L’IGF en deuil : Victor Batubenga, le vrai père de la lutte contre la prédation financière avec l’affaire des Usd 15 millions des pétroliers, n’est plus

Il était présenté, à juste titre, comme le vrai initiateur de la véritable lutte contre la prédation financière sur le Trésor  public. Lui c’est Victor Batubenga, Inspecteur Général en chef adjoint à l’Inspection Générale des Finances. Il vient de rendre l’âme ce dimanche 24 novembre 2024 à Bruxelles, des suites d’une longue maladie.

Victor Batubenga laisse derrière lui le témoignage de la probité même faite chair. Cet homme qui est né dans sa carrière de flic des finances avec l’IGF aura tiré son épingle du jeu dans tous les grands moments de l’histoire de cette institution financière depuis sa création dans les années 80.

La crème des flics du fisc

Recruté à la faveur d’un concours rigoureux organisé par la Banque Mondiale, il arrive à l’IGF par la grande porte avec des congénères tels qu’Adolphe Muzito ou Nsa Mputu Elima. L’un deviendra plus tard Premier ministre et l’autre Ministre, notamment à l’Environnement.

Cette promotion se distingue, en 1995 sous la Primature de Kengo wa Dondo, dans l’enquête sur le faux monnayage qui démantèle un réseau internationale étendu jusqu’au Brésil et dans les Iles vierges. Le réseau est coordonnée, selon les éléments disponibles à l’époque, par le nommé Nozy Mwamba, mais l’enquête, qui le démantèle, révèle une engeance libanaise qui gravite autour d’une famille au nom devenu célèbre : Khanafer.

84 supposés commerçants libanais sont alors expulsés du Zaïre sur l’instruction du puissant Premier ministre Kengo wa Dondo. Ils reviendront plus tard, cependant, et vivent toujours en RDC dans les mêmes pratiques étendues aujourd’hui aux fraudes sur les redondances des appels téléphoniques, notamment.

Le  vrai père du déboulonnage des prédateurs financiers : l’affaire des 15 millions des pétroliers

Mais Batubenga, c’est l’épopée récente de la toute première enquête de « déboulonnage » de la prédation financière en RDC. En 2019-2020, Victor Batubenga, alors patron de l’IGF par intérim, lève un gros lièvre avec l’affaire du détournement de Usd 15 millions de la décote pétrolière découlant de la subvention gouvernementale sur le prix du carburant à la pompe.

Pour la petite histoire, tout commence en 2017 lorsque le prix du carburant à la pompe flambe de 5% en RDC. Afin de le stabiliser et d’éviter un impact social négatif sur le quotidien des citoyens, le gouvernement d’alors trouve un compromis avec les sociétés pétrolières pour un gel des prix à la pompe contre son engagement (celui du Gouvernement) à compenser les pertes et manques à gagner aux sociétés pétrolières privées.

La Banque centrale du Congo ouvre alors une ligne de crédit de Usd 100 millions en faveur de ces sociétés pétrolières. C’est de ce montant qu’une décote (en termes d’exonération totale ou partielle en faveur de certaines catégories de contribuables) de 15%, soit les fameux 15 millions Usd, doit être retenue à la source sur instruction du ministère des Finances et en parfaite collaboration avec celui de l’économie qui à la tutelle sur la question.

Les 15 millions Usd doivent être virés dans le compte du comité de suivi des prix des produits pétroliers qui est à la Banque centrale du Congo. La pratique est courante depuis 2017, mais la réalité change en 2019, et cela grâce à la touche personnelle et au courage de Victor Batubenga qui, avec l’appui de l’ANR, donne un coup de pied dans la termitière de la prédation qui se met en place, quelque cinq mois seulement après le changement de régime en RDC.

En effet, un rapport d’audit de l’Inspection générale des finances effectué du 17 au 31 juillet 2019 auprès des sociétés pétrolières, des banques ainsi que de la DGI et la DGDA révèle un trou de Usd 15 millions de la décote prélevée sur les revenus des produits pétroliers.

L’enquête trace le pactole à partir d’un compte à la Rawbank où il a été logé et d’où il est parti après ponction au moyen de trois chèques successifs, signés par le Secrétaire général à l’économie en charge du dossier de cette décote depuis 2017. Ce pactole pompé est tracé jusqu’à la présidence de la République.

Vital Kamerhe se lève, Batubenga traqué et Félix Tshisekedi s’interpose

Le dossier fait grand bruit et les médias s’en font les choux gras avant que le Directeur de cabinet du chef de l’Etat d’alors, Vital Kamerhe, ne stoppe net l’enquête conduite par Victor Batubenga. Dans un communiqué de presse, il tance ce dernier qu’il reproche d’avoir diligenté une enquête sans l’aval de l’institution Président de la République à laquelle est rattachée l’IGF.

Victor Batubenga va alors faire l’objet d’une traque des faucons du tout nouveau régime jusqu’à l’intervention personnelle du Président Tshisekedi qui le reçoit longuement. L’audience est sanctionnée par un communiqué du Porte-parole du chef de l’Etat.

« Le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a entendu, rassuré et encouragé samedi 14 septembre à Kinshasa, l’inspecteur en chef Victor Batubenga de l’Inspection générale des Finances », rapporte Kasongo Mwama dans ce communiqué. Et de poursuivre : « L’inspecteur en chef de l’IGF Victor Batubenga qui se sentait menacé a longuement rencontré le Président. Soucieux de la sécurité d’un haut fonctionnaire de l’État, le chef de l’Etat l’a entendu, rassuré, encouragé. L’IGF ayant transmis le dossier à la Justice, le Président ne peut plus s’exprimer là-dessus ».

Effectivement, le dossier va être confié au Procureur général près la Cour de cassation qui va faire son rapport intérimaire au chef de l’Etat. Celui-ci va déclarer lui avoir donné les mains libres pour la suite, mais plus personne n’en a jamais parlé jusqu’à ce jour.

Depuis l’annonce de sa mort, Victor Batubenga, qui était également serviteur de Dieu à l’église La Borne, est décliné dans les témoignages en termes de chrétienté, allocentrisme, probité, mansuétude, empathie, etc.

JEK

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