Lorsque, dans son entretien indirect avec les Congolais à travers sa porte-parole le 8 juillet dernier, le Président Félix Tshisekedi pointait la justice comme le principal échec de son mandat, les observateurs se sont demandé s’il avait réalisé la portée de ce propos en termes de remise en cause des fondements mêmes de la Nation. « La justice élève une Nation » dit, à juste titre, un adage qui en fait donc le socle de l’élévation des peuples.
Un socle qui aura ainsi fait défaut aux Congolais ces près de cinq dernières années, bouchant du même fait les perspectives les plus proches. Un tour d’horizon, rien que des affaires qui auront rythmé la vie de nos prétoires – ou qui auront transité par nos parquets, selon les cas – permet de réaliser combien le pays se laisse aller dans la déliquescence à cause d’une justice qui est devenue une malédiction pour la société.
Juge Yanyi, la conscience blessée des Congolais
Par exemple, rien que le souvenir de la disparition du juge Yanyi en charge du procès dit des 100 jours suscite un mélange de chagrin et de révolte de constater que même lui, qui était investi de l’autorité de la justice, n’en aura nullement profité, même pour l’honneur de sa mémoire.
Pire encore, sa famille et toute la Nation ignoreront à jamais les conditions et la cause de son décès, alors qu’après sa mort, sa famille a sombré dans la déshérence jusqu’à se faire déguerpir de son logement pour insolvabilité du loyer. À quel destin voue-t-on alors la société congolaise avec toutes les charges négatives ainsi investies en chacun des membres de cette famille ?
Combien de familles Yanyi compterait-on, rien que ces dernières années, comme victimes de cette absence de la justice et quel impact cela a-t-il sur le sort, présent et à venir, de toute la société ? Terrible question que celle-ci lorsqu’on constate qu’au bout du compte, l’affaire pour laquelle Yanyi a perdu la vie n’en aura finalement pas été une, du moins selon ce que la justice a décidé en définitive.
Combien d’affaires mal jugées ou non jugées du tout ont semé des conflits plutôt que la paix dont la justice est censée être vecteur ? Quelqu’un a-t-il réalisé l’onde de choc de toutes les injustices qui s’amassent dans les cœurs et qui poussent les victimes à se retrancher dans des replis sociologiques pour y trouver refuge ou, pire, y organiser une vengeance ?
Affaire Chérubin Okende : quand des procureurs et des juges constitutionnels braves le magistrat suprême
Alors que se posent ces questions et tant d’autres, et alors que les propos du premier d’entre les Congolais, magistrat suprême de surcroît, continuent de résonner dans les consciences, voici que se déploient à nouveau toutes ces tares d’une justice aux ordres avec l’affaire de l’assassinat de Chérubin Okende.
Alors que le corps du défunt n’avait pas encore refroidi, on a vu se mettre en place comme une conspiration visant à apprivoiser la vérité judiciaire à la faveur d’un simulacre d’enquête. Un Procureur de la République et des juges à la Cour constitutionnelle qui se succèdent devant les médias pour distiller des « informations » sur une procédure censée être secrète ou encore orienter celle-ci vers des réalités que le corroborent pas la vérité. Ou encore cette subite d’une autopsie sans que la famille ne soit préalablement informée ni ni que les exigences, de la famille comme du Chef de l’État en personne, quant à la participation d’experts indépendants ne soient rencontrées.
Bref, une précipitation symbolique de cette volonté de ne jamais dire le droit la où il faut. Surtout quand des juges constitutionnelles manquent à leur devoir de retenu et même leur obligation de se saborder lorsqu’ils se trouvent en situation de subjectivité face à un dossier.
Entre Udps et Unafec, le sort d’Éric Muta dans l’affaire du cuivre de TFM
La justice en RDC, c’est aussi cette triste réalité de voir des communautés s’organiser en leur sein pour se protéger et protéger les leurs dans un ordre interne qui se met en place dans le vide offert par une justice en déshérence. Au bout du compte, cette justice dévient le premier agent de la balkanisation du pays.
À l’instar, par exemple, du grand Katanga d’où émanent des velléités d’autodéfense de plus en plus perceptible à la suite de ce que là-bas on considère comme une persécution des fils du terroir dans cette injustice d’une justice devenue le couteau suisse de certaines forces politiques et des pouvoirs d’argent au détriment des autres.
