Quand l’héritage de Sese Seko se transforme en champ de bataille dynastique, le Timonier s’en retourne dans sa tombe marocaine de Rabat, loin de son majestueux fleuve, par le fait de sa propre succession. Après moi, le déluge ?
Depuis la disparition du Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga, en 1997, la succession du Léopard du Zaïre semble suivre le même chemin que son célèbre chapeau léopard : chacun tire de son côté. Entre les enfants de Mama Sese (Gbiatene) et ceux de Bobi Ladawa principalement, l’unité familiale a été remplacée par une véritable « république des héritiers », où la mémoire du père de la Nation devient un terrain de manœuvres aussi feutrées que féroces.
La dernière scène de cette tragi-comédie s’est jouée autour d’un projet d’exposition annoncé pour octobre prochain au Musée National de la RDC, intitulé « Mobutu : Une vie, un destin ». Une initiative censée retracer le parcours du Maréchal et rendre hommage à son legs historique.
Mais au lieu d’un consensus digne de ce nom, c’est un nouvel épisode de règlement de comptes qui s’est ouvert au grand jour.
Dans une lettre solennelle mais au ton cinglant adressée à la ministre de la Culture, Mobutu Nzanga Zebai Joseph, fils du défunt président, dénonce avec vigueur ce qu’il appelle une initiative « isolée » portée par son frère Nzanga Mobutu Ngbangwe, le François des deux Nzanga mais des entrailles de la veuve officielle Bobi Ladawa, qu’il accuse d’avoir organisé cette exposition sans concertation familiale ni autorisation.
En d’autres termes : un coup de force mémoriel.
« Aucune légitimité ne saurait être reconnue à une initiative isolée », tonne Nzanga Joseph, estimant que cette démarche porte atteinte à la dignité posthume du Maréchal et expose sa mémoire à des instrumentalisations contraires à l’esprit de cohésion nationale qu’il a toujours prôné. Autrement dit, on ne joue pas avec le patrimoine symbolique du Léopard sans l’aval du clan.
L’un des deux Nzanga de tous les Mobutu ne s’arrête pas là : il accuse même le projet d’exploiter « à des fins financières l’image du Maréchal » à travers des appels de fonds douteux, ce qui, dans le royaume des Mobutu, revient à un crime de lèse-père.
Il réclame donc la suspension pure et simple de l’exposition jusqu’à ce qu’un cadre formel de concertation familiale soit établi.
Mais derrière ces querelles de protocole, c’est bien l’ombre du grand Mobutu qui plane sur les rancunes héritées de la succession. Car depuis sa mort, le corps du Maréchal git toujours à Rabat, au Maroc, faute d’accord entre ses héritiers sur les modalités de son rapatriement. Vingt-huit ans plus tard, même son cercueil attend toujours le retour triomphal promis au Guide.
Ironie du sort : celui qui avait bâti tout un régime sur la devise « Authenticité, Unité, Dignité » laisse derrière lui une famille divisée, un héritage disputé et une mémoire écartelée entre nostalgie, intérêts et luttes d’influence.
Ainsi, à défaut de ramener le corps du Maréchal au pays, ses descendants semblent décidés à rapatrier les querelles dans l’espace public. Et pendant que l’on débat de l’héritage moral et symbolique de l’homme fort du Zaïre, c’est finalement la cohésion familiale qui gît encore au cimetière — juste à côté de sa dépouille, quelque part à Rabat.
Jonas Eugène Kota

