De Joseph Kabila à Félix-Antoine Tshisekedi, j’accuse la Justice. Cet outil important de régulation du comportement social est bonnement passé de l’instrumentalisation sous l’ancien Président à la théâtralisation sous l’actuel.
Tout au long de son règne, Kabila a pratiqué à la perfection l’instrumentalisation de la Justice pour tuer, réprimer, écarter, intimider ses opposants (politiques, journalistes, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes, religieux…). Franck Diongo, Jean Claude Muyambo, Kiboko, Moïse Katumbi, Peter Tshiani, Mwanda Nsemi, Eliezer Ntambwe, Eddy Kapend, Willy Mishiki, Gekoko Mulumba, Firmin Yangambi, Mike Mukebayi, Christopher Ngoy, Leta Mangasa, Gabriel Mokia, Bruno Tshibala, Moïse Moni Della, Huit Mulongo, Ernest Kyaviro, Bertrand Ewanga, Elie Kapend, Diomi Ndongala, Roger Lumbala… sont tous passés dans les mailles d’une justice aux ordres.
Un beau matin, le jour de mon procès au parquet de la Gombe, avant même que je ne sois jugé, un huissier de justice est venu souffler à mes avocats que dans la farde du juge, il y a déjà une sentence rédigée à l’ANR sous la dictée de l’administrateur Kalev. N’eût été la vigilance et l’intelligence de mes brillants avocats – Me Georges Kapiamba, Me Landry Pongo et Me Christan Nkoy – qui avaient demandé la surséance du procès pour inconstitutionnalité en attendant l’avis de la Cour constitutionnelle, j’aurai écopé d’une peine de mort. Mon seul crime : avoir manifesté pacifiquement le 19 septembre 2016 pour exiger la convocation du corps électoral.
POUDRE DE PERLIMPINPIN
L’avènement de Félix-Antoine Tshisekedi qui fait de «l’instauration de l’Etat de droit » la promesse phare de son mandat, a suscité de l’espoir. Mais trois ans après, le constat est amer dans la pratique. Nous assistons à la théâtralisation de la justice. Le président de la République n’a pas hésité de soutenir, d’une manière déconcertante dans une interview à France 24, que la rétro-commission « n’était pas une infraction en RDC». C’est une coopération («eza coop»), comme pour donner les orientations aux magistrats et juges qui enquêtaient sur la lutte contre la corruption et plus particulièrement sur le programme des 100 jours lancé avec pompes.
Après une telle affirmation du premier magistrat de la République, tout le monde connaît la suite que la justice a réservée à toutes ces affaires de corruption. Une pièce de théâtre de chez nous. Un véritable poisson d’avril. Une poudre de perlimpinpin.
PROCÈS 100 JOURS : ILLUSTRATION ÉLOQUENTE DE CETTE COMÉDIE JUDICIAIRE
L’on arrête des gens le matin et on les libère le soir sans aucune contrepartie, sans rembourser aucun rond détourné. L’on finit par réaliser que tout n’était fait que pour la consommation extérieure. En réalité, la justice est devenue une blanchisserie, une chambre d’immunisation des détourneurs des deniers publics.
Le procès dit des 100 jours est une illustration éloquente de cette comédie judiciaire dans le fond comme dans sa forme. Pièces contre pièces, les acteurs des sagas médiatisées n’avaient rien à envier aux célèbres comédiens Mangobo, Mongali, Likuli ou Shako qui ont une fois tourné une pièce de théâtre sur la justice.
Le président de l’UNC, M. Vital Kamerhe, lors du procès dit de 100 jours, n’a cessé de clamer son innocence, rappelant qu’en tant que directeur de cabinet, tous ses agissements étaient sur ordre du président. Il n’était qu’un exécutant. Condamné au terme d’un procès «pédagogique» et voilà qu’il est acquitté deux ans après «faute des preuves », au nom du principe de droit «Actori incumbit probation» (la preuve incombe à celui qui accuse). Surtout en matière pénale.
