L’affaire de Fabrice Lusinde, Directeur général de la SNEL ( ?) semble défier toutes les règles de l’administration. Proposé à la révocation à travers une recommandation au terme d’une motion d’interpellation à l’Assemblée nationale, il a plutôt été suspendu par la Ministre du Portefeuille.
Dans ses attendus, Adèle Kayinda n’avance aucune motivation. Elle n’indique pas la durée de la suspension non plus et ne désigne pas formellement d’intérim. Des omissions qui ne cessent d’épaissir ce dossier qui n’attire pas d’attention à première vue, mais dans lequel se joue l’enjeu décisif de la bonne gouvernance entre la RDC et ses partenaires de Brettons Wood, précisément la Banque Mondiale.
Un pedigree qui trahit la vacuité des charges contre Lusinde
Fabrice Lusinde n’est, en effet, pas n’importe qui parmi les mandataires publics actuels. Il est arrivé à la tête de la SNEL sur un concours de recrutement organisé par le Copirep (Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques) sur recommandation de la banque mondiale dans le cadre de son suivi d’assainissement de la gouvernance en RDC. Il avait terminé premier sur 195 candidats au même poste (voir la liste des candidats à ce lien : https://www.copirep.cd/2022/03/23/candidatures-dg-snel/).
Le meilleur score de réussite de tous les autres concours qui ont aussi concerné la Regideso et le Foner.
A la Banque mondiale, on ne se fait aucun doute, depuis plus de dix ans, sur la qualité des recrutements assurés par le Copirep depuis sa création. Cette unité est une vraie dénicheuse des pépites d’or dont la compétence se passe de tout commentaire. A l’instar de l’actuel DG de la Regideso.
Egalement passé par ce concours, celui-ci est un congolais « high level » de la diaspora. Il vient des USA où il dirigeait une société active dans la distribution d’eau réalisant plus de 4 milliards USD de chiffres d’affaires/an. Par patriotisme, il a choisi se servir son pays pour un poste où il gagne trois fois moins que son salaire aux USA, les primes mises à part.
Et Fabrice Lusinde revendique pratiquement le même pedigree. Passionné de la croissance verte et de l’efficacité énergétique dans les pays émergents, il traine plus de 20 ans d’expérience en Afrique (dont 5 à la SNEL comme DGA) dans l’industrie de l’énergie, la réglementation des affaires et les programmes de développement du secteur privé (Groupe de la Banque mondiale, IFC, Trade Mark East Africa, SETYM International inc, etc.). son CV mentionne qu’il a conçu et mis en œuvre des projets et des solutions de gestion de formation sur le terrain, facilité les relations d’affaires entre le privé et le public au Burundi, au Cameroun, aux Comores, en République du Congo, en République démocratique du Congo, à Djibouti, au Gabon, en Guinée, à Madagascar, à Maurice, en Mauritanie, au Maroc, au Niger et au Sénégal.
Du coup de gueule de Mboso à la grogne des cadres à la SNEL, les prétextes qui ont servi pour couler Lusinde
Face à un tel profil, la sentence que les députés lui ont réservée ne pouvait que faire tiquer à la banque mondiale et dans les milieux qui connaissent l’homme. Une révocation pour incompétence et mégestion après seulement moins de six mois de gestion d’une entreprise dont les difficultés remontent à plus de quatre décennies, le tableau paraissait également trop surréaliste pour être authentique. Surtout lorsqu’on relève ces irrégularités qui ont entaché la démarche parlementaire sous la conduite personnelle de Christophe Mboso.
En effet, lorsque l’Assemblée nationale se penche sur la motion du Député national Prosper Lusinde, une enquête parlementaire se déroule à la SNEL. Elle a été commise par le Président Mboso en décembre 2022, à un moment irrégulier puisqu’aucune enquête de ce genre ne peut être diligentée pendant les vacances parlementaires. Et au cours du débat en plénière, les équipes du DG Lusinde constatent qu’au moins 80% des questions et préoccupations ont déjà trouvé des réponses avec la commission d’enquête.
D’où des interrogations sur l’opportunité d’un double emploi que représente cette interpellation qui débouche sur une irrégularité avec le vote de la recommandation de révocation à mains levées alors que cela devrait se passer à bulletins secret.
Court-circuiter les recrutements par concours pour laisser les coudées franches au clientélisme politique
La vérité est que Fabrice Lusinde venait d’être immolé sur l’autel des intérêts électoralistes qui se sont greffés sur la grogne à la SNEL où, en quelques mois seulement de mandat comme DG, il a mis au garage de nombreux hauts cadres, certains pour avoir passé plusieurs années sans prendre de congé, d’autres pour avoir atteint l’âge de la retraite et d’autres encore pour des avancements en grade irréguliers, etc. dans les couloirs de l’Assemblée nationale, on parle avec assurance d’une altercation ayant mis aux prises l’intraitable DG de la SNEL et Christophe Mboso. Celui-ci, indique-t-on, n’aurait pas digéré le « ton déplacé » que le premier lui aurait réservé en rejetant sa demande d’électrification de Kenge, sa base politique, pour un dossier pesant au moins 60 millions Usd.
Dans ses propres conclusions, l’auteur de l’interpellation a révélé les motivations politiques de sa démarche lorsqu’il a parlé de la problématique des délestages en la présentant comme une préparation d’une révolte de la population contre le régime. Alors que cette pratique date déjà de l’époque de Mobutu et ne cesse de s’aggraver. L’interpellateur a, en réalité, rebondit sur les observations faites par le chef de l’Etat à la 91ème réunion hebdomadaire du Conseil des Ministres du 18 mars 2023, au cours de laquelle il avait appelé la SNEL à communiquer sur les questions de délestage avec la population.
Un zèle politique sans fondement, estime-t-on, lorsque l’on connaît les raisons de ces délestages qui incombent en très grande partie à l’Etat congolais. Celui-ci, à travers ses différentes institutions (cabinets ministériels, services publiques, parlement – Palais du peuple -, etc.), est le premier, débiteur de la SNEL avec une ardoise dépassant le milliard de dollars.
La vérité est que Fabrice Lusinde est victime d’une cabale des politiciens qui ne veulent ABSOLUMENT pas de recrutement sur le mérite car ils savent que ce serait la fin pour eux. Les entreprises publiques sont des vaches à lait des partis politiques, et les confier à des mandataires qui ne leur seraient pas redevables passent, aux yeux des politiciens, pour un suicide financier.
L’enjeu est donc de savoir ce que pourrait devenir la voie de la méritocratie déjà balbutiante face aux pressions pour le retour des prédateurs à la tête des entreprises publiques. Et la SNEL est un cas qui interpelle les consciences suite à la situation de son ancien DG et plusieurs de ses collaborateurs récemment arrêtés pour mégestion et détournement des fonds. C’est à ce même moment que le nouveau DG broie du noir pour avoir voulu « serrer les boulons », sachant qu’il ne doit sa nomination qu’à sn mérite.
Le véritable enjeu dans cette affaire n’est donc pas la desserte en électricité ou les délestages, ni même la compétence non du DG de la SNEL. L’objectif inavoué est de casser la volonté de mettre en place systématiquement des concours transparents pour l’accession aux fonctions au sein des comités de gestion ou des conseils d’administration de toutes les entreprises du portefeuille de l’Etat jusqu’ici réservées aux politiciens lors des partages de ce qu’ils appellent le gâteau.
Et dans tout cela, que va dire la banque Mondiale ?
Jonas Eugène Kota