Dans le Katanga, par exemple, on assiste désormais comme à une auto prise en charge des communautés et des groupes sociopolitiques qui règlent leurs comptes en dehors de la justice. Comme ces affrontements entre jeunes de deux partis politiques, l’Unafec et l’Udps, qui se disputaient une taxe clandestine, causant la mort de deux personnes dans les quartiers chauds de Lubumbashi avant que la puissance publique n’intervienne pour calmer les esprits et finalement supprimer cette taxe qui avait eu le temps de bouffer deux vies humaines.
De fil en aiguille, un autre jeune, ministre de l’intérieur issu de l’un des partis antagonistes – l’Unafec – se trouve empêtré dans une nébuleuse affaire de détournement de trois camions de cuivre de la société Tenke Fungurume. Alors qu’il venait d’eteindre le feu du conflit qui allait embraser la ville de Lubumbashi, Éric Muta Ndala, issu de l’Unafec, doit répondre aux convocations du Président de la Cour de cassation à la suite d’une plainte de la société Maj Logistics Limited ciblant des officiers de la police et de l’armée dans cette affaire de cuivre pour la simple raison que la cargaison aurait séjourné dans les installations du ministère provincial de l’intérieur à Lubumbashi avant de repartir vers une destination inconnue du ministre provincial.
Cette curiosité fait à nouveau monter la moutarde au nez des jeunes de l’Unafec qui crient à un coup monté pour lui régler des comptes depuis qu’il a supprimé une taxe du reste illégale. Et le ministre Muta, donné pour être en fuite, a réapparu pour expliquer qu’il détenait les autorisations nécessaires pour prendre des vacances qu’il a dû écourter pour se mettre à la disposition de la justice.
Depuis lors, à l’Unafec on de demande comment un voleur de 65 tonnes de cuivre peut aller se livrer à la justice avant de ne trouver, face à l’absence de toute réponse, que l’hypothèse d’une main noire qui manipulerait la justice sans considérer le feu qu’elle (la main noire) serait en train d’allumer.
Tout ceci se passe au sein d’une même famille politique, l’Union sacrée, et on peut bien se demander ce qu’il en serait pour le reste de la communauté katangaise, si déjà des questions de tribalisme sont soulevées du fait des origines kasaïennes du ministre infortuné.
Le cas Katumbi et Ensemble pour la République
Pour sa part, Claude Lumbu, opérateur économique katangais n’a pas besoin de se cacher pour se plaindre que «les Katangais se sentent persécutés, et en développent une rancœur » avant de prévenir que « C’est une donne qu’il faut bien prendre en compte».
À Lubumbashi et ailleurs dans les grandes places politiques du Grand Katanga, on s’est mis à comptabiliser les cas de frustration subies par des katangais depuis le renversement de la majorité kabiliste jusqu’à la situation actuelle en passant par le martyr de Katumbi. Des actes qui sont alors perçues comme une volonté d’exclure l’élite politique katangaise de la scène politique congolaise. Et on en veut pour nouvelle preuve le martyr de Moïse Katumbi qui le poursuit partout, jusqu’à Kinshasa lors des manifestations de l’opposition et quand il s’est vu interdire de se rendre au Kongo Central.
C’est finalement son bras droit, Salomon Idi Kalonda, qui va être pris et couvert de préventions suspectes quant à leur authenticité comme faits vérifiables.
Bref, d’une manière générale, on observe cette propension à une justice à deux vitesses selon qu’elle gère des cas proches du pouvoir (dossiers Biselele, François Beya) ou de l’opposition (Salomon SK Della, Mike Mukebayi, Franck Diongo). Le membre d’un Mukebayi, par exemple, est de ne pas être dans l’Union sacrée où il aurait été immunisé comme ces autres communicants de la majorité (Justin Bitakwira, Joël Kitenge, Nadjibu Nyalamaba Hassan et autres) qui sont libres et même parfois rémunérés pour les mêmes travers dans les médias.
Le katumbiste emblématique n’est autre que SK Della qui a totalisé 60 jours dans les mains des renseignements et la justice militaires sans procès. Ce suscite des questions du genre : «Pourquoi et comment détenir sans jugement une personnalité accusée de vouloir renverser le régime de connivence avec le M23 et le Rwanda au profit d’un ressortissant Katangais ?» Une vraie colle que cette question après bien d’enquêtes, dont des perquisitions illégales, et qui embarrasse le régime et écorne encore l’image de cette même justice mal en point.
Pourquoi, alors, ne pas suivre la voie de la raison que propose des associations des droits de l’homme ? Dans un courrier mi-juillet en effet, cinq Ong demandaient à la Commission nationale des droits de l’homme de poser un acte de dégel de la situation politique en pesant de tout son poids pour libérer tous les innocents et les détenus d’opinion, et ce ne sera que justice.
A.O