Il était une fois une robe verte… Une robe si légère, si décolletée, si « fashionable » qu’elle a réussi là où tant de discours politiques ont échoué : faire l’unanimité contre elle dans les cercles protocolaires de la République.
La scène se passe lors d’une audience présidentielle, où une invitée, visiblement pas au fait des conventions viennoises comme des revues et des défilés de mode parisiens, a offert au public un spectacle inattendu : un cours pratique sur ce qu’il ne faut surtout pas porter devant le Chef de l’État.
Le protocole sort ses griffes
Derrière cette apparente tempête dans une garde robe se cache une réalité bien plus sérieuse : le protocole d’État congolais, héritier de textes aussi anciens que prestigieux, ne badine pas avec l’élégance… institutionnelle. La Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et son acolyte de 1963 sur les relations consulaires, auxquelles la RDC est partie, doivent se retourner dans leurs annales juridiques !
Car en RDC, comme nous le confie un expert sous couvert d’anonymat, « il existe depuis 1960 plusieurs textes réglementaires qui régissent le protocole d’État et l’étiquette ». Et attention, mesdames, messieurs : depuis la nuit des temps, le droit coutumier a toujours régi les relations diplomatiques.
Traduction : nos ancêtres portaient le pagne avec plus de décence que certains ne portent aujourd’hui leurs tenues « tendance ».
La bible du bon goût gouvernemental

Heureusement, des gardiens du temple veillent. Xavier Bonane Ya Nganzi, ancien Secrétaire général du Gouvernement, a même écrit ce qui n’est pas moins la bible en la matière : « Inter-ministerialité et conduite de l’action gouvernementale ». Cet expert, qui forme les hauts fonctionnaires à l’ENA sur l’organisation des institutions et qui intervient régulièrement lors des séminaires de mise à niveau des nouveaux membres du Gouvernement, connaît mieux que quiconque les arcanes du protocole.
On apprend dans cet ouvrage, entre autres, que « l’habillement est porteur d’un message » – certainement pas celui que voulait envoyer notre invitée en robe verte !
Et Bonane Ya Nganzi est formel : « l’anti-conformisme dans l’habillement est un signe de distraction, de manque de discernement et même d’orgueil et de suffisance ». Traduction pour les fashion victims : votre tenue peut vous faire passer pour un clown présomptueux aux yeux du protocole.
Le dress code : mode d’emploi
Mais que doit-on porter alors ? La réponse tient en quelques interdictions savoureuses que nous prescrit l’ouvrage de Xavier Bonane : oubliez les vêtements « découvrant les bras, les jambes (les cuisses jusqu’aux genoux pour les dames), le buste ou le haut de la poitrine ». Adieu donc les décolletés plongeants et les mini-jupes affriolantes !
Les chaussures sans talons ni empeigne ? « Sandales, babouches » sont bannies. On imagine mal, il est vrai, un diplomate en tongs négociant un traité international…
Pour les hommes, le costume foncé – pas les couleurs vives et criardes – reste de rigueur, avec chemise blanche et cravate. Le blazer ou l’abacost sont tolérés – une concession à la congolité qui n’autorise pas pour autant les fantaisies.

Tous ces préceptes avaient été exposés au premier séminaire du premier gouvernement sous Félix Tshisekedi à Zongo – site Seli Safari – dans le Kongo Central en 2019. Un exemplaire de l’ouvrage avait été remis à chaque membre du Gouvernement.
Kilufya, le pope du Protocole

L’ambassadeur Dominique Kilufya Kamfwa, véritable icône du protocole en RDC, enfonce le clou dans son « Recueil commenté des règles du Protocole d’État et de l’étiquette en RD CONGO ». Son message est clair : en matière vestimentaire officielle, l’excentricité n’est pas une vertu.
Et pour ceux qui douteraient encore du sérieux de l’affaire, sachez que le processus de validation est tout sauf anodin. Le formulaire y relatif est signé par le membre du Gouvernement lui-même et contresigné par le Secrétaire Général du Gouvernement, en présence du responsable de l’Observatoire du Code d’éthique professionnelle. Trois signatures officielles pour s’assurer qu’un ministre ne se pointera pas en tenue de plage à une réunion du gouvernement – on n’est jamais trop prudent !
Morale de l’histoire
Alors, la prochaine fois que vous serez invité à une audience présidentielle, mesdames, messieurs, souvenez-vous : il vaut mieux se faire remarquer par ses idées que par sa garde-robe. À moins que vous ne souhaitiez devenir, comme notre amie en robe verte, la star involontaire des chroniques protocolaires…
Car comme le rappelle si élégamment la sagesse protocolaire : on reconnaît le moine à son habit.
JEK

