kinshasa, ne saurait être effective ni durable si la donne burundaise n’est pas pleinement prise en compte. Car le conflit latent entre le Rwanda et le Burundi, dont la frontière commune reste fermée depuis 2024, pèse lourdement sur les équilibres régionaux.
Et au-delà de la rivalité immédiate, se profile une dimension idéologique plus profonde : celle de l’hégémonie “Tutsi power”, nourrie d’une ambition géopolitique d’expansion et de recomposition régionale. Un projet qui, selon plusieurs analystes, vise à reconstituer une forme d’empire politico-militaire précolonial, redéployé à l’échelle des États modernes et fondé sur le contrôle des axes économiques et sécuritaires du cœur de l’Afrique par une ethnie.

