Nouveau marché central de Kinshasa : Pleins feux sur un projet chimérique (dossier)

Sans aucun soubassement documentaire malgré les exigences de l’Assemblée provinciale, ni étude architecturale, ni existence légale des entrepreneurs recrutés illégalement, ou un marché légalement passé, et moins encore de capacité financière à hauteur de Usd 30 millions, Gentiny Ngobila, Godé Mpoyi et des soutiens à la Présidence de la République ont embarqué les Kinois dans l’arnaque d’un projet d’un nouveau marché central qui, trois ans après, n’a jamais connu le moindre début des travaux.

Alors que se forme une polémique entre les intervenants directement impliqués dans le projet du nouveau marché central, les Kinois ont vite fait le tour du regard pour n’apercevoir nulle part les traces des travaux qui auraient déjà démarré. Lorsqu’en effet, l’Inspecteur Général des Finances somme les entreprises engagées – du reste dans des conditions abracadabrantes – dans ces travaux de les achever à l’horizon de novembre 2023, les Kinois, eux, n’y voient qu’une démagogie autour des échéances électorales. Curieusement, en effet, toutes les inaugurations de la République vont converger en cette année stratégique…

Gentiny Ngobila dans un attelage de trafic d’influence au sommet de la République ?

Une démarche grosse comme un éléphant en selfie sur le groin d’un porc quand on se demande ce que vient faire l’Inspection générale des finances dans cette posture inédite de bureau technique de contrôle dans ce projet enveloppé d’une chappe de brume. A ce jour, en effet, les seules images que les Kinois peuvent retrouver sporadiquement dans les réseaux sociaux sont celles de la maquette qui avait été présentée avec pompe au Musée nationale et qui aurait coûté 180.000 euros, et du terrain vague de l’ancien marché où l’ont voit, presqu’au milieu, un tracteur tombé en rade après avoir échoué de venir à bout d’un pavillon vieux de plus de 40 ans.

Plus de deux ans après la démolition de l’ancien marché centrale, en effet, ni l’Hôtel de ville, ni l’Assemblée provinciale – dont le Président montre un zèle suspect en communication dans ce dossier qui relève pourtant de l’exécutif provincial -, personne n’a encore montré aux Kinois des images d’une brique qui aurait été posée sur une autre dans l’érection du nouveau marché central. En somme, toutes les enquêtes menées par Congo Guardian sur ce « projet » renvoient au starter, c’est-à-dire au commencement de cette affaire lancée en pompe par Gentiny Ngobila.

Surfant dans un enchevêtrement d’intérêts opposant en son temps des factions au sein du cabinet du chef de l’Etat – le Gouverneur est, en effet, soutenu par le puissant Biselele dit « Bifort », tandis que Vidiye Tshimanga hésite à lâcher son chef dans ce qu’il considère comme une arnaque des cours de récréation -, Gentiny Ngobila parvient quand même à embarquer le Président de la République dans une équipée où le trafic d’influence l’emporte sur les procédures légalement admises pour un projet qui, aujourd’hui, n’a finalement ni tête ni queue. Et pour cause.

De la lutte contre le Covid619 au marché moderne en passant par la salubrité du marché central, le parcours de la fumigation

Lorsque fin 2019-début 2020, Gentiny Ngobila annonce la fermeture du marché central pour sa désinfection dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 et qu’ensuite cette fermeture passe sous une nébuleuse justification de sa réfection pour lutter contre l’insalubrité, les observateurs subodorent un coup fourré. A raison, puisque quelques temps après que Ngobila ait fait allégeance à l’Union sacrée, la fermeture annoncée comme provisoire le devient définitivement. Les marchands, qui avaient été dispersés aux quatre coins de la ville, sont déguerpis de certains sites où ils étaient parqués. D’autres, sans site de reprise de leurs activités, perdent leurs revenus lorsque leurs marchandises sont détruites dans les entrepôts du marché central. Certains parmi eux piquent des crises et meurent.

