Développement : La recette de Modeste Mbonigaba pour une intelligentsia congolaise utile

Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la République démocratique du Congo ne cesse de sombrer dans une débâcle socioéconomique qui, chaque jour, plonge ses populations dans une pauvreté qui contraste gravement avec ses potentialités du sol, du sous-sol, de son monde riverain et même de l’air. Plusieurs explications sont avancées pour comprendre ce phénomène qui se développe pendant que les pays qui étaient au même diapason que la RDC en 1960 ont atteint un niveau de prospérité au moins trente fois plus élevé.
Parmi les justifications à ce contraste déroutant, le déficit managérial est souvent le plus cité. Un déficit managérial qui se décline, entre autres, en termes d’incompétences du personnel de coordination à l’accession à l’indépendance. D’autres explications sont recherchées dans la faillite de l’élite congolaise, surtout sur le volet de l’éthique et de la responsabilité.
Figurant parmi les Congolais qui tentent d’élucider ces contradictions d’un pays potentiellement riche, mais en réalité pauvre, l’essayiste Modeste Mbonigaba propose sa réflexion à travers cette analyse intitulée « Faillite de l’intelligentsia congolaise face au redressement de la Nation ». Posant comme postulat le fait que cette faillite de l’intelligentsia tire sa cause de l’encadrement autochtone – et donc non qualifié – qui avait pris la relève de l’encadrement colonial au moment de l’indépendance, Modeste Mbonigaba part à la recherche des causes de ce décrochage qui a bloqué l’ascension de la RDC au moins au même diapason que les autres pays du même niveau qu’elle en 1960.
Il passe ensuite en revue les défis qui n’ont pas pu être relevés du fait de ce décrochage et qui a ruiné tout espoir de développement durable, avant de proposer une approche qui, de son point de vue, devrait pouvoir replacer la RDC sur les rails pour son développement fulgurant.
Pour Modeste Mbonigaba, le nouveau départ de la RDC passe par la prise de conscience et l’assomption , par le Congolais, de sa responsabilité comme patron/propriétaire du Congo et maître de son propre destin. Sous ce statut, il se forgerait une mentalité pharaonique, c’est-à-dire une mentalité d’entrepreneur et de bâtisseur, bref de véritable acteur du développement de son pays et de sa propre prospérité.
Dans cet ordre, Modeste Mbonigaba pense que le Congolais devrait se départir des concepts faisant l’apologie de la facilité tels que « chance eloko pamba » en se mettant résolument au travail.
Ci-dessous l’analyse de Modeste Mbonigaba.

FAILLITE DE L’INTELLIGENTSIA CONGOLAISE FACE AU REDRESSEMENT DE LA NATION : UNE VISION GLOBALE DES ENJEUX, DES DEFIS À RELEVER ET DES STRATÉGIES REQUISES POUR TRANSFORMER LA RDC EN ELDORADO AFRICAIN


Introduction
Faut-il rappeler que jusqu’au 30 juin 1960, le Congo est dirigé par le colonisateur belge. Son bilan, à cette date, en matière de développement économique est parmi les plus enviables en Afrique, dans une grande partie de l’Asie et même au-delà ! Ce pays se place en effet au même niveau de développement que l’Afrique du Sud, le Canada ou la Corée du Sud.
Aujourd’hui, plus de six décennies plus tard, un pays comme la Corée du Sud affiche un Produit Intérieur Brut qui tourne autour de 1.500 milliards de dollars américains alors que le Congo Kinshasa « patauge » encore dans un PIB d’à peine 50 milliards de dollars US, soit trente fois moins !!!
Que s’est-il passé pour que le Congo connaisse une telle dégringolade au cours de cette période ? Y aurait-il eu un tsunami ou un cataclysme d’une rare ampleur qui se serait abattu sur le Congo, provoquant ainsi un désastre économique sans précédent ? La réponse à toutes ces questions est on ne peut plus simple. Au 30 juin 1960, en dehors du contexte international qui change du tout au tout vis-à-vis du Congo, la seule chose qui change dans ce pays au plan humain c’est le remplacement de l’encadrement colonial (et ses méthodes !) par l’encadrement autochtone. Tout le reste ne bouge pas. Ce sont les mêmes ouvriers et autres auxiliaires qui continuent, sauf que l’encadrement est désormais majoritairement assuré par certains anciens ouvriers et auxiliaires !
On peut donc supposer que si l’encadrement (et la donne politique) n’avait pas changé après le 30 juin 1960, le Congo serait aujourd’hui au même niveau de développement que la Corée du Sud et afficherait ainsi un PIB de 1.500 milliards USD !
L’encadrement étant censé provenir de l’intelligentsia d’une Nation, il s’ensuit que la faillite de l’intelligentsia congolaise face au redressement de la Nation serait due au fait que l’efficacité managériale de l’encadrement autochtone, qui avait pris la relève de l’encadrement colonial, n’aurait pas été à la hauteur des enjeux et des attentes.
Après avoir fait cet amer constat, nous nous proposons de chercher à identifier la principale cause explicative de cet incroyable décrochage qui a littéralement bloqué l’ascension du Congo vers les mêmes cimes de progrès matériel qu’affiche aujourd’hui la Corée du Sud ou le Canada, par exemple. Ensuite, nous passerons rapidement en revue les principaux défis qui, du fait de ce décrochage, n’ont pu être relevés, hypothéquant ainsi tout espoir de développement véritable. Enfin, nous proposerons l’approche qui, selon nous, pourrait permettre à un pays comme le nôtre de se ressaisir pour enfin s’engager sur la voie d’un développement fulgurant, et devenir ainsi un véritable eldorado africain.

