Révélations : en 2005 à Rome, les FDLR déposèrent les armes, Paul Kagame refusa

Par Jonas Eugène Kota

C’est une page méconnue de l’histoire des Grands Lacs que peu de chancelleries évoquent encore. Le 31 mars 2005 à Rome, les dirigeants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – ces combattants hutus réfugiés dans l’Est du Congo depuis la chute du régime génocidaire de 1994 – ont officiellement tendu la main au président Paul Kagame, dans un geste inédit de renonciation à la lutte armée.

Sous l’égide de la Communauté de Sant’Egidio, et en présence d’observateurs européens et africains, la délégation de la FDLR s’était engagée à déposer les armes et rentrer pacifiquement au Rwanda, pourvu que Kigali accepte un dialogue politique inclusif et garantisse la sécurité des rapatriés.

Une main tendue à Kigali

Les signataires, emmenés par Ignace Murwanashyaka, président politique de la FDLR, avaient proclamé une déclaration historique de paix. Le texte, rédigé en des termes sans équivoque, affirmait la volonté du mouvement de rejeter toute idéologie génocidaire, de cesser les hostilités, et d’ouvrir la voie à une réconciliation nationale rwandaise.

Dans cette déclaration, les FDLR s’engageaient explicitement à :

Renoncer à l’usage de la force pour la conquête du pouvoir au Rwanda ;

Condamner le génocide de 1994 en prenant leurs distances avec toute responsabilité politique ou morale y afférente ;

Collaborer avec les mécanismes internationaux de justice, notamment le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et à œuvrer pour un retour pacifique et volontaire de leurs membres sur le sol rwandais.

L’événement, tenu dans la discrétion des murs de Sant’Egidio, marquait un tournant : pour la première fois, les FDLR sortaient de la clandestinité militaire pour se présenter comme interlocuteur politique.

La touche décisive de la RDC par Mbusa Nyamwisi

Et cette sortie de l’ombre ne fut pas un hasard. Elle porta la marque de la sagacité politique d’Antipas Mbusa Nyamwisi, alors Ministre congolais de la Coopération régionale, qui sut activer ses réseaux dans les milieux rebelles et diplomatiques. Fort de son propre passé de chef de mouvement armé, Mbusa comprenait la psychologie de ces combattants et parvint à établir un canal de confiance avec leurs représentants.

Son initiative bénéficia de l’appui discret mais décisif de la Communauté de Sant’Egidio, qui mit à profit son prestige moral et diplomatique pour offrir sa caution et sa garantie à cette démarche de paix inédite. C’est ce tandem informel – un ex-rebelle devenu ministre et une communauté religieuse romaine – qui permit d’ouvrir la brèche historique de Rome.

Koffi Annan salue, Paul Kagame rejette et ferme la porte

Cette main tendue ne passa pas inaperçue dans les sphères diplomatiques.

Le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, réagit immédiatement par un communiqué officiel publié le 31 mars 2005.

Dans ce texte, l’ONU se déclara « encouragée par la déclaration faite à Rome », soulignant que les FDLR avaient renoncé à l’usage de la force, condamné le génocide de 1994, et pris l’engagement d’un désarmement volontaire ainsi que d’une coopération avec les mécanismes internationaux de justice.

Kofi Annan appela alors les gouvernements de la RDC et du Rwanda à coopérer pour faciliter ce retour pacifique, tout en invitant la MONUC à « faire tout ce qui est en son pouvoir » pour accompagner le processus.

L’ONU voyait dans cette initiative un possible tournant pour la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs.

Mais sur le terrain, cet élan d’espoir ne trouva jamais d’écho concret : Kigali resta inflexible.

À Kigali, la réaction fut glaciale. Le gouvernement rwandais rejeta catégoriquement cette main tendue, refusant tout dialogue avec une organisation qu’il considérait comme terroriste et responsable du génocide.

Dans les jours qui suivirent, la diplomatie rwandaise accusa la FDLR de vouloir « blanchir son passé » et détourner l’attention de ses crimes. La ligne officielle de Paul Kagame ne changea pas : aucun contact politique avec les génocidaires.

Résultat : l’espoir né à Rome s’éteignit avant même de porter ses fruits.

L’Occident regarde ailleurs, lourde conséquence

Les partenaires internationaux, eux, restèrent timides. L’Union européenne, l’ONU et même les États-Unis saluèrent « l’esprit de Rome », mais n’exercèrent aucune pression sur Kigali pour rouvrir un canal de dialogue.

À Kinshasa, certains ministres, dont Antipas Mbusa Nyamwisi – alors figure montante de la diplomatie congolaise et originaire du Nord-Kivu – y virent pourtant une occasion historique manquée pour pacifier durablement la région.

« Si cette main tendue avait été saisie, le dossier des FDLR serait clos depuis vingt ans », confie aujourd’hui un ancien diplomate européen ayant suivi le processus.

Ce refus de Kigali, combiné à la passivité internationale, a prolongé la présence des FDLR dans l’Est de la RDC – alimentant deux décennies de méfiance et de cycles de violences.

De fait, la non-réponse de 2005 a figé les positions : les FDLR se sont enfoncés dans la brousse congolaise, transformés en milices de survie ; Kigali a, de son côté, continué d’invoquer leur menace pour justifier des incursions répétées au Congo, souvent à travers des mouvements supplétifs.

Et les populations du Kivu, elles, n’ont récolté que le prix du sang.

Un rendez-vous manqué avec l’histoire

Vingt ans plus tard, les diplomates reconnaissent, à demi-mot, que Rome 2005 fut un tournant ignoré.

Un document interne de Sant’Egidio, jamais publié, évoque même la « volonté sincère » des responsables FDLR de tourner la page de la guerre. Mais le Rwanda n’en voulait pas : la ligne dure de Kigali l’a emporté, et les voix de la conciliation sont restées sans écho.

Aujourd’hui, alors que la région des Grands Lacs replonge dans la tourmente, cette page oubliée de Rome revient comme un spectre du passé.

Une occasion manquée qui aurait pu, peut-être, changer le cours de l’histoire.

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