Congo Guardian a pu se procurer, de source bien introduite au système des Nations-Unies en RDC, le fameux rapport – classé confidentiel jusque-là – des experts de l’ONU sur la République Démocratique du Congo. Numéroté S/2022/479 et daté du 14 juin 2022, date supposée de sa « distribution générale », ce document est couvert par une lettre de transmission au Président du Conseil de sécurité par le groupe d’experts du même organe, lettre qui, elle, est datée du 10 juin 2022.
La lettre de transmission renseigne que le rapport avait communiqué le 3 mai 2022 au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo, et que ledit comité l’avait examiné le 13 mai 2022, soit au moins quatre (4) avant la 77ème session de l’Assemblée générale de l’ONU où le Président de la RDC avait exigé que ce document soit « déclassifié » pour que son contenu, dont les premiers éléments rendus publics par les médias occidentaux accablaient le Rwanda, soit enfin connu et débattu publiquement.
En juin 2022 déjà, au moment de sa transmission au Président du Conseil de sécurité, le Groupe d’experts avait recommandé à ce dernier « de bien vouloir porter le texte de la présente lettre et du rapport à l’attention des membres du Conseil de sécurité et de le faire publier comme document du Conseil ». Ce qui, officiellement ou, du moins, selon les informations disponibles, n’aurait toujours pas encore été le cas.
Aucune attaque du Rwanda par les FDLR à partir de la RDC
S’agissant des accusations de Kigali contre la RDC qui utiliserait ou armerait les FDLR pour attaquer le territoire rwandais, le rapport d’experts onusiens ne documente rien dans ce sens. La seule tentative d’attaque dans ce sens relève de la responsabilité de kamikazes ougandais de l’ADF qui, du reste, avaient été arrêtés en territoire rwandais avant de perpétrer leur attentat.
« Le 1er octobre 2021, les autorités rwandaises ont annoncé l’arrestation de 13 personnes soupçonnées d’agir pour le compte des ADF dans le cadre d’un projet d’attentats à l’engin explosif improvisé à Kigali », rapporte, en effet, le rapport qui révèle aussi que « divers équipements entrant dans la composition de ces engins ont été saisis à cette occasion ».
Le Groupe d’experts dit également avoir « pu confirmer l’existence de liens entre le projet d’attentats à la bombe et les ADF, notamment le rôle clé de Meddie Nkalubo ». Le rapport n’indique, cependant, nulle part, le pays de provenance de ces terroristes parmi lesquels on retrouve plusieurs nationalités dont les rwandais, les ougandais, les burundais, etc., mais pas de congolais.
Les troupes du M23 ressuscité sont venues aussi bien du Rwanda que de l’Ouganda
Au chapitre de la résurgence du M23 après sa dissolution en 2013 comme groupe armé, le Groupe d’experts renseigne que ses troupes sont venues aussi bien du Rwanda que de l’Ouganda. Le rapport indique, en effet, que c’est à partir de janvier 2017 que « le M23/ARC a commencé à se reconstruire lorsque des combattants dirigés par le « général » Sultani Makenga (…) ont quitté le camp de Bihanga en Ouganda pour établir une base sur le mont Sabinyo dans le parc national des Virunga, en République démocratique du Congo ».
Restée inactive jusqu’au début de novembre 2021, cette branche pro-ougandaise du M23 « a lancé (en novembre 2021) une première série d’attaques contre des positions des FARDC et de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) près de la zone où se rejoignent les frontières entre la République démocratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda, tuant des écogardes de l’ICCN et des soldats des FARDC, et volant des armes, des uniformes, du matériel de communication et des vivres, renforçant ainsi ses capacités militaires ».
On peut également lire que « la fréquence, la durée et l’intensité des attaques du M23/ARC ont suivi une courbe ascendante, tout comme le nombre de victimes des FARDC, ce qui indique un plus grand degré de « professionnalisme », un recrutement plus actif et de meilleures capacités de réapprovisionnement ». Mais également qu’« à partir de novembre 2021, le M23/ARC a commencé à recruter dans le camp de Bihanga, et à partir de janvier 2022, dans les territoires de Masisi et de Rutshuru et à Kitshanga, en République démocratique du Congo, ainsi qu’au Rwanda, pour renforcer rapidement ses troupes ».
En conséquence, « alors qu’une estimation de 100 à 200 combattants ont été impliqués lors des attaques menées entre novembre 2021 et janvier 2022, au moins 400 combattants ont été observés lors de l’attaque de Bunangana, le 29 mars 2022, tandis que d’autres combattants ont été observés près de Matebe et sur la route de Rugari-Kibumba le même jour ».
D’autres éléments démontrant l’implication rwandaise derrière le M23 peuvent être découverts lorsqu’on lit que « Si la majorité des combattants du M23/ARC présents dans les camps étaient originaires de Masisi, certains étaient Banyamulenge, tandis que d’autres étaient des ressortissants rwandais ou parlaient le lingala ». Les forces armées et les forces de sécurité de la République démocratique du Congo ont signalé « la présence d’individus portant des uniformes de la Force de défense rwandaise (Rwanda Defence Force – RDF) dans des camps du M23/ARC situés en République démocratique du Congo, ce qui a été confirmé par des images aériennes et des preuves photographiques. Néanmoins, le Gouvernement rwandais a catégoriquement nié tout soutien actif ou passif de la RDF au M23/ARC ».
Mais les observateurs, eux, se convainquent de ce soutien rwandais au regard de la puissance de feu et de l’organisation du M23. « Le M23/ARC était bien équipé, possédant notamment des fusils d’assaut de type AK et des armes automatiques PKM, des fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses lourdes de 12,7 mm, des lance-roquettes, des mortiers de 60 mm et des jumelles de vision nocturne. Au début d’avril 2022, le M23/ARC a saisi des pièces d’artillerie des FARDC ».
Au commencement était des négociations non soldées avec Kinshasa
Une autre polémique feutrée demeure sur l’origine de la résurrection du M23 et les motivations à la base de leur témérité. Kigali et ce groupe armé ont toujours clamé que le Gouvernement de Kinshasa n’a pas honoré ses engagements pour la poursuite et la finalisation des négociations avec ce groupe armé, ce que la partie congolaise a toujours rejeté. Les experts de l’ONU renseignent, cependant, que « les récentes attaques du M23/ARC découlent notamment de l’absence de progrès dans la mise en œuvre des Déclarations de Nairobi signées le 12 décembre 2013 ». Avant d’ajouter que « des négociations confidentielles entre le Gouvernement de la République démocratique du Congo et une délégation du M23, qui avaient débuté en septembre 2020 et s’étaient poursuivies pendant 14 mois, sont au point mort. Six combattants du M23/ARC qui ont été capturés ont déclaré que le plan de Makenga était d’attaquer et d’occuper les villes de Bunangana, Rutshuru et Rumangabo, de couper la route stratégique Goma-Rutshuru, puis de prendre Goma, afin de forcer le Gouvernement à accepter les demandes du M23/ARC en matière d’amnistie, de restitution d’avoirs, de retour en République démocratique du Congo, d’intégration aux FARDC et d’attribution de postes politiques ».
La Présidence de la République et le Gouvernement congolais ont toujours nié l’existence de ces négociations et ces termes d’accords.
(A Suivre)
Jonas E. Kota