  1. SCENARIO D’UNE FAUSSE PASSATION DE POUVOIRS OU LE CHAINON MANQUANT
    Que s’est-il passé au juste le 30 juin 1960 ? Ce fut une grande cérémonie protocolaire au cours de laquelle le propriétaire officiel du Congo (jusqu’à cette date) était censé venir remettre officiellement les clefs de ce pays à son désormais nouveau propriétaire ! Déjà, au niveau de la simple mise en scène, les choses se passent plutôt mal ! En effet, le malentendu ou l’incompréhension sort au grand jour dès ce moment-là ! Alors que le nouveau propriétaire (incarné par le Premier Ministre Patrice Emery Lumumba) prend très au sérieux son nouveau statut, l’ancien (et toujours) propriétaire du Congo (le Roi des Belges Baudoin1er) supporte mal le fait que le « nouveau » propriétaire (sur papier !) n’ait pas correctement assimilé la leçon et, donc, son rôle de simple surveillant ou gardien d’un patrimoine qui, lui, n’a pas changé de propriétaire !
    On connait la suite de ce tragique malentendu. L’ancien et toujours véritable propriétaire du fabuleux « patrimoine congolais » va immédiatement reprendre la situation en mains pour remettre les choses à l’endroit, en éliminant physiquement l’empêcheur de la poursuite de l’exploitation paisible de l’ex-colonie et en plaçant ses pions à tous les postes stratégiques. La corruption à grande échelle des autres membres de la nouvelle nomenklatura fera le reste…
    Depuis lors, contrairement aux apparences et donc aux figures des acteurs qui se succèderont sur la scène congolaise, le propriétaire, lui, ne changera pas ! Il y aura, par brefs épisodes, des illusions éphémères d’un changement de propriétaire. Mais ce ne seront que des illusions… !
    Au début des années 60, un intellectuel congolais, Auguste MABIKA KALANDA – à travers son livre intitulé : LA REMISE EN QUESTION, BASE DE LA DECOLONISATION MENTALE – tentera sans succès (et pour cause ! Tout est déjà verrouillé pour que le statu quo demeure !) d’entrainer les Congolais vers ce qui aurait pu être effectivement le début de leur décolonisation mentale.
    Aujourd’hui, plus de soixante ans après, plus des apparences changent, plus c’est la même chose ! De nouveaux concepts seront même imaginés et lancés sur le « marché des idées » dans le but de distraire ou de servir de diversion afin que les Congolais ne puissent pas se focaliser sur l’essentiel, à savoir : l’émergence d’une véritable citoyenneté congolaise permettant aux Congolais d’intérioriser enfin leur véritable statut de PROPRIETAIRES du Congo !
    Car au 30 juin 1960, à part quelques initiés, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas le sens profond du mot INDEPENDANCE. Ce mot qui, sans aucun doute possible, a une signification très précise pour LUMUMBA. Pour lui, INDEPENDANCE signifie APPROPRIATION ! Autrement dit, ces hommes et ces femmes qui étaient jusqu’alors de simples ouvriers, des auxiliaires ou simples habitants de la colonie deviennent à cette date les seuls et uniques PROPRIETAIRES du Congo !
    C’est le lieu de signaler qu’au terme d’une trentaine d’années de recherches essentiellement centrées sur les élections, la démocratie et le développement en Afrique et sanctionnées par une trentaine d’écrits sur ces trois thématiques, nous sommes arrivés à détecter la faille qui rendait jusqu’ici impossible toute tentative d’appropriation par les Congolais de ce patrimoine commun nommé CONGO. Cette faille, c’est l’absence du mental, l’absence de la mentalité de PROPRIETAIRE ! Nous avons, chemin faisant, fini par découvrir que l’absence de la mentalité de PROPRIETAIRE avait, elle aussi une explication, à savoir : un mauvais usage de l’urne, cet outil par excellence au moyen duquel le Peuple-Patron (ou le Propriétaire) délèguerait, pour un temps, son pouvoir dont il est l’unique détenteur ! L’attitude du commun des Congolais, face à l’urne, aura en effet été la meilleure démonstration du fait que ce dernier n’est pas du tout conscient d’être le copropriétaire du Congo ! Car, qui est ce propriétaire normal et conscient de l’être qui peut confier, à travers le vote, la gestion de son patrimoine, disons, au premier venu ? Le réflexe quasi automatique de tout propriétaire digne de ce nom ne devrait-il pas être tout au moins de chercher à ne placer que les meilleures personnes à la tête de tous les postes électifs gouvernementaux ?
