L’inquisition se radicalise au Rwanda : 25 personnalités — journalistes, politiciens, religieux — classées « terroristes » par Kagame

À la suite de notre enquête sur les exilés FDLR bloqués dans leur rapatriement, classés « terroristes » par Kigali pour décourager leur retour (lien vers l’article), il apparaît que la politique du régime dépasse largement le cadre des accords de paix de Washington. Ce n’est plus seulement une question de contrôle sur les exilés FDLR : c’est une véritable inquisition généralisée. Ces FDLR figurent, en fait, sur une liste de vingt-cinq personnes récemment inscrites par le Financial Intelligence Center (FIC), comprenant également des exilés politiques et des journalistes dont le seul crime est d’exprimer une opinion dissidente. Tous vivent hors du pays, car au Rwanda, où règne la pensée unique, aucun espace d’expression ni d’exercice des droits civils et politiques n’existe.

Cette mesure marque un nouveau cap dans la criminalisation de la dissidence, transformant des voix critiques en « terroristes » sur simple jugement politique. L’officialisation de cette liste par le FIC parachève une longue tradition de confusion délibérée entre critique politique et menace sécuritaire.

Une « guerre contre les idées »
Sous couvert de sécurité nationale, Kigali a élargi la définition du terrorisme à l’expression d’une pensée libre.
Des figures naguère respectées, comme le général Faustin Kayumba Nyamwasa ou le Dr Théogène Rudasingwa — anciens piliers du pouvoir —, se retrouvent assimilées à des chefs de groupes armés.
D’autres, comme le prêtre Thomas Nahimana ou la pasteure Christine Uwizera, sont coupables non d’avoir pris les armes, mais d’avoir pris la parole.
Dans le Rwanda de 2025, les mots suffisent pour devenir ennemi public.

Un pays sous cloche, un peuple bâillonné
Ce durcissement s’inscrit dans une logique de contrôle total, où la peur et la surveillance remplacent le débat public.
Kigali entretient à l’étranger l’image d’un « modèle africain de développement » tandis qu’à l’intérieur, les libertés fondamentales sont méthodiquement étouffées.
Le pluralisme politique reste une illusion ; la démocratie, un décor administratif. Depuis 1994, aucune alternance réelle n’a été tolérée. Les élections se suivent et se ressemblent, confirmant un pouvoir sans partage.

La liste complète des victimes : un message clair
Parmi les vingt-cinq personnes visées figurent également de nombreux membres de la diaspora et des leaders de groupes armés dissidents, dont des figures emblématiques des FDLR : le Lt Gen Gaston Iyamuremye (alias Rumuli), le Gen Maj Pacifique Ntawunguka (alias Omega), le Col Sylvestre Sebahinzi (alias Zinga Zinga ZZ) et le Maj Alphonse Munyarugendo (alias Monaco Dollar). Leur inscription sur cette liste constitue un obstacle majeur à tout projet sérieux de rapatriement et de réintégration, tel que prévu dans l’Accord de Washington entre la RDC et le Rwanda.
À ceux-là s’ajoutent d’autres personnalités rwandaises de la diaspora, exilées en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique australe, comme Faustin Ntirikina, Dr Innocent Biruka, Dr Emmanuel Hakizimana, Abdulkarim Ali Nyarwaya, Maj Robert Higiro, Frank Ntwali, Ignace Rusagara, Jean Paul Turayishimiye, Gaspard Musabyimana, Placide Kayumba, Augustin Munyaneza, Michel Niyibizi, Jonathan Musonera, Maj Jacques Kanyamibwa, Thomas Nahimana, Christine Coleman Uwizera et Sylvestre Nduwayesu (alias Jet Lee). Tous sont accusés, non pas d’actes de violence contre l’État rwandais, mais d’avoir exercé leur droit à la parole et à la dissidence, transformant la critique en crime d’État.

Un camouflet au Pacte des Grands Lacs
Cette liste noire tombe à la veille d’un moment symbolique : la tenue prochaine du Sommet des chefs d’État de la CIRGL, placé sous le thème évocateur « Consolider la paix, la sécurité et la gouvernance démocratique dans la région ».
Ironie tragique, alors que le Rwanda s’affiche en acteur régional du développement, il piétine les engagements qu’il a librement pris dans le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, en particulier son Protocole relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance.
Ce texte engage chaque État membre à garantir le pluralisme, la liberté d’expression et la participation citoyenne. Kigali fait exactement le contraire.

Un régime de plus en plus isolé
Sous le vernis d’un pays stable et performant, le Rwanda montre les traits d’un pouvoir crispé, obsédé par la loyauté et la peur de la contestation.
La liste publiée par le FIC n’est pas un instrument de sécurité, mais une arme de dissuasion politique.
Elle vise à museler la diaspora, à étouffer toute parole libre et à prouver que nulle voix ne peut rivaliser avec celle du chef.

La démocratie confisquée, silence des partenaires
Depuis plus de trois décennies, Kigali a fait de la stabilité une religion d’État et de la critique une hérésie.
Derrière le discours d’unité nationale, la démocratie rwandaise n’a jamais dépassé le stade de façade : sans opposition indépendante, sans presse libre, sans contre-pouvoir.
En classant des intellectuels, des religieux et des journalistes parmi les « terroristes », le régime ne défend plus la nation — il défend sa survie.
Combien de temps encore la communauté internationale fermera-t-elle les yeux sur cette dérive ?
Combien de journalistes, d’opposants, de voix libres devront être criminalisés avant qu’on admette que la lutte contre le terrorisme sert ici de paravent à une dérive dictatoriale ?
L’histoire des Grands Lacs est jalonnée d’avertissements ignorés.
En 2025, alors que la région se veut unie autour de la paix et de la bonne gouvernance, le Rwanda donne le spectacle inquiétant d’un pouvoir qui confond stabilité et servitude.

JDW

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *