« Tout pour la patrie » : Monsieur le Ministre, réorganisons d’abord la presse ; tenons le congrès de l’UNPC !

Tribune de Jonas Eugène O. Kota

En marge de la commémoration du GenoCost, le génocide des Congolais pour des raisons économiques, le Gouvernement a lancé, le week-end dernier depuis Kisangani, ville symbole de la résistance et de la résilience, une nouvelle campagne intitulée « Tout pour la patrie ». Venant à la suite de la campagne « Bendele ekweya te », cette nouvelle campagne est, selon le Ministre de la communication et médias qui la conduit, un appel patriotique pour une RDC unifiée. Elle vise à mobiliser tous les Congolais autour la cause de la paix, de l’unité et du recouvrement total de l’intégrité territoriale de la RDC ainsi que de sa souveraineté.

“Plus qu’un cri de guerre, c’est un appel au don de soi pour la patrie, un engagement patriotique renouvelé à utiliser toutes les ressources à notre disposition pour combattre, individuellement et collectivement, avec la dernière énergie, cette agression insensée”, a fait savoir Patrick Muyaya dans son appel à la mobilisation devant la jeunesse de Kisangani, ville qui a été traversée par toutes les guerres, les rébellions et d’autres agressions connues par la RDC depuis bien avant son indépendance.

Pour parvenir à cette mobilisation, Patrick Muyaya Katembwe a une stratégie : « Nous allons circuler dans toutes les provinces pour promouvoir l’éveil patriotique en nous mobilisant autour de notre armée. Pour que tous les crimes contre l’humanité soient punis ».

« Tout pour la patrie » est lancé à travers un spot de mobilisation autour des FARDC et se déploiera à travers d’autres spots médiatiques et des actions de communication sur le terrain, notamment des matinées d’échanges pour sensibiliser (surtout les jeunes) aux enjeux du pays et les inciter à s’engager pour la paix et la sécurité.

Monsieur le Ministre, organisons d’abord le congrès de l’UNPC !

La déclinaison de la nouvelle stratégie de mobilisation patriotique derrière ce nouveau cri de ralliement place à nouveau les médias au cœur de cette action de sensibilisation et de mobilisation pour l’engagement patriotique escompté. Une telle perspective suppose l’existence d’un cadre médiatique propice, c’est-à-dire patriotiquement formaté pour porter un tel combat.

Le contexte actuel paraît, de toute évidence, aux antipodes d’un tel environnement au regard de la déshérence de l’espace médiatique congolais à ce jour et qui fait déchanter tout spécialiste en communication averti. Aujourd’hui , en effet, la presse congolaise se trouve elle-même en conflits multidimensionnels qui la rendent inapte à porter avec efficacité un tel combat.

Ceci n’est un secret pour personne et le dire ne fait injure à personne. D’ailleurs, cette triste réalité est le fondement même de la préoccupation du chef de l’Etat qui, lors des états généraux de la communication et médias tenus en janvier 2022 (voici plus de deux ans et sept mois), avait lancé le concept de salubrité médiatique.

Loin de se limiter à faire conformer l’environnement médiatique aux lois et règlements en matière de création d’une entreprise de presse, cette salubrité renvoie plus ontologiquement à un recadrage de la conscience dans le métier d’informer. Ceci est basé sur l’évidence selon laquelle l’information est un bien d’utilité publique qui ne doit pas être laissée aux mains de n’importe qui ni manipulée dans n’importe quelle contexte.

C’est ainsi que la « salubrité médiatique » renvoie prioritairement, et en toute urgence, à la nécessité de réorganiser le cadre de l’exercice professionnel qu’est l’autorégulation.

Et la réponse à cette nécessité n’est autre que la réorganisation de l’organe faîtière qu’est l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC). Nous y revenons donc !