    Est-ce pour barrer la route à cette éventualité que le désormais « propriétaire illégitime » aurait, dès le départ, prévu la parade en vidant de sa substance (via ses relais locaux désormais installés à tous les postes de responsabilité) la fonction centrale du vote comme mode par lequel le propriétaire du patrimoine choisit, pour un temps, les meilleurs des fils et filles du pays pour gérer celui-ci en son nom ? En réduisant en effet cette fonction centrale à du simple folklore, le « propriétaire illégitime » a réussi à verrouiller jusqu’ici tout le système parce qu’il a été clairement démontré que l’Afrique en général (dont le Congo est, par sa taille, l’un des membres les plus représentatifs) ne décolle pas à cause d’un leadership loin en-deca des attentes et des défis à relever.
    Kofi Annan et beaucoup d’autres hauts responsables africains et mondiaux ont clairement conclu que le blocage de l’Afrique était essentiellement dû à un leadership déficitaire qui empêcherait ce continent de valoriser au mieux son énorme potentiel.
  2. TOUS LES DEFIS MAJEURS NE SONT PAS RELEVES
    Au moment de la pseudo-indépendance du Congo en 1960, les défis à relever pour construire un Etat moderne sont légion et pour ainsi dire hors de portée, vu les médiocres conditions dans lesquelles naissent les nouveaux Quasi-Etats africains. Qu’il s’agisse de la mise en place des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires ou aéroportuaires ; qu’il s’agisse des infrastructures sanitaires, scolaires, universitaires ou de recherche ; qu’il s’agisse de la desserte en électricité et en eau potable ; qu’il s’agisse de la modernisation de l’agriculture, prélude à une industrialisation intégrée et correctement articulée…bref, tous les défis auxquels fait face le nouveau Congo sont très loin au-dessus des capacités managériales de ses dirigeants successifs.
    En fait, s’agissant des défis majeurs à relever, il y en a un qui ramasse pratiquement tous les autres. C’est celui de la construction d’un véritable Etat ! Car, en plus de six décennies de pseudo indépendance, nous nous sommes contentés d’un pseudo Etat, un semblant d’Etat, un Quasi-Etat bref, en réalité, un non-Etat !
    Avec la réforme opérée ici, permettant de faire éclore une nouvelle race de Citoyens, des Citoyens on ne peut plus exigeants, c’est un Etat-Savant, un Etat-Stratège, un Etat-Manager du destin collectif qui désormais occuperait l’espace territorial congolais !
    Avec ce type d’Etat porté par des Citoyens d’une rigueur et d’une exigence extrêmes, plus rien n’arrêterait le Congo sur la voie de son développement qui serait, à n’en point douter, un développement fulgurant ! En effet, face à l’énorme retard à rattraper en matière d’infrastructures, le pays afficherait un taux de croissance à deux chiffres au cours des vingt à trente prochaines années, transformant ainsi le développement aujourd’hui fantasmé, en une réalité palpable et mesurable.
    Le chantage au séparatisme, à la sécession et à la balkanisation ne trouverait plus d’écho nulle part au Congo ou ailleurs. La corruption à grande échelle au niveau d’un appareil d’Etat devenu aussi vigilant et aussi stratège ne serait plus envisageable !
    Le pouvoir judiciaire aujourd’hui perçu par tout le monde comme « le plus grand malade » de l’appareil étatique serait totalement métamorphosé avec la fin de l’impunité sous toutes ses formes.
    Comme, selon Mgr Tharcisse TSHIBANGU , les Congolais seraient dans leur écrasante majorité Unitaristes, il devient aisé de passer, sans coup férir au fédéralisme parce qu’à part une infime minorité de ceux qu’il appelle les « Centralistes », le Congo, à l’instar d’un pays comme les Etats-Unis d’Amérique, serait majoritairement à la fois unitariste et fédéraliste !
  3. PRISE DE POSSESSION PAR L’URNE
    Pour restituer au vote tout son sens, tout son contenu et toute sa portée, nous proposons la formule qui permettrait de faire sauter le verrou qui, jusqu’aujourd’hui, empêche le véritable décollage du Congo (et de l’Afrique) un décollage qui, au regard de son énorme potentiel de croissance, devrait être fulgurant.
