Qu’est-ce que les congolais et les rwandais peuvent se dire aujourd’hui qu’ils ne se sont pas dits dans le passé ? Qu’est-ce qu’un nouveau dialogue entre Kigali et Kinshasa changerait aujourd’hui que les précédents dialogues n’ont pas pu changer ? Pourquoi toujours dialoguer mais sans solution quand il existe d’autres mécanismes – par exemple des sanctions contre les vrais coupables – pour mettre fin au cycle des conflits déstabilisateurs dans les grands Lacs et surtout en RDC ?
Ces questions, et tant d’autres, taraudent à nouveau les esprits depuis l’annonce, le week-end dernier, de la reprise du dialogue de Nairobi et de Luanda pour le règlement du (nouveau) conflit entre la RDC et le Rwanda. Les derniers contacts dans ces deux cadres remontent à au moins quatre mois. Ils ont été suspendus suite, notamment, aux élections au Kenya et en Angola qui avait également connu un deuil suite au décès de l’ancien Président Edouardo Dos Santos.
Reprise du dialogue après détérioration des rapports et termes de référence flous
Sauf le caractère laconique des communiqués diplomatiques qui les annoncent, les deux axes de dialogue se réchauffent dans un contexte bien différent de l’époque où ils avaient été lancés. En effet, les positions militaires sur terrain ont changé avec des avancées du tandem Rwanda/M23, tandis que les rapports entre Kinshasa et Kigali se sont détériorés davantage avec le renvoi de l’Ambassadeur rwandais par la RDC qui a, en même temps, rappelé son chargé d’affaires à Kigali.
Cependant, les termes de référence esquissés ici et là ne paraissent pas suffisamment clairs pour indiquer le sujet des négociations. Si, en juillet dernier, on pouvait clairement attendre des discussions sur des questions sécuritaires avec les incursions fraiches des rebelles et des troupes rwandais en territoire congolais, aujourd’hui Luanda et Nairobi parlent de discussions politiques. Un terme qui a été entendu de la bouche des diplomates français et américains à New-York lors des discussions au Conseil de sécurité sur la situation sécuritaire et humanitaire en RDC.
Lorsque les médiateurs/facilitateurs parlent de « politique » et non plus de « sécurité » (trouble de la paix et la stabilité) avec son corollaire humanitaire, il se pose réellement un problème d’identité de vue sur le problème à résoudre, ce qui hypothèque l’issue heureuse attendue de ces nouveaux rounds de dialogue.
Double langage, duplicité ou complicité des facilitateurs/tireurs des ficelles ?
Il faut donc s’attendre à des éclats de voix sans suite probante. Même si le communiqué ayant sanctionné la tripartite sécuritaire et ministérielle du week-end dernier à Luanda évoque la reprise des contacts dans le cadre du Mécanisme conjoint de vérification, il semble que l’on soit loin du nœud du problème, alors que les médiateurs les plus influents ont, eux, suffisamment brouillé les pistes pour des raisons dont les congolais se sont déjà fait une raison.
En effet, lorsque l’ONU – d’abord la Monusco puis le SG Antonio Gutteres – bafouillent sur la présence et le rôle du Rwanda dans la résurgence du M23 ; lorsqu’ensuite Washington aperçoit, du bout des lèvres, Kigali derrière le M23 mais demande un dialogue politique, autant que Paris, il y a bien d’anguilles sous roche. Surtout lorsque l’ONU rechigne à « déclassifier » le dernier rapport de ses experts indépendants qui donne toutes les indications pouvant utilement être versées sur la table des négociations et ainsi leur donner une orientation beaucoup plus utile.
Dans son intervention à la tribune de la 77ème session de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, le Président congolais avait enfoncé le clou sur ce document en demandant sa disponibilisation, mais depuis – et pour des raisons à élucider -, la ligne de communication de Kinshasa n’en fait pratiquement plus mention.
Pour résumer, on peut donc noter que Kinshasa et Kigali retournent à la table des négociations, chacun avec son agenda personnel et son cahier de charges contre l’autre. D’un côté, en effet, la RDC tient le Rwanda pour responsable de la détérioration de sa sécurité au Nord-Kivu. Elle en brandit les preuves que personne ne veut regarder. De l’autre, le Rwanda ré-embouche la trompette du soutien aux FDLR et de discours de haine tribale contre Kinshasa qui, en retour, rejette tout en bloc.
Au milieu se meuvent des initiatives et des propositions qui, cependant, sont trop teintées d’hypocrisie et de langue de bois qui ne rassurent personne et n’augurent aucune issue de paix véritablement durable. Comme pour conforter les congolais et bien d’autres observateurs dans leur conviction qu’à travers la communauté internationale, personne n’a vraiment envie que les choses changent dans les grands Lacs, puisque tout le monde tire profit de ce statu quo.
JEK