Rubota qui s’oppose, Rubota qui se couche et lâche tout. En deux courriers entre le 23 août et le 20 septembre 2022, l’ancien ministre d’État en charge du développement rural s’était d’abord opposé, arguments massus à l’appui, à une initiative de son collègue des finances tendant à obtenir, sans titre ni qualité et en violation des closes, des crédits bancaires sur la totalité du montant du contrat des forages en faveur de l’opérateur avant de lever, par la suite, son opposition en avançant un justificatif qui trahit mal les injonctions évidentes qu’il avait reçues pour « libérer » ce deal, ouvrant ainsi la voie à une spectaculaire saignée du Trésor public.
Deux courriers inédits ont fait, le week-end dernier, le buzz dans les réseaux sociaux tout en livrant une grave révélation sur des injonctions qui avaient été données en vue de faire libérer les fonds du projet des forages d’eau potable en violation flagrante des dispositions du contrat. Plaque tournante du triller épistolaire décisif, François Rubota, alors ministre du développement rural et autorité contractante du marché pour le compte du Gouvernement.
Dans un premier temps, François Rubota fait preuve de professionnalisme et se montre ferme face aux dispositions du contrat pour s’opposer aux voies abracadabrantesques de son collègue des finances qui va jusqu’à usurper ses compétences à lui. Puis, dans un deuxième temps, le même Rubota flanche littéralement et lève sa surséance pour ouvrir un véritable boulevard à Nicolas Kazadi qui ne se fait pas prier pour foncer, lui aussi manifestement poussé aux trousses par de fortes pressions.
Qui donc dévoile ces courriers et dans quel but ? Leur contenu, comme dit tantôt, met indirectement en scène des mains noires tireuses des ficelles qui ont fait lever à François Rubota ses propres verrous et, d’un autre côté, souligne d’un nouveau jour le rôle central de Nicolas Kazadi dans les manœuvres financières contournant les dispositions contractuelles.
D’abord le blocus de Rubota face à Kazadi
Datée du 23 août 2022, la première lettre du ministre Rubota, dont toute la hiérarchie institutionnelle – à commencer par le chef de l’État – a été copiée, est adressée à son collègue des Finances, Nicolas Kazadi, pour s’opposer à des facilités que ce dernier sollicite auprès des banques de la place afin de payer la totalité de la part financière du Gouvernement au consortium Stever Construct Cameroun – Solektra RDC, l’entrepreneur exécutant du projet. Rubota est informé de la démarche par ampliation des courriers du ministre des Finances à Ecobank et Sofibanque auprès de qui celui-ci sollicite des facilités financières de respectivement 50 millions Usd et 325 millions Usd, soit 375 millions Usd représentant la totalité du montant du contrat.
Copié tout juste, François Rubota est alerté par le fait que cette initiative de son collègue viole les dispositions du contrat autant qu’elle usurpe ses compétences à lui d’autorité contractante dans ce marché.
En effet, au moment où Nicolas Kazadi cherche des emprunts bancaires sans titre ni qualité, l’opérateur du contrat avait déjà perçu les 30% de la première tranche du marché tel que prévu, soit près de 24 millions Usd. Ce paiement n’est, en ce moment-là, pas encore justifié par la livraison d’un quelconque ouvrage comme le prévoit le contrat.
François Rubota fait remarquer, d’autre part, à son collègue Kazadi qu’accorder des facilités pour la totalité du montant du contrat revient à payer des ouvrages non réalisés et non réceptionnés, « ce qui est contraire à l’esprit du contrat ». Celui-ci prévoit, en son article 5, que le projet est préfinancé par l’opérateur qui est remboursé par phases suivant les factures introduites.
Le contrat prévoit également, en son article 6, une période d’exécution de 5 années étalée sur des phases successives d’une année, chacune exécutée et payée graduellement. Et selon son article 14, les travaux sont aussi réceptionnés graduellement après chaque phase d’une réception définitive au terme d’une année.
Last but not least, et c’est l’estocade, François Rubota dénie à son collègue tout pouvoir de solliciter des facilités financières ou tout paiement car n’ayant ni qualité ni titre. C’est a lui, ministre du développement rural et l’autorité contractante, que revient cette compétence. C’est aussi lui qui fait rapport au Conseil des ministres sur le suivi de l’exécution des travaux pour adoption avant toute action de demande de facilités ou de paiement.
Ensuite le louche revirement spectaculaire
Cette démonstration d’arguments, faisant parler les textes et décrivant des procédures tout en soulignant le rôle de chacun, se passe de tout commentaire. Du moins jusqu’à ce qu’apparaisse un deuxième courrier qui, manifestement, vient biffer toutes les mentions désormais inutiles de la précédente, mais avec quels arguments ! Le 20 septembre 2024, soit moins d’un mois seulement après sa première lettre d’opposition en effet, François Rubota retourne vers Nicolas Kazadi pour lui offrir carrément un sauf conduit en lui demandant de lever la surséance sur son propre courrier précédent.
Formellement, le ministre du développement rural signifie à son collègue des finances qu’il peut poursuivre ses démarches auprès d’Ecobank et Sofibanque aux fins d’obtenir le pactole de 375 millions Usd, soit la totalité du financement de tous les forages. Pour toute justification, Rubota évoque une évolution des travaux, l’état des stocks ainsi que les contrecoups éventuels de la crise russo-ukrainienne.
Plus loin, le ministre d’Etat au développement rural indique que des évaluations se feront trimestriellement.
Injonctions politiques manifestes
Dans ce courrier, François Rubota ne mentionne nulle part un éventuel avenant qui aurait été signé pour modifier les dispositions du contrat, notamment les fameux articles 5, 6 et 14 qu’il évoquait pourtant avec tant de pertinence dans sa précédente lettre.
Exit donc la livraison et l’approbation préalables des forages ; exit le préfinancement des travaux par l’entrepreneur suivi du remboursement, exit l’échéancier d’exécution annuelle du contrat sur une période de cinq ans, mais désormais une évaluation trimestrielle, juste une évaluation.
Dans la même foulée, François Rubota abandonne ses prérogatives d’autorité contractante sur le rôle qu’il demande désormais à Kazadi de recommencer à jouer.
En clair, on est ici en face d’un revirement radical qui ne peut avoir été possible qu’après une pression suffisamment virulente pour faire oublier toute forme dans un tel changement aussi radical et brusque, ne fût-ce que pour sauver les apparences. On comprend, dès lors, comment et pourquoi Nicolas Kazadi pouvait faire opérer des décaissements en procédure d’urgence à la Banque Centrale jusqu’à atteindre quelque 71 millions Usd, parfois en liquide.
C’est pour cet ensemble de curiosités managériales que l’opinion attend fermement le procès annoncé et pour lequel le même Rubota est sous les verrous en compagnie de Mike Kasenga, l’un des patrons de l’heureux consortium pour qui d’autres ont tapé dans les caisses de l’Etat.
JDW