Cela n’arrive pas tous les jours qu’un journaliste reçoive l’invitation du Conseiller spécial du Chef de l’État en charge de la sécurité. Achilles Kadima Malemba pourrait avoir le redoutable privilège de l’expérimenter dans un tête-à-tête avec Jean Claude Bukasa, le spécial a.i de Félix Tshisekedi ès sécurité après la séparation abracadabrantesque d’avec François Beya.
Le Directeur général du trihebdomadaire Africanews a, en effet, reçu une invitation à se présenter ce 7 juillet à la Cité de l’Union africaine pour « une séance de travail ». La lettre, signée de la main de Bukasa en personne, ne donne aucun détail sur le sujet de cette séance de travail.
Que le sommet du dispositif d’intelligence du Chef de l’État en arrive à inviter un journaliste sort déjà de l’ordinaire et suscite des interrogations sur l’objet qui aurait amené le summum de l’intelligence du pays à entreprendre une telle démarche dans une période aussi suspecte où les espaces de liberté, en général, et d’opinion en particulier sont l’objet de restrictions drastiques et sans ménagement.
Et cette question traditionnelle en pareille circonstance : qu’aurait écrit le journal Africanews pour mériter une « invitation » aussi curieuse que mystérieuse et même suspecte ? On sait, en effet, que dans les échelons inférieures du dispositif securitaire et du renseignement et même ici au sommet, de telles « invitations » sont des pièges qui entraînent presque toujours, depuis Mobutu jusqu’à ce jour, dans les geôles du régime. Politiciens, syndicalistes, activistes des droits de l’homme et journalistes en ont l’amer expérience.
Sans que les instances attitrées du secteur des médias (CSAC et UNPC) n’aient été copiés ne fût-ce pour rassurer, le confrère Achilles Kadima doit donc se rendre à la colline de Ngaliema pour répondre à une invitation aussi mystérieuse. En feuilletant les récentes éditions d’Africanews, on retient que le journal – spécialisé depuis 18 ans dans l’information « coup de poing et bien fouillée – a excellé dans des articles de fonds, presque tous sourcés, sur les questions d’actualité liées à la traque des acteurs politiques de l’opposition. Les derniers papiers en date annonçaient la descente, à Lubumbashi, d’un escadron militaro-sécuritaire, conduit par un général de l’armée, pour procéder à l’arrestation la Moïse Katumbi et Joseph Kabila. Le journal indiquait clairement sa source qui, dans sa publication, allait dans les moindres détails sur l’identité des membres de l’escadron, les coordonnées et les heures du vol, etc.
On retient aussi que le journal a publié, dans ses récentes éditions, une série d’articles sur les soucis de la RDC en rapport avec les préparatifs des jeux de la Francophonie, préparatifs que Félix Tshisekedi suit personnellement et de très prêt.
L’invitation d’Achilles Kadima serait-elle donc liée à ces publications ? Rien, en tout cas, n’est à exclure dans le contexte sociopolitique actuel du pays et au regard des méthodes caractéristiques des « services » en RDC. Le CNS, qui est directement rattaché au Chef de l’État, irait-il jusqu’à ôter sa liberté à un journaliste pour ses écrits alors que le pays est désormais sous le régime légal de la « salubrité médiatique » que sublime le même Chef de l’État ? Une salubrité qui concerne également le traitement extrême qui, en RDC, est toujours réservé au journaliste pour n’avoir fait que son travail ?
En tout cas, rien n’est exclu à ce stade. Toutes les options sont sur la table et c’est à juste titre que, dès l’annonce, au premières heures de ce mercredi, de cette convocation d’Achilles Kadima, la profession s’est mise en alerte maximale.
Légitime posture qui, sur un volet plus large, est symptomatique du manque de confiance qu’inspire l’État congolais à ses administrés. Attitude interpellante pour cet État, incarné par ses dirigeants, qui ne rassure guère ses citoyens dont il est devenu un fossoyeur plutôt qu’un protecteur.
Wait and see, quand même…
JDW
