Son engagement dans la politique active aurait-il exclu Corneille Nangaa de ses droits et avantages en sa qualité d’ancien Président de la CENI ? C’est, en tout cas, ce qu’avancent, communiqué de Denis Kadima à la main, des juristes de la centrale électorale depuis le spectacle de l’escouade de police qui a fait irruption à la résidence de Nangaa juste pour demander aux policiers trouvés sur le lieu de rejoindre leur quartier général. Une simple annulation de leur bulletin de service aurait pourtant suffi !
Si tel est le cas, une autre question serait de savoir de quels autres droits et avantages se serait délesté cet ancien membre des corps constitués. Il lui serait certainement opposé aussi son engagement dans la politique.
De prime abord, cependant, il faut souligner que la CENI n’a aucune compétence pour sécuriser ou pas ses membres pendant et après leurs mandats pour ce qui sont concernés. En effet, si, selon l’article 48 de la loi organique régissant la CENI, la sécurisation de ces membres en fonction est assurée par « le Gouvernement », c’est à celui-ci que revient, mutatis mutandis, le même devoir pour ceux des membres qui ont droit à cette sécurité après leur mandat.
Ratio legis sur la « neutralité » : un motif fallacieux pour frapper Nangaa
Pour revenir au motif de neutralité, les juristes de la CENI ne brandissent aucune disposition légale à l’étai de cette justification, sinon le serment prêté par les membres du bureau de la CENI d’observer, entre autres, la neutralité pendant et après leurs mandats.
La plus grande question à poser sur cette question qui tient aux droits et libertés, noyau dur des lois, est de savoir si la ratio legis (l’esprit de la loi) sur la perte des droits et avantages tient dans un segment d’une disposition du serment contenu dans une loi organique aussi vaste que celle portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante. Cette question est d’autant plus importante que sur le même sujet, la même loi et d’autres, notamment celle relative au statut des anciens chefs d’Etat ainsi qu’aux droits et avantages des anciens membres des corps constitués, contiennent des dispositions plus explicites visant directement le bénéfice et la perte de ces droits et avantages.
Mais avant d’y arriver, il n’est pas moins intéressant de s’attarder sur cette question de neutralité pour laquelle Corneille Nangaa est privé de ses droits et libertés. L’article 20 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée et complétée par la Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la Loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021, article qui contient le texte du fameux serment stipule ce qui suit : « Avant d’entrer en fonction, chaque membre de la CENI prête, devant la Cour constitutionnelle, le serment ci-après : ‘’Moi, (nom et qualité dans la Commission électorale nationale indépendante), je jure, sur l’honneur, de respecter la Constitution et les lois de la République Démocratique du Congo, de remplir loyalement et fidèlement les fonctions de membre de la Commission électorale nationale indépendante. Je prends l’engagement solennel de n’exercer aucune activité susceptible de nuire à l’indépendance, à la neutralité, à la transparence et à l’impartialité de la Commission électorale nationale indépendante, de garder le secret des délibérations et du vote, même après la cessation de mes fonctions, de ne briguer aucun mandat électif aux échéances en cours, même si je ne fais plus partie de la Commission électorale nationale indépendante ».
La « neutralité », à ne pas confondre avec la « réserve », n’a d’intelligence que pour les échéances électorales « en cours »
Cet article dégage une astreinte unique sur l’engagement de l’assermenté, à savoir le devoir de réserve. Et la progression de l’énoncé de cet article culmine avec le contexte de temps pour la validité dudit serment que sont « les échéances en cours ». Le ratio legis de cette disposition porte donc des stipulations qui prévoient la possibilité de fin des fonctions des membres de la CENI au cours d’un processus électoral.
La compréhension logique voudrait donc que l’obligation de neutralité s’observe « avant et après » des « fonctions » à la CENI sur un processus électoral « en cours ». Et ces membres sont interdits de briquer un mandat électoral pour des échéances électorales « en cours ». Et le « même si je ne fais plus partie de la commission électorale nationale indépendante » se rapporte donc à ces échéances électorales « en cours » et non ad vitam aeternam après un mandat à la CENI qui dure six ans.
En clair, ce qu’il faudrait retenir par rapport à cette question de « neutralité » dans laquelle il serait pris en défaut, c’est que : (1) Corneille Nangaa a quitté ses fonctions au sein de la CENI après sa remise et reprise avec le nouveau Président ; que dès lors, (2) il n’est plus astreint à aucun devoir vis-à-vis du processus électoral « en cours ».
« Accord » électoral de 2018, ce qui aurait vraiment coûté sa sécurité à Corneille Nangaa
Quant à ses droits et avantage proprement dits, leur bénéfice et leur perte sont clairement stipulées dans un autre texte, à savoir la Loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs des corps constitués. En son article 5 (alinéas 1 et 2), qui s’applique mutatis mutandis aux anciens membres des corps constitués, cette loi stipule ce qui suit : « Tout ancien président de la République élu est soumis à une obligation générale de réserve, de dignité, de patriotisme et de loyauté envers l’État. L’obligation de réserve implique notamment l’interdiction formelle de divulguer ou de révéler des secrets d’État ou des informations qui, en raison de leur nature et/ou de leurs conséquences, ne peuvent être connues que des seules autorités nationales ».
Cette stipulation semble rapprocher beaucoup plus les esprits vers la vraie motivation sous-jacente de la sanction suprême contre la sécurité de Corneille Nangaa. En effet, sa déclaration sur un « accord » qui aurait sanctionné le résultat de l’élection présidentielle de 2018 se rapproche d’une rupture du devoir de réserve.
Mais on peut comprendre que l’évocation officielle de cette disposition est à ce point délicat qu’elle viendrait corroborer le contenu, lourd de conséquence, que les esprits avertis n’ont pas hésité de subodorer dans ce concept d’accord post-électoral évoqué par un homme aussi avisé en la matière que Corneille Nangaa.
Jonas Eugène Kota