C’est à très juste titre que l’appel à la « salubrité médiatique » a été assortie de cette vive recommandation de la tenue rapide du congrès extraordinaire de l’UNPC avec pour objectif de re-légitimer ce cadre d’autorégulation pour faire relever l’excellence dans l’exercice du métier d’informer.

Si, à ce jour, les professionnels des médias sont parvenus, depuis maintenant plus d’une année, à faire une relecture des textes organisant le fonctionnement de l’UNPC, la balle se trouve également depuis longtemps du côté du gouvernement – le même qui lance aujourd’hui la mobilisation patriotique – pour que se tienne, enfin, ce congrès après tant de mois et d’années de tergiversations devenues, à la limite, irresponsables.

Aujourd’hui, il est clair qu’aucune mobilisation suffisamment capable de parler aux consciences, au-delà des spots, certes alléchants mais sans âme, ne saurait porter des fruits sans une presse disposée à cette fin. Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit urgemment et prioritairement de réorganiser l’espace médiatique, pacifier la presse et réconcilier les journalistes avant toute chose. Sans quoi, toute communication sera victime de l’aphonie d’une tribune médiatique frappée d’inaudibilité.

La presse est le centre d’impulsion patriotique et le creuset du patriotisme

La mobilisation patriotique serait sans efficacité en dehors d’un espace médiatique réorganisé et un exercice journalistique plus responsable. Aujourd’hui, la profession journalistique est plus que jamais à la dérive, et cette situation se vit dans une période plus que critique du pays face à l’agression à laquelle il fait face. Le dernier rapport de l’ONU impliquant l’Ouganda dans cette agression sublime la nécessité d’une mobilisation patriotique plus accrue, mais cette perspective ne peut qu’être sérieusement contrariée par l’état actuel de la presse.

En effet, en ce genre de contexte comme en d’autres, les médias sont reconnus comme cadre des interactions sociétales et de formation de la conscience citoyenne. Ils sont aussi le creuset de consolidation de la solidarité nationale, de la cohésion et de l’unité nationale. Bref, il n’existe pas meilleur cadre de mesure de cette unité ou cette cohésion que la presse.

Au plan international, les médias constituent un des piliers de la diplomatie par rapport à la « diplomatie médiatique » comme le sont la diplomatie culturelle ou la diplomatie sportive, etc.

Il n’est point d’information que le média !

En effet, il n’est point d’information que le média, disent les spécialistes de la communication. C’est-à-dire que « l’audibilité » d’une information est fonction de la qualité et de la valeur du média par lequel cette information est diffusée.

De ce fait, nous pouvons conclure qu’en négligeant la nécessité d’opérer cette nécessaire « salubrité médiatique » appelée de tous ses vœux par le chef de l’Etat, la RDC se frappe elle-même d’une grave aphonie qui laisse cet espace médiatique et communicationnel à la merci de l’ennemi et de tous ses soutiens à travers le monde. En effet, personne de censé, qui constate l’état de cette profession journalistique aujourd’hui, ne saurait accorder une quelconque crédibilité à toute information ou tout message qui en émanerait.

Et cet état de choses peut aisément s’observer par le fait que l’opinion congolaise elle-même est plus portée à écouter l’information sur son pays à partir des médias étrangers plutôt que de sa propre presse en raison du déficit de crédibilité et de confiance en celle-ci.

Cette situation souligne donc la nécessité et, plus que jamais, l’urgence de la tenue du congrès ordinaire de l’UNPC. Ce forum est devenu aujourd’hui d’autant plus important qu’il a pour but de restaurer la crédibilité, la légitimité et l’autorité de l’UNPC au sein de la profession pour assurer sa reprise en main aux plans éthique, déontologique et professionnel.

Une UNPC unie, légitime et, en conséquence, acceptée de tous serait incontestablement un partenaire de taille de l’Etat pour relever le front de la communication face aux défis qui se posent à la nation.

Alors, Monsieur le Ministre, réorganisons d’abord la presse ; tenons le Congrès de l’UNPC !

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