Difficultés d’enrôlement, boycott des élections, fuites (fake ?) de renseignements sécuritaires, précarité sociale, bancs syndicaux en ébullition, détournements des fonds des projets sociaux et sainte colère du chef de l’État, etc. ; À l’entame de cette année électorale, la République Démocratique du Congo est en train de boucler son rendez-vous avec une année explosive.
Les routes de Kinshasa la congestionnée se sont vidées plus tôt que d’habitude hier jeudi 12 janvier 2023. A partir de 15 heures déjà, on pouvait quitter la gare centrale et atteindre Binza UPN en un temps record de pas plus de 30 minutes.
On aurait cru que c’était le fait de la gueule de bois des kinois qui tarde à faire redémarrer la ville après les fêtes du nouvel an. Un fait est que ce jeudi était bien particulier à la suite d’une note interne des services de renseignement qui a fuité dans les réseaux sociaux. La note faisait état d’une attaque terroriste sur Kinshasa ce jeudi même mais ne donnait pas de précision sur le lieu où cela allait se produire.
Les officiels, dont le porte-parole du Gouvernement, ont tenté de désamorcer la psychose en frappant le document du sceau d’un fake, mais rien n’y a fait. Les débats houleux sur cette note de service dans les réseaux sociaux n’ont fait que raviver la psychose tant la réaction du Gouvernement paraissait trop faible pour l’emporter sur la conviction de l’authenticité du document qui dominait dans l’opinion.
Le front social, premier explosif
Il faut dire que cette psychose a été beaucoup plus facilitée par le climat délétère qui planait déjà sur la ville et à travers le pays avec la conjonction de plusieurs autres aléas qui installent petit à petit une situation explosive en ce début de l’année électorale. Le premier aléa est, sans conteste, la précarité sociale ambiante que les fêtes du nouvel an n’ont pas su dissiper. Mais si janvier est connu pour une année financièrement difficile, c’est depuis plusieurs mois auparavant que les Congolais se voient progressivement ostracisés des espaces économiques avec l’effritement de leur pouvoir d’achat.
Les efforts d’amélioration du traitement salarial par le Gouvernement ont ainsi buté au relèvement du coût de la vie, entraînant ainsi une grogne sociale latente.
Les tensions électorales mettent les congolais en chiens de faïence
Une grogne qui se transforme en une sorte de peur morbide face aux signaux politiques qui présagent une année électorale particulièrement musclée et même violente. D’abord par la persistance de la crise autour du processus électoral depuis la mise en place du bureau de la CENI, le vote de la loi électorale et le réaménagement intervenu à la Cour constitutionnelle. Cette crise débouche aujourd’hui sur des annonces de boycott des élections, notamment par des partis politiques du FCC qui réclament des ajustements sur ces trois points.
Une position qui suscite, en face, un mélange d’indifférence et d’une sorte d’agacement chez ceux qui la vivent comme une façon de saboter le processus électoral offert par leur « champion » Félix Tshisekedi.
Mais au milieu se meut une masse d’électeurs désabusés par une opération d’enrôlement particulièrement chaotique et éprouvante. Et avec les commentaires de certains politiciens, ces difficultés techniques ont tendance à être assimilées comme des signaux d’une tricherie électorale en préparation. Une perspective qui rappelle les précédents cycles électoraux et leur cortège de violence pour ainsi en rajouter à la psychose déjà ambiante.
Discours identitaires et racistes
A ce cocktail explosif vient s’ajouter le débat sur la nationalité et l’éligibilité. Un débat qui, au nom d’une campagne électoral précoce, glisse dangereusement sur le terrain de la xénophobie et le racisme dans le dessein de plus en plus évident d’exclure des concurrents politiques du jeu électoral.
Le discours a pris une autre dimension avec l’entrée en jeu de membres du Gouvernement. Depuis, il s’observe une sorte de levée de boucliers dans les réseaux sociaux parmi des leaders et des groupes sociopolitiques essentiellement du grand Katanga dont est originaire Moïse Katumbi, cible de cet ostracisme radioactif.
On ne revient pas sur cet autre aléa qu’est l’affaire de la dilapidation des fonds destinés aux projets structurants dans le Kasaï. Le chef de l’Etat, qui a passé la Saint Sylvestre à Mbuji-Mayi, en a vécu l’amère réalité. A Kinshasa, des voix s’élèvent pour tirer cette situation au clair et infliger des sanctions aux coupables.
Le grand chacun est, cependant, que ces détournements ne sont pas les premiers du genre et pour le même coin du pays. Ils sont également attribués aux proches collaborateurs du Président de la République qui continuent de bénéficier de l’impunité de leurs actes. Une situation qui entretient également la grogne, non pas seulement à Mbuji-Mayi où la population réclame des têtes, mais aussi à Kinshasa où se ressent une révolte à couper au couteau et ailleurs à travers le pays, surtout dans des provinces comme le Sankuru qui est, aujourd’hui, le plus grand laissé-pour-compte.
Détournements des fonds publics et impunité
Cette situation est ainsi vécue comme une forme d’injustice dans une période de forte crise où les Congolais assistent à la volatilisation de dizaines de millions de dollars du trésor public au profit d’une poignée de compatriotes pendant que la plus grande majorité assiste impuissante à sa descente aux enfers.
Flou autour de la véritable mission des contingents de l’EAC
Last but not least, la situation sécuritaire à l’Est. Une situation sécuritaire qui provoque aussi une levée de tension autour de la vraie nature de la force de l’EAC. Alors que, malgré ses engagements, le M23 continue de glaner des territoires sans en céder conformément aux décisions de Luanda, les Congolais sont surpris de constater que les contingents de l’EAC présents en RDC ne sont pas là pour combattre le M23 et les autres groupes armés, mais pour s’interposer en substitution pratiquement à la Monusco qui n’est plus en odeur de sainteté. La conviction à ce sujet a été consommée avec la rencontre, jeudi à Nairobi entre Uhuru Kenyetta, facilitateur du processus de cette ville kenyane, et une délégation du M23.
Ayant déjà l’expérience des plus de 20 années de présence de la Monusco, les congolais de l’Est ne sont pas prêts à accepter un tel rôle qui, pour nombre d’entre eux, consacre l’instauration d’une zone tampon qui résonne comme la consécration de la balkanisation de la RDC tant crainte. Les mouvements citoyens locaux attendent de l’EAC des opérations d’envergure contre le M23 et lui donne 6 jours pour ce faire. Passé ce délai, ils vont déclencher leurs propres activités d’envergure pour chasser ces contingents comme ils l’ont fait avec la Monusco au Nord-Kivu.
Autant donc d’aléas qui indiquent à quel point la RDC est assis sur un volcan pouvant entrer en ébullition à tout moment à partir de plusieurs foyers d’écoulement de sa lave. De la politique à la situation sécuritaire en passant par la précarité sociale de la population et la dilapidation des deniers publics par une poignée de citoyens devant le reste des congolais médusés par l’impunité dont ils jouissent, la RDC est bien loin d’un pays en paix.
Jonas Eugène Kota