De quoi renforcer la thèse d’un procès politique développée par une partie de l’opinion.
D’autres pièces de théâtre ont mis en scène Willy Bakonga, Eteni Longondo, Jacky Ndala, Abdallah Bilenge, Daniel Massaro, Henry Magie, Barnabé Mihigo, Ngoy Mulunda, Yves Buya, Jeannot Muhima Ndoole, responsable du service import et export à la présidence de la République, François Beya et bien d’autres comme Bertin Mawaka, le directeur de cabinet du ministre des Finances libéré à peine arrêté.
Sans être auxiliaire de la justice, praticien ou spécialiste en droit, on constate avec amertume le dysfonctionnement de la justice, mieux on assiste à un véritable bidouillage, tripatouillage, cafouillage des décisions de justice dans nos cours et tribunaux.
JUGER LA JUSTICE CONGOLAISE
Tenant compte de cette folie judiciaire, il faudrait un jour juger la justice congolaise. Elle doit impérativement être accusée par les citoyens congolais au nom de qui elle prétend rendre justice, alors qu’elle fait souvent le contraire : propager l’injustice.
Comme disait l’écrivain Français Emile Zola, dans son célèbre roman « J’accuse », usant de mon devoir de citoyen, j’accuse cette justice d’être assise sous la chapelle des politiques ou des plus offrants. C’est d’ailleurs à juste titre que le président de la République a fustigé à plusieurs reprises les comportements injustes et moins rassurants des magistrats à des termes très durs.
L’ancien ministre de la Justice, M. Tambwe Mwamba, n’est pas allé par le dos de la cuillère avec son fameux «3V» (veste, voiture et villa) pour condamner le comportement des magistrats. Récemment, l’actuelle ministre de la Justice, Madame Rose Mutombo, n’a pas hésité de hausser le ton contre les dernières décisions du Conseil d’État siégant en matière des contentieux électoraux des gouverneurs. Au Conseil d’État, l’icône du monde politique et scientifique en la personne de Vundwawe Te Pemako, constatant les désordres, n’a pas hésité de se débarrasser de son cabinet.
En une ou en mille mots, la justice congolaise reste à refonder dans les règles d’éthique et de déontologie des acteurs de droit. Même dans sa doctrine ou sa jurisprudence. L’urgence s’impose, car cela fait bien longtemps qu’elle a perdu ses repères. Elle navigue à vue, sans boussole, dans les eaux profondes, en plus des intempéries saisonnières. Sans tenir compte des changements climatiques ou politiques, elle continue à polluer l’environnement démocratique, diffusant les gaz à effet de serre qui entraînent le réchauffement climatique du paysage politique du pays.
Notre justice est celle de connivence, de convenance et sans conscience qui nous rappelle le livre de l’éditeur du journal Le Potentiel Modeste Mutinga «La République des inconscients». «Science sans conscience n’est que ruines de l’âme ». Cette maxime de l’écrivain français Rabelais ne pouvait être aussi interpellateur. Une justice qui donne raison sans raison, comme si on était dans une oraison funèbre ne peut bâtir une nation. Un tel comportement est irresponsable et entraîne à coup sûr le naufrage du pays.
La justice dévoyée de notre pays est une des causes de l’affaissement, l’abaissement et de l’affaiblissement de la RDC. Elle qui est la colonne vertébrale, garante de la paix sociale, sans laquelle le développement et le progrès social est chimérique et utopique. La Bible, le Coran, la Thora et autres livres révélés nous apprennent que «la justice élève une nation». Heureusement qu’il y aura une justice de l’histoire et divine qui est sans appel, sans détours, sans recours, sans corruption, sans «coop» et sans rétro-commission.
MOÏSE MONI DELLA
PRÉSIDENT DE CONADE
VICE-MINISTRE HONORAIRE DE LA PRESSE ET INFORMATION
ANCIEN MANDATAIRE DE L’ETAT