Le buste de la discorde

Ah, le Congo ! Ce pays où même les statues finissent par faire grève contre leur ressemblance…

Kinshasa, capitale des contrastes et des coups de théâtre, vient encore de s’offrir un nouveau chapitre de son inépuisable saga nationale : le scandale du buste de Malembe Tamandiak Paul, ce monument qui devait honorer la mémoire du fondateur de l’ISTI-IFASIC-UNISIC, mais qui a fini par… la martyriser.

À peine dévoilé, le buste censé immortaliser le « père du journalisme congolais moderne » a déclenché une onde de choc si puissante qu’on aurait dit une sirène d’alerte. Dans les cercles familiaux, la stupeur fut instantanée : les enfants de l’illustre disparu, la gorge serrée entre larmes et indignation, ont crié d’une seule voix : « Non, ça, ce n’est pas Papa ! ».

Et ce verdict du sang n’a pas tardé à contaminer celui de l’esprit : anciens et actuels de l’école, journalistes et professeurs, tout le monde a plongé dans la même mer d’ébahissement.

Ce buste, censé trôner fièrement au cœur du 101, Colonel Ebeya en plein Kalina – cette République de la Gombe -, est vite devenu l’objet non identifié le plus discuté du campus. Certains y voient vaguement un philosophe grec égaré dans les tropiques, d’autres un vieux docker fatigué par la marée, d’autres encore un sosie sculptural tombé du mauvais moule. Bref, tout sauf le barbu légendaire qui a façonné des générations de journalistes congolais.

Et comme toujours, la République s’est aussitôt divisée en deux écoles :

Les défenseurs du sculpteur, arguant que l’art est une interprétation, pas une photocopie — comme si Malembe devait renaître sous un visage “conceptuel”.

Et les gardiens de la mémoire, outrés qu’on ait transformé le fondateur de l’ISTI en figurant de cire mal moulé.

Entre ces deux camps, une question rebondit comme un micro mal réglé : Qui a commandé ce buste ? Qui l’a validé ? Qui l’a payé ? Mystère total. Le brouillard administratif a enveloppé l’affaire d’un voile si opaque qu’on croirait à un épisode inédit de Cash Investigation : spécial marbre et mémoire.

Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, les montages fusent, les récriminations explosent, et le buste, lui, trône toujours là — stoïque, imperturbable, comme s’il se moquait du tumulte qu’il a lui-même semé.

Mais dans la cour bavarde du 1, Colonel Ebeya, les murmures deviennent grondements : “Qu’on le déboulonne !” crient les uns ; “Qu’on le refonde !”, « Mort au buste » ; « Mort à l’imposteur », répliquent les autres. Le débat prend ainsi des airs de révolution artistique.

Car, pour sauver la paix sociale — et surtout l’honneur du barbu éternel —, il faudra bien décider : faut-il garder ce buste au nom du respect de la commande, ou le ranger au musée des grandes maladresses nationales ?

En attendant, le buste de la discorde nous rappelle, avec ironie, que la mémoire n’est pas qu’un exercice de bronze : c’est une affaire de respect, d’authenticité, et surtout… de ressemblance. Car si l’art peut transcender la réalité, il ne doit jamais la trahir au point qu’une nation entière se demande, interloquée : “Mais au fait… c’est qui, ce monsieur ?”

JEK

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