Kinshasa, capitale des travaux éternels : « On refait donc on avance ? »

La présente tribune est tirée du site de l’Expo béton. Nous le proposons à nos lecteurs en raison de sa pertinence, sa profondeur et son fond interpellateur.

À Kinshasa, on ne construit pas, on recommence. Ici, la voirie n’est pas un projet d’ingénierie, c’est un rituel. Un ballet de pelleteuses, de camions de gravats, de béton mal vieilli et de promesses fraîchement recyclées.

La capitale congolaise est devenue un immense chantier sans mémoire, où l’on rase ce qu’on a bâti hier pour le rebâtir demain — à l’identique, bien entendu. Car à Kinshasa, les mêmes causes produisent inlassablement les mêmes effets. Et ça, c’est presque devenu une tradition.

Prenez une route. Elle est défoncée ? Normal, elle a été inaugurée il y a six mois. On l’a posée sans caniveau, sur des nappes phréatiques, avec du bitume aussi épais qu’un serment politique.

Puis sont venues les pluies, les embouteillages, les camions surchargés, et surtout… l’oubli de toute logique urbanistique. Résultat : un cratère lunaire.

Alors on la rebouche. Puis on la rebitume. Puis on la re-rebouche. Et on coupe le ruban. Encore.

Mais pourquoi changer une méthode qui échoue si bien ? Ce serait rompre avec une chaîne de sous-traitance bien huilée, où chaque trou est un contrat, chaque coulée de béton un budget, chaque effondrement un nouveau plan d’urgence.

À Kinshasa, on ne résout pas les problèmes, on les réactive. On injecte des milliards dans l’asphalte comme un malade chronique dans des calmants, en évitant soigneusement l’examen clinique.

Les causes profondes ? Urbanisation sauvage, absence de drainage, corruption systémique, et une administration qui confond gestion avec improvisation.

Les experts le disent. Les ingénieurs le répètent. Mais les décideurs, eux, s’en tiennent à leur doctrine : on fait pour dire qu’on fait. Et quand ça casse, on fait encore.

Miracle : les mêmes erreurs donnent toujours le même désastre. C’est rassurant, au fond. La constance est une vertu, même dans l’absurde.

Alors Kinshasa avance — en reculant. Elle bâtit — pour mieux s’effondrer. Une ville qui transforme ses problèmes en budget, ses fissures en opportunités, et ses chantiers en cache-misère.

À ce rythme-là, la capitale n’a pas besoin de nouveaux projets. Elle a besoin de mémoire, de rigueur… ou d’un fou rire général.

Car à force de refaire ce qui ne marche pas, Kinshasa est peut-être la seule ville au monde où le progrès fait du surplace — en grande pompe.

Et pendant que les citoyens sautent les flaques et les crevasses, les responsables coupent les rubans. Encore et encore.

On refait donc on avance ? Non. On recommence donc on stagne. Mais avec panache.

Expobeton RDC

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *