Carnage à Goma : Plus de 1.000 corps de soldats rwandais dénombrés

Le journal britannique « The Guardian » publie ce vendredi 7 février 2025 un dossier remarquablement fouillé, faisant état du dénombrement de plus de 1.000 corps de soldats rwandais tués sur le sol congolais et plus précisément lors des combats à Goma. Ces corps sont enterrés soit secrètement dans des fausses communes sur place à Goma et ses environs, soit au cimetière militaire de Kanombe à Kigali ou encore dans des tombent de fortune au Rwanda.

Des images satellites de Kanombe d’août 2021 – avant le début du conflit du M23 – et une autre prise le 15 décembre 2024, avant que les rebelles ne prennent Goma le 27 janvier, semblent montrer une augmentation spectaculaire du nombre de tombes.

Ces nombreux corps sont la preuve supplémentaire d’une implication massive et directe – jusqu’à 10.000 selon des sources locales à Goma – des forces spéciales rwandaises dans les combats. Des preuves qui gênent le pouvoir rwandais à l’approche de l’important sommet régional de ce samedi à Dar es Salaam et face à l’opinion intérieure au Rwanda.

Pour camoufler le carnage dans les rangs de l’armée , les officiels du Rwanda organisent des funérailles furtives des victimes, ne laissant que quelques instants aux familles devant les cercueils posés au bord des tombes. Les cercueils ne sont pas ouvertes selon les coutumes rwandaises, mais la plus part sont soit vides soit chargés de corps trop amochés après avoir été gravement touchés lors des combats.

Le nombre de victimes rwandaises est si élevé qu’une nouvelle aile a été construite à l’hôpital militaire de Kigali pour les prendre en charge. Sa morgue est pleine, précise la source.

Congo Guardian reprend ci-dessous l’intégralité de l’enquête du journal britannique The Guardian dans une version française en traduction libre.

La version anglaise peut être consultée en cliquant sur ce lien : https://www.theguardian.com/global-development/2025/feb/07/democratic-republic-congo-drc-paul-kagame-m23-rebels-goma-rwanda-troops-dying-denials

Les troupes rwandaises « meurent en grand nombre en RDC », malgré les démentis officiels de leur rôle

Exclusif : Des sources affirment que des milliers de RDF ont été tués en soutenant les rebelles du M23 dans l’est du Congo, intensifiant ainsi la pression sur Kigali

Mark Townsend et Michela Wrong

Des centaines de soldats rwandais ont été tués lors d’opérations secrètes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), contredisant les affirmations de Kigali selon lesquelles ses soldats ne sont pas impliqués dans le conflit là-bas. De multiples sources de renseignement, militaires et diplomatiques affirment qu’un nombre « très important » de soldats des Forces de défense rwandaises (RDF) sont morts en soutenant une offensive des rebelles du M23 en RDC.

Les images satellite d’un cimetière militaire de Kigali, la capitale rwandaise, indiquent qu’au moins 600 tombes ont été creusées depuis que le M23 – soutenu par les troupes du RDF – a repris ses opérations en RDC il y a trois ans.

Deux hauts responsables du renseignement connaissant les FDR affirment que les véritables pertes subies par le Rwanda s’élèvent probablement à des « milliers », mais il est difficile d’établir un chiffre définitif. Une autre source haut placée affirme qu’un certain nombre de soldats rwandais morts ont été secrètement enterrés dans des « fosses communes » en RDC alors qu’il était impossible de ramener leurs corps de l’autre côté de la frontière.

On raconte que les familles recevaient des cercueils vides lorsque les cadavres ne pouvaient pas être restitués. « Tous les soldats qui ont péri en RDC n’ont pas pu être rapatriés, notamment dans les zones sous le feu de nombreux tirs. Certains ont été enterrés dans des fosses communes», ajoutent-ils.

Le nombre de victimes rwandaises est si élevé qu’une nouvelle aile a été construite à l’hôpital militaire de Kigali pour les prendre en charge. Sa morgue est pleine, précise la source.

Le Rwanda continue de nier que ses forces ont pénétré en RDC. Il a nié à plusieurs reprises toute implication dans le soutien aux rebelles du M23 et n’a jamais reconnu que ses troupes étaient mortes dans le conflit.

Les experts de l’ONU affirment cependant que l’armée rwandaise contrôle « de facto » les rebelles du M23, qui se sont emparés le mois dernier de la ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu en RDC, et contrôlent une zone de la RDC équivalant à près de la moitié de la taille du Rwanda lui-même.

Les révélations concernant le nombre de morts parmi les militaires rwandais vont intensifier la pression sur Kigali pour qu’elle avoue son rôle dans le conflit avant un sommet de crise auquel participeront les présidents rwandais et congolais, Paul Kagame et Félix Tshisekedi, respectivement, à Dar es Salaam, en Tanzanie, samedi.

