La République démocratique du Congo (RDC) continue de poser les jalons d’une politique industrielle tournée vers la souveraineté économique. Ce mardi 7 octobre, le ministre du Commerce extérieur, Julien Paluku Kahongya, s’est rendu au Grand Moulin de Kinshasa (GMK), dans la commune de Ngaliema, pour une visite de terrain centrée sur la protection de l’industrie meunière nationale face à la montée des importations étrangères.
Objectif : évaluer la capacité réelle de production du GMK afin de préparer une restriction ciblée des importations de farine de maïs et de froment, notamment celles en provenance de l’Angola et d’autres pays voisins, accusées de fragiliser la production locale.
Une industrie locale à fort potentiel mais sous pression
Accueilli par le Directeur général du GMK, Papy Alekoli, le ministre a visité les installations de l’usine et échangé avec les techniciens et cadres du site. Les chiffres sont parlants : le GMK affiche une capacité de 9 000 tonnes de farine de maïs par mois, pour une demande locale estimée à 7 500 tonnes, et produit jusqu’à 30 000 tonnes de farine de froment pour une consommation mensuelle d’environ 20 000 tonnes dans la partie Ouest du pays.
« Ces chiffres prouvent que nous avons la capacité de nourrir le marché local sans dépendre des importations », a déclaré Julien Paluku. « Il est donc temps de renforcer la compétitivité de notre industrie, de préserver les emplois congolais et d’arrêter l’hémorragie financière causée par la fuite des capitaux vers l’étranger », a-t-il insisté.
Le ministre a annoncé que le Grand Moulin de Kinshasa bénéficiera désormais des mesures de sauvegarde de l’industrie locale, un dispositif économique et réglementaire destiné à protéger les producteurs congolais contre la concurrence déloyale et à favoriser la montée en puissance du label Made in DRC.
Avant la visite : un échange technique déterminant
Avant la descente sur le terrain, le ministre et sa délégation d’experts ont eu droit à une présentation technique détaillée des procédés de production et des capacités opérationnelles de GMK. L’équipe dirigeante a évoqué les défis structurels : coûts énergétiques élevés, approvisionnement en matières premières irrégulier, et pression fiscale. Des contraintes qui limitent encore la compétitivité des produits congolais face aux farines importées, souvent subventionnées à la source par les pays exportateurs.
Cette rencontre a permis au ministre de cerner les leviers de soutien nécessaires — notamment en matière d’énergie, de logistique et d’allègements fiscaux — pour donner un souffle nouveau à l’industrie meunière nationale.
Un contexte de tensions commerciales régionales
La démarche du ministre s’inscrit dans un contexte marqué par une concurrence accrue sur les produits alimentaires de base. Depuis plusieurs années, le marché congolais est inondé par des farines importées à bas prix en provenance de l’Angola, de la Zambie et de la Tanzanie, souvent au détriment de la production locale.
En août 2024, Julien Paluku avait déjà pris une décision forte : l’interdiction de huit marques de farine de maïs en provenance de Zambie, jugées impropres à la consommation en raison d’un taux d’aflatoxine supérieur aux normes.
Cette mesure sanitaire, saluée par la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), traduisait déjà la volonté du gouvernement de reprendre le contrôle de son marché intérieur et d’imposer une logique de qualité et de souveraineté.
Selon la FEC, la prolifération de farines importées à bas coût, souvent de qualité médiocre, a entraîné la fermeture de plusieurs moulins locaux incapables de suivre la concurrence. Le cas du GMK illustre, à l’inverse, une réussite industrielle menacée mais encore redressable.
« Si nous continuons à dépendre de produits subventionnés venus d’ailleurs, nous détruisons notre base productive et nous hypothéquons notre souveraineté économique », a martelé le ministre, citant la nécessité de “rééquilibrer les échanges en faveur de la production locale”.
Un pilier de la souveraineté alimentaire
La relance du GMK s’inscrit dans la stratégie nationale de sécurité alimentaire et de substitution aux importations défendue par le gouvernement. Le ministre du Commerce extérieur a rappelé que le secteur meunier congolais dispose d’atouts considérables : une demande interne croissante, une disponibilité de matières premières locales, et un marché sous-régional dynamique.
Avec l’appui du ministère de l’Agriculture, des efforts seront déployés pour accroître la production agricole, renforcer les chaînes d’approvisionnement locales et garantir un accès stable aux intrants. L’objectif : que les farines congolaises dominent les marchés nationaux, non seulement pour des raisons économiques, mais aussi symboliques.
« Soutenir nos producteurs, c’est protéger nos emplois, notre monnaie et notre dignité économique », a insisté Julien Paluku.
Défis structurels et perspectives
Si les indicateurs de production du GMK sont prometteurs, plusieurs défis persistent :
- L’accès à l’énergie demeure irrégulier et coûteux, affectant la continuité de la production.
- Les coûts logistiques internes — du transport des grains à la distribution des produits finis — restent parmi les plus élevés d’Afrique centrale.
- Le contrôle aux frontières doit être renforcé pour éviter la fraude et la contrebande.
- Enfin, la sensibilisation des consommateurs à privilégier les produits nationaux est cruciale pour pérenniser la réforme.
Selon plusieurs observateurs économiques, la mise en œuvre d’une politique cohérente de protection intelligente du marché pourrait permettre à la RDC d’économiser plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année en importations de farines et d’huiles alimentaires.
Une dynamique de redressement industriel en marche
La descente de Julien Paluku au Grand Moulin de Kinshasa illustre une volonté politique claire : transformer la RDC d’un pays importateur à un pays producteur. Cette vision s’inscrit dans le prolongement du Programme de Développement Local à la Base (PDL-145 territoires) et du Plan national de réindustrialisation, qui visent à renforcer les chaînes locales de valeur.
Avec un encadrement approprié, la coordination intersectorielle (Commerce, Agriculture, Industrie, Finances) et une implication accrue du secteur privé, la RDC pourrait, à moyen terme, atteindre un niveau de substitution partielle aux importations alimentaires, tout en stimulant l’emploi et la croissance.
La visite du ministre Julien Paluku au GMK dépasse le simple geste symbolique. Elle marque un tournant stratégique : celui d’un État qui assume son rôle de régulateur, protecteur et catalyseur d’une économie nationale encore vulnérable mais pleine de potentiel.
En redonnant souffle aux industriels locaux, le gouvernement envoie un message clair : la compétitivité nationale ne se négocie plus, elle se construit.
Albert Osako