    La colonisation mentale nous aurait-elle endormis dans le rêve d’un monde où il n’y aurait que des droits et non des devoirs ? Comment, par exemple, faire croire qu’en matière de vote, nous n’aurions que des droits et pas de devoirs ? Il est vrai que le droit de vote est aujourd’hui un acquis indéniable reconnu à tout citoyen d’un Etat qui se veut démocratique mais, qu’a-t-on fait du devoir qui devrait être intimement accolé à ce droit, à savoir : LE DEVOIR DE BIEN ELIRE ? Peut-on en effet légitimement accorder le droit de vote à quelqu’un dont on n’est pas assuré qu’il accomplirait son devoir d’électeur de façon rationnelle et responsable ? La faillite de nos Etats ne serait-elle pas justement due au fait que le Propriétaire du Pouvoir (à savoir, un Peuple averti et exigeant) n’aurait pas correctement joué son rôle de véritable souverain primaire en ne conférant le droit de vote qu’à ceux-là seuls qui l’exercerait avec responsabilité ? Lorsqu’on pose cette question, on découvre, comme par enchantement, que c’est justement ce manque de rigueur qui a été de mise dans tous nos pays depuis le retour de la pseudo-démocratisation, au début des années 90 !
    C’est en effet la « folklorisation » du vote qui a tué la démocratisation véritable de l’Afrique en réduisant cette dernière à une simple procédure. C’est parce qu’elle a complètement ignoré le contenu et la substance de la véritable démocratie, que la « démocratisation à l’occidentale » assaisonnée à la sauce africaine, a en effet davantage exacerbé les clivages tribaux, ethniques, géographiques, linguistiques ou religieux, sans pour autant mettre fin, (ni même atténuer de façon significative !!!), le népotisme, le régionalisme, la corruption et la mauvaise gestion institutionnalisées, l’infantilisme politique, le « non développement », les violations répétées des droits et libertés des citoyens, etc.
    Avec un vote réduit à du simple folklore produisant une démocratie de façade pour ne pas dire caricaturale, le développement à attendre ne pouvait être qu’un développement étriqué. Surtout qu’en matière de développement aussi il se pose le même problème d’appropriation. En effet, aucun peuple ne peut se développer s’il n’a pas d’abord acquit la mentalité du développement. Autrement appelée mentalité pharaonique – celle de bâtisseurs, d’entrepreneurs et de conquérants – c’est cette mentalité nouvelle qui conduirait à la prise de possession du patrimoine congolais suite à la mise en place d’un système électoral totalement adapté aux réalités congolaises en particulier et africaines en général, un système électoral qui, tout en garantissant la participation effective de chaque citoyen (tous les 40 à 50 millions d’électeurs attendus aux prochains scrutins gardent leur droit de vote !) veillerait cependant à ce que chaque voix exprimée soit véritablement une voix en or, une voix non susceptible d’être bradée contre une bière, un t-shirt ou un petit billet de banque ! Bref, il s’agit sans plus ni moins d’une mise à mort du concept « CHANCE ELOKO PAMBA » et la réhabilitation du mérite, du travail acharné et de l’excellence qui est la voie obligée pour réhabiliter l’intelligentsia congolaise et, par ricochet, l’amorce du redressement de la nation ! C’est cette vision globale des enjeux et des défis à relever qui éclairerait d’un jour nouveau les stratégies requises pour transformer notre pays en eldorado africain !

CONCLUSION
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que derrière la faillite de l’intelligentsia congolaise face au redressement de la Nation, il y a, au premier rang, le Patron, le Propriétaire du Congo qui jusqu’ici ignorait qui il était au juste ! Ce Patron c’est le Peuple congolais qui jusqu’ici n’avait pas décelé la faille qui le rendait inopérant, inefficace, impuissant !
En transformant en or ce bout de papier que chaque citoyen dépose, à intervalles réguliers, dans une urne, tout change !
Avec la mort de CHANCE ELOKO PAMBA, un autre Congo, un nouveau Congo dont nous avons toujours rêvé va voir le jour. Un Congo qui retrouvera les couleurs et les ambitions que Frantz FANON, Kwame N’KRUMAH ou Cheick ANTA DIOP notamment lui avaient prédites à l’aube de notre pseudo indépendance. Bref, un Congo qui deviendra effectivement un véritable eldorado pour l’Afrique et le monde.

Fait à Kinshasa, le 18 juillet 2022
Modeste MBONIGABA

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