C’est un tableau de la RDC aux couleurs apocalyptique que les évêques catholiques viennent de peindre au terme de leur 60eme assemblée ordinaire qu’ils viennent de tenir à Lubumbashi. De la situation sécuritaire au processus électoral en passant par l’état de la démocratie et ses pendants des droits et libertés des citoyens, de la distribution de la justice, etc.; la CENCO fait, sans sa déclaration finale datée du 22 juin, un réquisitoire sans appels des reculs que le pays accuse dans tous les domaines, notamment l’apparition de nouvelles milices à l’ouest de la RDC, notamment les Mobondo et les Forces du progrès de l’UDPS, les reculs autocratiques et démocratiques ; l’opacité du processus électoral avec tentative d’exclusion des candidates à la présidentielle, etc.
Face à ce tableau sombre, la CENCO distribue des recommandations, comme d’habitude, et appel les Congolais à sortir de leur sommeil pour se prendre en charge. Elle prévient surtout que « le peuple congolais n’acceptera pas l’empêche purement politique de qui que ce soit de se présenter comme candidat aux élections ».
Ci-dessous la déclaration de la CENCO.
POUR DES ÉLECTIONS CRÉDIBLES : PEUPLE CONGOLAIS, RÉVEILLE-TOI DE TON SOMMEIL ! (cf. Rm 13, 11)
Message de la 60ème Assemblée Plénière de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO)
Préambule
Nous, Cardinal, Archevêques et Evêques, membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), avec les autres fidèles de l’Eglise-Famille de Dieu en RD Congo, avons célébré dans la joie et l’enthousiasme, à Lubumbashi du 4 au 11 juin 2023, le 3ème Congrès Eucharistique National autour du thème « Eucharistie et Famille». A l’issue de ce grand événement de la foi, nous nous sommes réunis en Assemblée Plénière Ordinaire du 19 au 22 juin 2023. Mus par la sollicitude à l’égard du Peuple congolais dont nous avons la charge pastorale, nous nous sommes penchés, entre autres, sur la situation socio-pastorale qui prévaut dans notre pays.
Il sied de rappeler que « Depuis son indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des Institutions et de leurs animateurs » (Constitution, Exposé des motifs, §1). Ayant trop souffert et étant victime de tant de guerres à lui imposées, le Peuple congolais veut la paix, la justice et ainsi travailler au progrès de son pays.
Nous sommes convaincus que la stabilité de notre pays et le bien-être de sa population passent notamment par des élections libres, inclusives, transparentes, apaisées. Et ce, à tous les niveaux.
CONSTATS
Situation sécuritaire
Nous apprécions à leur juste valeur les initiatives diplomatiques, politiques et militaires du Gouvernement congolais pour ramener la paix sur toute l’étendue de notre pays. Nous saluons particulièrement la bravoure et le patriotisme de nos Forces Armées, malgré les conditions de travail difficiles.
Cependant, la persistance et l’aggravation de l’insécurité, surtout dans la partie Est de notre pays, ainsi que la multiplication des groupes armés nous préoccupent au plus haut point. Avec la résurgence du M23, soutenu par le Rwanda, une partie du Territoire national échappe au contrôle de nos forces armées depuis plus d’une année.
Dans le même registre, nous assistons, dans la partie Ouest de notre Pays, à l’apparition et à l’extension de la milice Mobondo qui sème la terreur jusqu’aux portes de Kinshasa, la Capitale. A cela s’ajoute, en milieux urbains, l’activisme de la «Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du Progrès » (BSU), opérant comme une milice, visiblement entretenue, qui collabore parfois avec la police pour traquer les adversaires politiques et d’autres paisibles citoyens portant un regard critique sur la gouvernance actuelle du pays.
Fort malheureusement, nos recommandations relatives à la reconsidération de l’état de siège, la réduction du train de vie des Institutions pour donner plus de moyens à nos Forces armées, et au renforcement de la cohésion nationale, n’ont pas été prises en compte cf. L’heure est grave. Notre Pays est en danger ! [cf. Néh 2,17). Déclaration de l’Assemblée Plénière extraordinaire de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) sur la situation sécuritaire du pays, du 09 novembre 2022, n°8-9].
Le processus électoral
A propos du processus électoral, la CENCO reconnaît les efforts du Gouvernement et de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), tant dans la publication du calendrier électoral que dans la constitution du fichier électoral, dans les délais plus brefs que les cycles électoraux passés.
Toutefois, ces avancées ne suffisent pas pour l’organisation des élections réellement crédibles, étant donné les inquiétudes suivantes:
- l’inexistence d’un cadre de concertation tripartite (Majorité, Opposition, Société Civile), idéal pour clarifier la problématique des Centres d’Inscriptions (CI) qui n’ont pas été retrouvés sur terrain, la question des matériels électoraux sensibles détenus par des personnes non qualifiées, la situation de l’exhaustivité des données des Centre d’Inscription ayant connu des dysfonctionnements.