Des sources diplomatiques affirment que le nombre réel de morts rwandais – preuve d’une implication soutenue sur la ligne de front – serait extrêmement préjudiciable pour Kagame.

Emmanuel Ngabo, qui dirige en France un groupe appelé ARC Urunana Nyarwanda France (Alliance rwandaise pour le changement), affirme avoir reçu de nombreuses indications de parents en deuil selon lesquelles un grand nombre de Rwandais ont été tués. « Il y a tellement de corps à traiter. Il y a une telle file de familles qui attendent [les funérailles] qu’elles n’ont que 30 minutes au bord de la tombe. »

Ngabo, dont le nom a été changé, ajoute : « Les cercueils sont toujours fermés, soit parce que le soldat est tellement blessé ou brûlé qu’il est méconnaissable, soit parce qu’il n’y a personne à l’intérieur du cercueil.

Cimetière militaire de Kanombe à Kigali, au Rwanda. L’image de gauche date d’août 2021, avant le début du conflit du M23, et celle de droite de décembre 2024. – Planet Labs PBC

« On entend dire que les soldats sont souvent enterrés là où ils sont tombés au Congo : les officiers sont ramenés pour être enterrés à Kanombe [cimetière militaire de Kigali] ».

Des images satellites de Kanombe d’août 2021 – avant le début du conflit du M23 – et une autre prise le 15 décembre 2024, avant que les rebelles ne prennent Goma le 27 janvier, semblent montrer une augmentation spectaculaire du nombre de tombes.

Deux zones en particulier témoignent d’une prolifération de tombes depuis le début du conflit. L’une, située au nord du cimetière, semble compter environ 100 nouvelles tombes, soit le double du nombre de tombes dans cette partie du cimetière. Au sud, au moins 500 nouvelles tombes sont visibles. Un nombre important d’entre elles ont probablement été fouillées depuis que l’image a été prise à la fin de l’année dernière.

La couverture nuageuse a cependant contrecarré les tentatives d’obtenir une image plus récente de Kanombe.

Le mois dernier a marqué une phase plus sanglante du conflit, avec une nouvelle offensive du M23 et des RDF qui ont pris le contrôle des villes de Minova et Sake, ainsi que de Goma.

Selon l’ONU, la bataille de Goma a fait au moins 2.900 morts.

Une source des services de renseignements confirme une augmentation du nombre de morts parmi les RDF. « Nous recevons de plus en plus de rapports faisant état de victimes dans les hôpitaux militaires et les sites d’inhumation », affirment-ils.

Une source militaire ajoute que les capacités de l’armée de la RDC – et l’utilisation efficace des drones et de la puissance aérienne – auraient fait de nombreuses victimes.

« Je ne suis pas surpris de voir l’augmentation du nombre de tombes. Lorsque des avions larguent des bombes sur des troupes, cela fait beaucoup de morts », disent-ils.

Bien que des milliers de soldats rwandais soient également déployés au Mozambique et en République centrafricaine, des sources affirment que les morts parmi les RDF dans ces États sont « à peine quelques-uns ».

En décembre, des experts de l’ONU ont estimé que jusqu’à 4.000 soldats rwandais étaient présents sur le terrain en RDC, mais des sources de renseignement estiment que ce chiffre est bien plus élevé, avec peut-être plus de 7.000.

Les familles rwandaises contactées par le Guardian pour commenter le conflit n’ont pas voulu commenter la perte de leurs enfants. Cependant, un Rwandais exilé en Europe a déclaré avoir parlé à deux familles la semaine dernière qui avaient perdu leur fils dans les combats.

Ils ont déclaré que les funérailles, organisées par l’armée se déroulaient beaucoup plus rapidement que d’habitude.

« Cela se passe très vite. Les amis de la famille ne peuvent pas voir le défunt, comme c’est normal dans notre culture », ont-ils déclaré, ajoutant que les familles n’ont pas été informées des circonstances de la mort de leur fils, mais seulement du fait que c’était « sur le champ de bataille ».

Ngabo, qui est exilé en France, ajoute : « J’ai publié de très nombreuses annonces de funérailles pour des soldats rwandais tués au Congo. »

Les familles en deuil sont en colère, dit-il. « Certains ont été appelés par leurs fils, qui ont dit : ‘Nous partons demain pour le Congo, priez pour moi’. D’autres ne savaient même pas que leurs fils avaient été envoyés au combat au Congo lorsqu’ils ont reçu un appel leur disant d’aller à Kanombe pour récupérer le corps. »

Bien que le Rwanda soit resté muet sur le nombre de victimes à sa frontière occidentale, Kagame a fait référence aux morts des RDF dans son récent discours de fin d’année, promettant aux familles que leurs « sacrifices ne seront jamais vains ».

Une source diplomatique a déclaré que ses commentaires indiquaient que le nombre de victimes devenait un « problème très réel ».

Le gouvernement rwandais a été contacté pour commentaires.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *