La confrontation entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame à Bruxelles, lors du Global Gateway Forum, a révélé au grand jour les hypocrisies et la duplicité qui ont longtemps entouré les processus diplomatiques de Washington et de Doha autour de la crise à l’Est de la RDC. En défiant publiquement son homologue rwandais, le président congolais a non seulement dénoncé la complaisance internationale envers Kigali, mais aussi réaffirmé la ligne rouge de Kinshasa : aucune paix durable sans retrait effectif des forces rwandaises et du M23. Ce face-à-face, perçu comme un tournant, marque l’entrée de la RDC dans une phase de réaffirmation souveraine et de rupture avec les scénarios dictés de l’extérieur. Pour Tshisekedi, c’est le début d’une nouvelle posture — celle d’un État décidé à reprendre l’initiative, en reconstruisant sa cohésion interne autour d’un dialogue national inclusif.
Par Jonas Eugène Kota
La scène qui s’est déroulée à Bruxelles, lors du Global Gateway Forum, restera sans doute comme un tournant dans le feuilleton diplomatique autour de la crise à l’Est de la République démocratique du Congo. En confrontant directement Paul Kagame devant témoins, le président Félix Tshisekedi n’a pas seulement mis en lumière la brutalité du discours rwandais ; il a surtout levé le voile sur les hypocrisies et les jeux d’équilibrisme qui ont longtemps entouré les médiations de Washington et de Doha. Des hypocrisies et des jeux d’équilibrisme que bien d’observateurs objectifs et une bonne frange de l’opinion congolaise avaient perçus et dénoncés en leur temps.
Une passe d’armes révélatrice
Ayant pris l’initiative d’appeler à « une paix des braves » face à son homologue rwandais, Félix Tshisekedi s’est heurté à une fin de non-recevoir d’une rare violence. Paul Kagame, fidèle à son ton sibyllin, s’est contenté d’un message sur X : « If one makes an issue of noise of an empty drum, they also have a problem! » (« Si quelqu’un fait du bruit avec un fût vide, il a aussi un problème!»).
La riposte rwandaise, menée par le ministre des Affaires étrangères Olivier Nduhungirehe, a ensuite pris des allures d’attaque en règle : accusations de « mensonges », de « comédie politique ridicule » et d’« attitude belliqueuse » contre Kinshasa.
Mais cette passe d’armes publique a eu un effet inattendu, bien plus significatif que l’humiliation que l’on tend à attribuer à Tshisekedi pour avoir tendu la main après avoir, hier, réservé un niet à un dialogue avec Kagame : cette passe d’armes a exposé au grand jour la fragilité — voire la duplicité — des processus diplomatiques menés sous l’égide de Washington et de Doha. Car en évoquant explicitement, devant les caméras, la présence d’émissaires américains et qataris dans la salle, le président congolais a voulu signifier que ces médiations n’ont, en réalité, rien produit de concret, malgré l’angélisme dont ces médiateurs ont longtemps nourri l’opinion.
Félix Tshisekedi avait préalablement pris le temps de souligner la responsabilité de Kagame dans l’échec de la paix, notamment à la phase de Luanda, fin 2024, avant d’exposer sa responsabilité derrière le M23 lorsqu’il lui demande de leur ordonner de cesser leurs activités.
C’est ce qui fait dire à plus d’un qu’en fait, Félix Tshisekedi a ouvertement accusé Paul Kagame d’être le responsable de l’instabilité sécuritaire dans son pays, soulignant par là la talk-line du Gouvernement congolais que les médiateurs n’ont manifestement jamais voulu intégrer dans les pourparlers : tout accord économique ou autre passe par la paix, c’est-à-dire avant tout le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et le redéploiement du M23 dans ses positions initiales en dehors de Goma et Bukavu.
Le déséquilibre d’un « accord de Washington » contesté
À Kinshasa, certains milieux diplomatiques ne s’y trompent pas : le fameux « accord de Washington », censé établir un cadre pour la désescalade entre Kinshasa et Kigali, était dès le départ, considéré comme déséquilibré — favorable au Rwanda et source de pressions injustifiées sur la RDC. La RDC, elle-même, avait connu des moments chauds au sein de son opinion après la publication de l’accord en juin 2025.
Les termes en discussion à Doha allaient plus loin encore, en tendant vers une formalisation de fait de la partition du territoire congolais sous couvert d’un règlement politique impliquant le M23.
La sortie de Félix Tshisekedi à Bruxelles sonne ainsi comme un acte de rupture : le moment où Kinshasa dit haut ce que beaucoup pensaient tout bas — il fallait rééquilibrer les choses dans cette diplomatie de Washington et de Doha qui, pour plus d’un observateur objectif, servait davantage à neutraliser la RDC au profit du Rwanda qu’à ramener la paix.
Le refus de signer, un véritable casus belli
Ce clash intervient dans un contexte déjà tendu et en constitue certainement un découlement. La semaine précédente, la phase cruciale d’un accord économique entre la RDC et le Rwanda a tourné court. Sur instruction directe du président Tshisekedi, la délégation congolaise a refusé de signer. Une décision perçue comme une grave déconvenue pour Kigali, mais aussi pour Washington et Doha, chacun dans ses calculs qui, manifestement, ne comprenaient aucune prémices liée à la paix.
Pour nombre d’observateurs, cette décision traduit la lassitude de Kinshasa – une (re)prise de conscience pour d’autres – face à un processus diplomatique où les cartes sont biaisées. L’ire de Kigali, dont le silence de Washington et Doha résonne comme une approbation, donne la mesure de combien le refus de Kinshasa de signer a contrarié des plans et des calculs.
La suspension, par le Qatar, de sa médiation pour « se concentrer sur la crise à Gaza » après ce refus apparaît d’ailleurs comme une manière élégante de bouder ou, pire, comme une stratégie de laisser-faire.
Le risque du retour à la logique du « talk and fight »
Dans ce contexte de désillusion, en effet, plusieurs analystes redoutent que le Rwanda ne reprenne bientôt sa tactique du « talk and fight » — discuter tout en menant des offensives militaires — pour maintenir et renforcer la pression sur Kinshasa et arracher des concessions.
La confrontation de Bruxelles, en tombant les masques, pourrait ainsi annoncer une nouvelle phase d’instabilité : celle où la RDC, ayant compris le jeu, choisit de ne plus jouer le rôle de figurant dans un scénario écrit ailleurs.
En définitive, la passe d’armes de Bruxelles n’est pas un simple incident diplomatique. C’est le moment où le président congolais, à visage découvert, a mis en accusation la duplicité de ceux qui prétendaient œuvrer pour la paix tout en confortant les logiques de domination régionales. Pour Kinshasa, c’est aussi le signal d’une nouvelle posture : celle d’un État décidé à ne plus céder à la politique du fait accompli, fût-elle drapée dans le langage de la médiation.
La suite dépendra désormais de sa manière de tenir et imposer cette posture. Les observateurs suggèrent, pour leur part, que le moment est venu, pour Kinshasa, de refaire une solide cohésion interne à la faveur du dialogue national inclusif réclamé de toutes parts et pour lequel Félix Tshisekedi a déjà fait savoir que l’initiative lui revient à lui seul.