Hôtel de ville contre Safricom : la rocambolesque affaire de l’éviction du libanais Hassan

C’est au milieu de tout ceci que naît une guerre entre la ville et l’homme d’affaires Hassan Mourad qui, par sa société Safricom, détient un contrat signé avec la ville à l’époque du Gouverneur Jean Kimbunda. En effet, du projet de désinfection puis de réfection/entretien, Gentiny Ngobila a abattu une nouvelle carte : celle de raser carrément ce centre de négoce pour en construire un autre déjà qualifié de moderne.

Sur le coup, le Gouv’ détient un atout majeur : la convention liant la ville à Safricom est largement léonin car la ville n’en tire que des prunes. De plus, depuis près de deux décennies, Hassan, qui amasse mensuellement une fortune avec les magasins pavillonnaires qu’il avait construits, n’a jamais rempli sa part d’obligation conventionnelle d’entretenir le marché.

Seulement, au lieu d’user des dispositions contractuelles pour délier proprement la ville de cet asservissement, Ngobila choisit le trafic d’influence pour sortir le libanais du deal. Mal lui en prend puisqu’au terme d’une action judiciaire devant les cours et tribunaux congolais, Safricom l’emporte sans coup férir, d’abord à la Cour d’appel puis au Conseil d’Etat.

Mais ne s’avouant pas vaincu, Ngobila va réussir cette fois-ci, avec ses appuis à la Présidence et pour des motifs particulièrement gênants pour l’image du pays tout entier, à faire carrément expulser le libanais du pays, lui qui vit à Kinshasa depuis au moins quatre décennies. Aujourd’hui encore, les observateurs tremblent à l’idée d’une action judiciaire du libanais devant le tribunal Ohada où il l’emporterait de nouveau sans coup férir pour contraindre la ville de Kinshasa à de lourdes amendes.

Si, cependant, Hassan n’en est pas encore là, estime-t-on, c’est simplement parce qu’il a encore d’importants intérêts en RDC qu’il tient à préserver. Il espère donc une issue plus conciliante.

Quand Godé Mpoyi neutralise l’Assemblée nationale

Qu’à cela ne tienne, la pichenette contre le libanais n’est pas la seule qui va joncher le parcours tortueux du brumeux projet d’un marche central moderne né dans l’imaginaire de Ngobila et qui n’en est encore jamais sorti, sinon sous l’esquisse d’une maquette de propagande envoutante. On rappelle, en effet, cette démarche parlementaire de la ville qui est demeurée sans suite jusqu’à ce jour, cela après l’implication d’un autre larron : Godé Mpoyi, le ci-devant Président de l’Assemblée provinciale.

En effet, dès juin 2020, à la suite de la clameur soulevée par les manèges de Gentiny Ngobila, et alertée par les commerçants se sentant désabusés, l’Assemblée provinciale va commettre une commission d’enquête qui va déboucher sur un éventail de recommandations dont la principale demande au Gouverneur de la ville d’envoyer à l’organe délibérant de la ville, toutes affaires cessantes, toute la documentation relative au dossier du marché central. Mais aujourd’hui, près de trois ans après, l’Assemblée provinciale n’a vu rien atterrir, alors qu’entre-temps, Godé Mpoyi s’est curieusement fait le plus grand chantre d’un projet chimérique – il n’en dispose d’aucune pièce – dont il va jusqu’à annoncer les échéances de la fin des travaux et même le mode de sa gestion future.

L’année dernière encore, soit en juin 2022, le député provincial Udps, Jerry Dikala, avait relancé la question par une motion, mais pour la même suite. Lors de la plénière qui traite de cette motion, Godé Mpoyi annonce, du haut de son perchoir, avoir fait minuter illico une correspondance qui est déjà expédiée à qui de droit. Et Jerry Dikala attend la suite jusqu’à ce jour aussi.

Félix Tshisekedi floué par ses conseillers

Mais avant que l’Assemblée nationale ne soit neutralisée, manifestement avec la complicité active de son Président, c’est le Président de la République en personne qui avait été attrait dans l’opération. Félix Tshisekedi est, en effet, attiré à la rescousse lorsque Ngobila et ses soutiens au palais de la Nation et à Mont Ngaliema n’arrivent pas à venir à bout du collectif des commerçants qui veulent voir clair sur leur sort.

