150.000 dollars pour une formation !? 105 agents à former (mettre à niveau) pour une direction de passation des marchés, de la Gecamines soit-elle !? Des chiffres faramineux qui, une fois de plus en RDC, mettent sur la piste, si pas de la corruption, sinon de la surfacturation d’une prestation qui, elle-même, pêche par une absence de soubassement légal. De là à une opération de blanchiment d’une corruption, les matériaux et le décor de temps et de circonstance sont fort évocateurs…
La compétence -titre juridique d’agir – est d’attribution. Ce principe juridique est bien connu de Jules Alingete Key, patron de l’IGF, et, à ce titre, officier de police judiciaire.
En accédant à la requête de la Gecamines pour la formation, moyennant paiement, de ses agents en matière de passation des marchés, l’IGF Alingete avait-il jeté un œil sur le curseur de la légalité ? S’était-il assuré préalablement que cette tâche de formation rentre dans les cordes légales des compétences de l’IGF ?
Ces deux questions posées à l’entourage du patron des flics du fisc n’ont trouvé aucun écho jusqu’au moment où nous mettons en ligne ce dossier. Au contraire, tout le monde, dans la concession jaune sur l’ex avenue du Haut Commandement à Gombe, est pris dans la frénésie du front contre la Cour des comptes dont le parquet a attrait Alingete pour qu’il s’explique sur le même dossier.
Toute la question est de savoir, d’abord, en quels titre et qualité des inspecteurs en pleine mission pouvaient en être détournés ou être chargés d’une autre tâche auprès du même sujet contrôlé, alors que cette seconde tâche ne correspond à aucune de leur compétence en tant qu’inspecteurs des finances.
L’ordonnance portant organisation et fonctionnement de l’IGF ne lui donne aucune compétence d’assurer des formations
À propos des compétences et attributions, l’Ordonnance n° 20/137-b du 24 septembre 2020 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 87-323 du 15 septembre 1987 portant création de l’Inspection Générale des Finances, en abrégé « IGF », précise les attributions de cet organisme, attributions parmi lesquelles ne figure nulle part la formation, et cela sous quelque forme que ce soit.
En son premier alinéa, l’article 2 de cette ordonnance stipule, en effet, que « L’Inspection Générale des Finances dispose d’une compétence générale et supérieure en matière d’audit et de contrôle des finances et des biens publics ».
Et les alinéas suivants sont clairs et sans équivoque : « A ce titre, elle accomplit toute enquête ou mission d’audit, d’inspection, de vérification, de contre- vérification et de surveillance de toutes les opérations financières, tant en recettes qu’en dépenses, du pouvoir central, des provinces et entités territoriales décentralisées ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature, bénéficiant d’un concours financier, sous forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie de la part des pouvoirs publics ».
Nulle part donc, même dans les alinéas suivants de ce même article, ainsi que dans l’article 2 bis énumérant d’autres attributions, il n’est question de formation. Les trois autres alinéas de cet article 2 indiquent, en effet, ce qui suit : « L’Inspection Générale des Finances encadre les services et missions d’audit interne des Ministères et Services émargeant au Budget du pouvoir central, des provinces ainsi que des entités territoriales décentralisées. A ce titre, elle centralise les plans et rapports d’audit et veille à l’uniformisation des méthodes de travail.
Les interventions de l’Inspection Générale des Finances tiennent tout autre enquête, contrôle, audit, vérification ou contre-vérification en état, à l’exception des missions du parlement et de la Cour des comptes.
Dans l’exécution de leurs missions, les Inspecteurs des Finances ne peuvent s’immiscer dans la direction ou la gestion des services contrôlés ».
En autorisant donc ses inspecteurs de former des agents d’une entité contrôlée, l’IGF a posé là un acte en dehors de ses compétences et son chef de corps, Jules Alingete, s’est rendu coupable d’abus de pouvoir. Mais ce n’est pas tout.
Des paiements pour des formations ne figurent pas parmi les ressources de l’IGF ni les rémunérations de ses inspecteurs
Le fait d’avoir tarifé et perçu un paiement pour un acte illégal tombe aussi sous le coup de la loi, car ces paiements ne sont basés sur aucune base ni nomenclature légale d’actes générateurs des ressources pour l’IGF, de ses sources de fonctionnement ni des rémunérations et primes de ses inspecteurs.
L’article 12 ter de la même ordonnance sous examen dispose, en effet, que « L’Inspection Générale des Finances dispose, pour son fonctionnement, d’une allocation budgétaire, à titre de transfert, égale à 10% de l’ensemble des rétrocessions payées aux Administrations financières du Pouvoir central.
Elle bénéficie, en matière de recettes non-fiscales, de la rétrocession de 5% allouée aux services d’assiette, pour les ordonnancements découlant du résultat de ses missions ;
Elle bénéficie également d’une quotité des recettes rétrocédées aux services intervenant dans la gestion et la maîtrise des opérations financières du Pouvoir central, notamment d’une quotité des redevances et frais en rémunération des services rendus à l’exportation des produits miniers marchands.
Elle bénéficie, pour ses dépenses d’investissement, d’une allocation égale à celle reconnue aux Administrations financières, sur les pénalités recouvrées à la suite des redressements d’impôts, droits et taxes éludés.
Et spécifiquement pour les rémunérations, motivations et primes, l’article 12 quater stipule : « Pour la motivation de son personnel et conformément aux avantages reconnus dans le Règlement d’administration relatif à la carrière et aux fonctions d’Inspecteur des Finances, l’Inspection Générale des Finances bénéficie enfin, au titre de prime de contentieux, d’une allocation égale à celle reconnue aux administrations financières à la suite des redressements d’impôts, droits et taxes éludés ».
Indices sérieux de corruption et de blanchiment de la corruption
Si, à l’IGF, on clame que la rémunération de la formation est traçable, comme pour déjouer les soupçons d’irrégularité, les spécialistes y trouvent plutôt des matériaux d’une corruption organisée et qui se serait servie de cette formation illégale comme couverture. Le premier indice se trouve être l’origine délictueux du paiement qu’est cette formation hors compétences de l’IGF.
Le second indice est la hauteur même de ce paiement, soit 150.000 USD pour une formation. Un montant jugé excessif, quelle que soit le nombre d’apprenants.
Troisième indice, le nombre d’apprenants pour une formation en passation des marchés, soit 105 au total. Même le CIDEP ou l’INPP, des services spécialisés de l’Etat en la matière, n’ont pas un tel tarif.
Mais la question est de savoir si la direction de passation des marchés de la Gecamines compte autant d’agents et pour quoi faire. Les soupçons penchent plutôt sur le fait qu’un tel nombre aurait été avancé pour justifier le montant faramineux de 150.000 USD pour une formation hors compétences de l’IGF.
Enfin, on arrive à ce chagrin premier de la Cour des comptes qui attend de l’IGF et la Gecamines des explications sur cette formation intervenue en pleine mission de contrôle par des inspecteurs portant un ordre de mission ne prévoyant pas une telle tâche.
Bref, si Alingete s’est, jusque là, tiré à bon compte de plusieurs affaires où il est souvent cité, cette fois-ci la senteur de la corruption est particulièrement forte. Et si le flic en chef du fisc parvenait à disqualifier la Cour des comptes de toute compétence quant à des poursuites à son endroit ou à ses molosses, lui-même devrait pouvoir dire aux Congolais les tenants et les aboutissants d’une opération de formation effectuée en dessous des radars de la légalité, moyennant un échange de faramineuses sommes qu’aucune formation en RDC ne peut justifier ni expliquer.
Dossier ouvert
Jonas Eugène Kota