- l’absence d’une contre-expertise crédible par un organisme international spécialisé pour auditer le fichier électoral.
Le refus par la CENI de répondre favorablement à ces deux pertinentes demandes prouve à suffisance que le processus électoral est mal engagé.
Climat politique tendu
Les premiers gestes du Président de la République en 2019 étaient porteurs d’espoir pour un Etat de droit, notamment l’ouverture de l’espace politique et médiatique, la libération des prisonniers politiques et le retour au pays des exilés. Malheureusement, nous observons aujourd’hui un recul déplorable caractérisé par la répression violente des manifestations de l’Opposition, la restriction de la liberté de mouvement des opposants, des tentatives des projets de lois discriminatoires, l’instrumentalisation de la justice et les arrestations arbitraires.
L’intolérance politique s’observe aussi dans la sphère des fanatiques violents qui s’attaquent au grand jour aux adversaires politiques et à ceux qu’ils accusent d’être proches d’eux. En témoignent les actes de violence et d’intimidation contre nous, Evêques membres de la CENCO lors de notre visite pastorale à Kasumbalesa, le dimanche 18 juin 2023.
Nous condamnons toutes ces pratiques inacceptables et rappelons que nous tenons aux élections inclusives. A ce propos, le Peuple n’acceptera pas un empêchement purement politique de qui que ce soit de se présenter comme candidat aux élections. Il faut lui laisser la liberté de faire le choix de ses dirigeants, conformément à la Constitution.
RECOMMANDATIONS
Au Peuple congolais
Les élections nous donnent le pouvoir de renouveler la confiance aux animateurs des Institutions qui ont bien servi le pays, mais aussi de sanctionner tous ceux qui ont mal géré en servant leurs propres intérêts. Face aux nouveaux candidats, privilégions les critères objectifs de compétence et de probité morale.
Prenons donc conscience de notre responsabilité en tant que souverain primaire en disant :
- Non aux opportunistes qui changent de camps à la recherche des intérêts personnels !
- Non à ceux qui prennent comme suppléants les membres de leurs familles !
- Non à ceux qui postulent à tous les niveaux !
- Non aux tribalistes et aux népotistes !
- Non à l’achat de consciences !
Sachons que l’acte que nous allons poser le jour des scrutins est décisif pour l’avenir de notre pays. Compte tenu des expériences malheureuses des cycles passés, ne quittons pas les Bureaux de vote tant qu’on n’aura pas affiché les résultats.
Avec l’affichage des résultats au niveau des bureaux de vote, nous aurons déjà une idée claire des gagnants. La CENI n’aura d’autres choix que de les confirmer. Au cas contraire, ce serait une haute trahison et n’attendons pas une autre instance pour nous remettre dans nos droits. Nous avons le pouvoir constitutionnel (cf. Article 64) nous permettant d’imposer pacifiquement la vérité des urnes.
A ce niveau, la contribution de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) est d’accompagner ce processus avec une mission d’observation électorale conjointe avec l’Eglise du Christ au Congo (ECC). Bien entendu, cet accompagnement n’aura de sens que si la CENI donnait un minimum de garantie de transparence. Autrement, nous n’allons pas nous aligner.
Au Gouvernement
Nous demandons de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens ; de protéger les frontières nationales, de veiller au respect des droits et libertés de toutes les parties engagées au processus électoral, conformément aux textes légaux.
A la CENI
De garantir la transparence des opérations de vote et de dépouillement par le respect des dispositions légales concernant la cartographie des Centres et Bureaux de vote, l’accréditation des observateurs électoraux, des témoins des partis politiques et des journalistes, la publication des listes électorales définitives, la publication des résultats provisoires des scrutins par Bureau de vote.
Aux Cours et Tribunaux
Nous exigeons le respect de l’innovation introduite dans la Loi électorale qui dispose que les juges recourent aux procès-verbaux (PV) et fiches des résultats des Bureaux de vote et de dépouillement (BVD), mis à leur disposition par la CENI pour départager les candidats lors d’éventuels contentieux électoraux.
Aux Partis et regroupements politiques
Il incombe de préparer correctement leurs témoins et de les déployer dans les BVD afin de ne pas se présenter aux contentieux électoraux avec des résultats sans soubassements.
Conclusion
Pour des élections crédibles, Peuple congolais réveille-toi de ton sommeil ! Car il est temps que nous choisissions nous-mêmes nos dirigeants. Que personne n’achète ni ne corrompe notre conscience. A six mois des échéances électorales, nous nous invitons tous à la vigilance sur le processus électoral. Ayant été abusés aux élections de 2018, nous devons en tirer des enseignements et nous comporter de façon conséquente pour que désormais, les Institutions à mandats électifs de notre pays soient dirigées par des personnes réellement élues.
Puisse Dieu bénir, par l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, et de nos Bienheureux Marie Clémentine Anuarite et Isidore Bakanja, la RD Congo et son Peuple.
Fait à Lubumbashi, le 22 juin 2033