Le chef de l’Etat est ainsi entraîné sur le site du marché et, après avoir ensuite entendu, au cours d’une rencontre le même jour à l’Hôtel de ville, toutes les parties – l’autorité provinciale et les commerçants, mais pas Safricom -, il finit par autoriser la fermeture du marché en vue de sa démolition pour la construction d’un autre sur le même site.

Cependant, 48 heures après cette descente au marché et son passage à l’Hôtel de ville, Félix Tshisekedi va ordonner la mise sur pied d’une commission pour étudier la question et lui transmettre les conclusions et recommandations pour dispositions utiles. On comprend, en ce moment, qu’après l’aile pro Ngobila qui l’avait fait faire le déplacement du marché central et de l’Hôtel de ville, l’autre camp est parvenu à faire passer sa pilule à elle. Mais pour pas grand ’chose, car la commission mise en place va faire chou blanc.

Presqu’aucune activité n’est observée dans cette commission, et la partie Safricom ne sera jamais entendue. Conséquence : aucun rapport ne sera soumis au chef de l’Etat qui, à son tour, ne posera plus jamais de question.

Un projet sans soubassement documentaire ni légal, et sans garantie financière

Ngobila, Mpoyi et leurs alliés ont désormais les coudées franches pour agir, mais se butent à un problème majeur : la démarche qu’ils ont entamée jusque-là évolue en dehors des normes légales. En effet, le « projet » aboutit à l’apparition d’un nouveau partenaire présenté comme étant l’entrepreneur qui va effectuer les travaux : C’est la Sogema.

Cependant, un petit tour sur le Net révèle qu’en fait d’entrepreneur dans les bâtiments, la Sogema est plutôt une société d’ingénierie qui ne justifie d’aucune expérience dans les projets du genre marché ou centre de négoce. De plus, cette firme française qui, selon Godé Mpoyi qui a investi les médias depuis, est donnée pour avoir remporté ce marché par un appel d’offre dont personne n’a eu connaissance, ne justifie d’aucune présence domiciliaire en RDC comme l’exigent les dispositions légales pour un marché de cette envergure. Elle n’a même pas élu domicile dans un cabinet d’avocat local.

Le contraire aurait, en effet, surpris pour un projet qui, comme indiqué plus haut, n’a aucune existence physique et ne dispose d’aucun dossier nulle part, dans l’administration de la ville, en justice comme au Guichet unique de création d’entreprise.

Et ce n’est pas tout. Et Sogema, et la firme chinoise qui va être embarquée comme faire-valoir d’expertise en bâtiment, ne justifient d’aucune capacité financière au titre de garantie, alors que la ville, elle-même, n’a pas non plus de capacité financière à la hauteur de plus ou moins Usd 30 millions que sont censés coûter les travaux.

Dindons de la farce, les Kinois victimes d’une marchination électoraliste

Aujourd’hui donc, à 9 mois de l’échéance politico-électorale de novembre, les Kinois sont partis pour réceptionner du vent en novembre prochain. Sans capacité financière ni existence légale, ni, moins encore, un projet formellement documenté, le marché central moderne de Kinshasa est une chimère qui, chaque jour qui passe, donne de plus en plus d’insomnies à ses initiateurs qui auront embobiné tout le monde sauf les évidences. Tout au plus, la ville s’en tire avec un double problème : d’un côté le litige mal soldé avec le libanais Hassan, et de l’autres les anciens occupants du marché central dont certains ont perdu leurs marchandises jusqu’à la vie.

Pendant ce temps, les bonzes de la ville et leurs appuis haut perchés peuvent se partager, « sans plaignant », le pactole de 2,650 millions Usd que libère chaque mois le Gouvernement pour la salubrité d’une ville de Kinshasa qui, chaque mois, est plus sale. Mais ça, c’est un autre dossier à suivre…

Jonas Eugène Kota

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *