Le Pape François, le marché Type-K et les lézards de Ndolo

Le site de l’aéroport de Ndolo et ses environs ont été astiqués au poil près par héberger, le temps d’une sainte messe, le Souverain Pontife. Deux heures maximum de séjour qui auront mobilisé, des mois durant, tous les services de l’Etat, partant de l’institution Président de la République au petit ouvrier de salubrité en passant par l’Exécutif national et tous les services publics (environnement, sécurité, circulation routière, voirie, Snel, Regideso, etc.), sans oublier les fournisseurs et prestataires de service privés.

Ce site qui a focalisé tant d’attentions est pourtant connu comme le repère de la crasse de la ville, bref cette sorte d’arrière-cour de la ville oubliée du regard de l’autorité et livrée à toutes les libertés face à l’obligation de salubrité. Ndolo, c’est aussi ce repaire de tous les rebuts de la société en termes de malfrats qui y font la loi au coucher du soleil, voire même de jour pour les plus téméraires. C’est par ici qu’à la faveur de la broussaille qui y prospère derrière des monticules d’immondices, les personnes enlevées à bord de véhicules simulant le transport en commun sont jetées.

Aujourd’hui, les riverains du site et les petits commerçants qui y passent le clair de leur temps sont éblouis par le saut d’urbanité opéré par leur repaire. Un saut qualitatif qui, pendant les jours qui ont précédé la venue du Pape, a fait du coin la destination des SUV les plus rutilants de la ville. Les cadres qui avaient du travail de supervision avaient pris l’habitude d’y fixer rendez-vous aux amis, connaissances et copines pour la frime.

Type-K : Tu retourneras poussière…

Pour combien temps encore ? La question ne préoccupe pas trop les Kinois qui savent que Ndolo va très bientôt « retourner à la nature ». Déjà, l’église catholique a sollicité le podium papal pour l’installer dans l’un de ses sites afin de l’immortaliser. Cet unique point d’attraction va donc ôter tout l’intérêt de déplacement vers ce site qui, dans tous les cas, va rester désormais mémorable dans sa nature qu’elle va sûrement rejoindre.

Autant qu’il est longtemps demeuré dans l’anonymat de l’histoire qu’il a pourtant marqué dans les années 96 avec le crash aérien qui était parti de la piste de l’aérodrome à côté. En milieu d’après-midi du 8 janvier 1996, un vieil Antonov surchargé et incapable de prendre son envol fini sa manœuvre de décollage sur la POR (piste occasionnellement roulable) où fonctionne un marché (Type-K) depuis des années.

Le bilan est plus que lourd : 237 selon le Gouvernement, 348 pour d’autres sources ; qu’importe, ces victimes sont, jusqu’aujourd’hui, le souvenir et la référence de la mal gouvernance et de la corruption dont la dénonciation papale a résonné jusque sur ce site où fonctionne le long de l’avenue Bokassa, tandis que d’autres partis de la POR ont été loties.

Dix années plus tard exactement Ndolo va avoir un nouveau rendez-vous, plutôt cocasse celui-là, avec l’histoire. C’est le souvenir des prémices des élections véritablement démocratiques du Congo postindépendance. Le pays prend rendez-vous avec l’histoire à partir de 2006 pour des élections qui, comme la venue du Pape, focalisent l’attention à la dimension planétaire.

Equipée spéciale pour la conquête des lézards

Le 25 avril 2006 A New York, le Conseil de sécurité prend une résolution autorisant le déploiement en RDC  de la force européenne (EUFOR) pour encadrer la processus électoral. L’occident craint, en effet, des débordements dans ce processus électoral qui a vu se rapprocher sur Kinshasa tous les fronts rebelles à travers l’accord de Sun City. Tout le monde est engagé dans la transition 1+4, certes, mais chacun des groupes rebelles dispose d’un contingent en faction dans la capitale.

L’opération est larguée mi-juin 2006 avec le déploiement des premiers contingents dont les unités sombrent vite dans l’ennui de la routine. Le brasier miroité dans le bâtiment vitré de New York est loin d’être une réalité de terrain. Au contraire, le processus électoral est un long fleuve calme.

Les unités de l’EUFOR se réduisent ainsi à la villégiature dans les rues et les quartiers de Kinshasa sous prétexte de mener des patrouilles, même diurnes. Jusqu’à ce qu’un jour l’une d’entre elles passe du côté de Ndolo où elle va faire une rencontre avec ce qui n’était certainement pas inscrit dans le destin des soldats qui la composent.

L’un de ces soldats tombe, en effet, d’admiration pour un lézard qu’un jeune homme tripote. Amoureux de la nature, le soldat EUFOR se sent l’envie de s’offrir un animal de compagnie et jette son dévolu sur ce reptile. Il se l’adjuge au terme d’un troc avec un billet vert portant quelques zéros.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans la petite contrée. Et Ndolo devient subitement la destination de prédilection de tous les désœuvrés-laissés-pour-compte. Un « mundele » a changé le destin de l’un des leurs – du moins pour quelques jours – à cause d’un bête lézard du type de ceux qui écument les broussailles du site militaire. Sans façon ni ménagement, ils investissent cette végétation sans craintes des reptiles ni de l’insalubrité ambiante du coin qui et également une décharge publique clandestine. La traque débouche sur le débusquage de quelques pièces intéressantes de lézards.

Direction ensuite vers les camps des soldats EUFOR qui se voient assaillis par une meute de gens qui leur proposent des lézards à vendre. Sur le coup, personne ne comprend de quoi ça retourne. Jusqu’à ce que l’amoureux de la nature se manifeste pour expliquer l’affaire. Mais les vendeurs, qui ont traqué la marchandise sans merci, ne veulent rien entendre et décident de camper dans le voisinage, espérant que d’autres amoureux de la nature parmi ces « mindele ».

Mais le problème c’est que l’EUFOR est une force de 2.500 soldats issus de 22 nationalités dont la plupart provient des pays pauvres dont les populations côtoient ces petits reptiles sans intérêt. Un communiqué diffusé à la télévision nationale a fini par mettre fin à ce rêve des pauvres qui espéraient changer de vie avec les lézards.

On ne sait, cependant, pas si ces bêtes capturés avaient été retournées à la mère nature de Ndolo. Comme bientôt son paysage de tous les temps…

JEK

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