Deal économique entre la RDC et le Rwanda : Kinshasa frappe fort et décide de rééquilibrer le jeu

Par Jonas Eugène Kota

Kinshasa vient de marquer un tournant. En refusant de signer le deal économique prévu avec Kigali dans le cadre du Regional Economic Integration Framework (REIF), la République Démocratique du Congo (RDC) a pris une décision à la fois politique, stratégique et symbolique. Une manière pour le président Félix Tshisekedi de dire stop à une dynamique jugée déséquilibrée depuis le début.

Un déséquilibre dénoncé dès Washington

Depuis la signature de l’Accord de Washington en juin 2025, les voix dominantes de l’opinion congolaise n’ont cessé d’alerter : tel que cadré, le processus de washington, censé ramener la paix, risquait plutôt de piéger la RDC dans des accords successifs très favorables au Rwanda.

Le paradoxe est criant dans la logique que suggère cet accord, en effet : un pays agressé se voit proposer de signer des partenariats économiques avec son agresseur, alors que ce dernier maintient des troupes sur son territoire, contrôle ses zones minières, infiltre certaines administrations locales et dicte le tempo des échanges transfrontaliers.

Pour beaucoup, la logique la plus cohérente aurait été que le médiateur américain veille d’abord à l’application stricte de la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exige le retrait inconditionnel des troupes rwandaises et le redéploiement du M23 dans ses positions initiales hors de Goma, Bukavu et de leurs environs.

Agir autrement, prévenaient déjà plusieurs diplomates, revenait à imposer à la RDC un armistice camouflé, légitimant de fait la présence étrangère et préparant le terrain à la balkanisation du territoire national. L’Accord de Doha, pendant de celui de Washington, allait plus loin encore en évoquant la possibilité d’une co-administration locale des zones occupées par le M23 et l’armée rwandaise pour une durée initiale de cinq ans — une ligne rouge pour Kinshasa.

La voix du peuple et la fermeté de Tshisekedi

C’est dans ce contexte que Félix Tshisekedi a choisi d’écouter la voix dominante de son peuple. Son refus de parapher le texte économique dans la configuration géopolitique et sécuritaire actuelle sur terrain n’est pas un caprice politique, mais une exigence de souveraineté. Le président congolais exige désormais des ajustements existentiels afin d’éviter que le Rwanda ne tire profit d’un rapport de force inégal.

Contrairement donc à ce qu’affirme le ministre rwandais des Affaires étrangères, qui parle d’une prétendue « crainte » de Tshisekedi face à son opinion publique, le président congolais ne fait que respecter les principes démocratiques. En démocratie, la voix du peuple n’est pas une menace, mais la boussole de la gouvernance.

Le ministre rwandais confond donc la démocratie vivante de la RDC avec la tyrannie du régime Kagame, où le peuple est privé de toute expression politique réelle. Cette méprise révèle la difficulté de Kigali à comprendre qu’un chef d’État puisse agir par conviction nationale et non par calcul de survie.

Le faux prétexte des FDLR : un rideau de fumée

Cette fermeté de Kinshasa vise ainsi à rompre avec la logique de subordination artificielle entre deux dossiers distincts : le retrait des troupes rwandaises et la neutralisation des FDLR. Car cette équation — entretenue depuis trente ans par Kigali et relayée par certains partenaires — repose sur une fiction politique. Il est évident que la question des FDLR est un prétexte historique, instrumentalisé pour justifier la présence rwandaise en RDC, sous le couvert de la sécurité.

Les faits parlent d’eux-mêmes : les FDLR n’ont jamais constitué une menace existentielle pour le Rwanda. Depuis leur apparition en 1994, ces combattants, issus des camps de réfugiés rwandais bombardés à Goma après le génocide, ont été traqués sans relâche. L’armée rwandaise, sous Paul Kagame, a multiplié les incursions jusqu’aux confins occidentaux et septentrionaux de la RDC, souvent avec le soutien tacite des puissances étrangères, notamment des États-Unis.

Aujourd’hui encore, ce sont les forces rwandaises elles-mêmes qui occupent les zones censées abriter ces FDLR. Plus ironique encore, les officiels et les services de renseignement rwandais ont reconnu à plusieurs reprises que ces groupes armés ne représentent plus aucun danger stratégique pour Kigali.

Ces affirmations, faites entre 2019 et 2021, soit une année avant que le Rwanda ne ance une nouvelle équipée sur la RDC, étziert consécutive à plusieurs opérations menées contre les mêmes FDLR, soit avec la Mission onusienne (MONUC puis MONUSCO), soit conjointement entre les armées congolaise et rwandaise. D’autres opérations ont consisté à la démobilisation volontaire et suivi du rapatriement de plus de 40.000 rwandais FDLR et leurs familles.

L’histoire retient ue le Rwanda avait activement travaillé à saboter toutes ces opérations pour les faire échouer. Des faits établissent aussi que Kigali a souvent fait recycler des FDLR retournés au Rwanda en les renvoyant en RDC sous prétexte d’aller y chercher leurs membres de famille qu’ils avaient pourtant emmenés avec eux.

La raison de ces manœuvres était claire : les FDLR sont une couverture justifiant la présence des troupes rwandaises en RDC pour des fins d’exploitation minière illicite. Le prétexte sécuritaire ne tient donc plus : il sert seulement à masquer un projet de domination régionale et de mainmise sur les ressources congolaises.

Pour une nouvelle équation régionale : résoudre la crise rwando-rwandaise entre hutus et tutsis

En frappant fort, Kinshasa ne fait pas que repousser un accord économique inopportun : elle réaffirme sa souveraineté diplomatique et remet en question la logique d’assujettissement régionale imposée depuis des décennies.

La prochaine étape sera cruciale : obliger le Rwanda à assumer sa propre histoire. Le dossier des FDLR relevant avant tout d’un problème rwando-rwandais, qui ne peut plus être exporté sur le sol congolais, l’heure est venue d’engager des pourparlers sans atermoiement pour un dialogue interne au Rwanda, pour solder les fractures ethniques hutus-tutsis héritées du génocide et briser la rhétorique guerrière du régime de Kagame qui nourrit l’instabilité des Grands Lacs depuis trente années.

Une chose est désormais sure : la problématique sécuritaire dans la région n’est pas le fait d’une absence de coopération économique sur les ressources de la RDC, et la solution à cette problématique ne viendra pas d’une co-exploitation de ces ressources, car les « causes profondes » du problème se trouvent au Rwanda et non dans les minerais de la RDC.

Kinshasa a ouvert un nouveau chapitre : celui d’un équilibre de dignité où la coopération ne sera possible que dans le respect mutuel, la transparence et la vérité des faits.

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