Procès Onana à Paris : Carnet des notes de Didier M’buy

Le lundi 7 octobre 2024 s’est ouvert le procès de l’auteur Charles Onana et des éditions du Toucan devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Il et elles sont poursuivi·es pour contestation de crime de génocide après qu’une plainte ait été déposée en 2020 par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et Survie.

La plainte est basée sur les écrits de l’auteur franco-camerounais contenus dans son livre, « Rwanda, la vérité sur l’opération turquoise » (Paris, 2019, éditions du Toucan).

Didier M’buy Mitwo, enseignant du journalisme et journaliste congolais vivant à Kinshasa, séjourne actuellement à Paris où il suit ce procès qui intéresse l’opinion congolaise en ce que l’ouvrage incriminé de Charles Onana réserve une bonne part d’analyse sur le fait que la RDC est une victime du génocide rwandais qui a droit à des réparations.

Congo Guardian reprend, ci-dessous, le riche carnet des comptes-rendus de cet excellent confrère, chevalier de la plume et mangeur de craie.

Sur les 670 pages du livre de Charles Onana (photo), la juge présidente a commencé par restituer dans leur contexte historique les 19 passages incriminés par la partie civile, illustrant, d’après celle-ci, le déni de génocide ou le négationnisme dont l’écrivain franco-camerounais est accusé. Surtout que ce dernier, citant certes 160 fois le mot génocide, mais le reprend par endroits entre guillemets.

Ni intention, ni idée de négation

Invité aussitôt à la barre, Charles Onana s’est empressé de signaler à l’attention du Tribunal qu’il n’a « aucune intention, aucune idée de nier le génocide des Tutsis. » Aussi note-t-il non sans humour que son « livre n’est pas un supermarché dans lequel on entre, on prend certaines choses, on en rejette d’autres! » Il en appelle donc à une relecture intégrale et globale de son ouvrage…

Du coup, Charles Onana entreprend de battre en brèche les accusations de la partie civile. Cet exercice n’est pas alors sans rappeler la soutenance en 2017 de sa thèse de doctorat dont le livre incriminé est en fait l’adaptation.

« Quel est l’intérêt, fait-il remarquer en liminaire, j’ai à nier une affaire qui a eu lieu entre deux communautés, une affaire qui ne me concernait pas? (…) Je ne suis pas Rwandais, ni Tutsi, ni Hutu et encore moins Twa; je n’ai pas d’accointance avec le régime précédent ou actuel au Rwanda! »

Élargir le spectre de compréhension : le FPR en conquête du pouvoir plutôt qu’en sauvetage des tutsis

Plus l’accusé poursuit, plus sa thèse apparaît beaucoup plus clairement devant le Tribunal… « Ma démarche consiste à avoir un spectre de compréhension plus large! »

En analysant les archives de l’Élysée, du Conseil de Sécurité, de la MINUAR, du Département d’État et du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (lequel n’a du reste jamais établi la planification du génocide), il en est arrivé à plusieurs constats. Primo, la stratégie militaire du FPR ne consistait nullement à sauver les Tutsis, mais plutôt à conquérir le pouvoir par la force. « On regarde avec les lunettes du génocide, indique-t-il, au lieu de la conquête du pouvoir par les armes; ce qui prive de saisir ce qui s’est réellement passé au Rwanda.

« Charles Onana démontre que le FPR n’a jamais tenté de sauver les Tutsis contre les massacres ; bien au contraire il a profité de la vague d’émotion suscitée par ces tueries en masse pour avancer sur le terrain. Thèse confirmée d’abord par le colonel Luc Marchal, commandant des troupes de l’opération Turquoise secteur Kigali venu à la rescousse de l’écrivain à la barre comme témoin à décharge.

Ce dernier a même rappelé sa communication téléphonique avec Kagame au cours de laquelle il lui fit voir le danger auquel étaient exposés les Tutsis, partant les populations civiles ! Il eut pour toute réponse de son interlocuteur : « Pour avoir de l’omelette, il faut savoir casser les œufs ! »

Au fait, pour Kagame, indique cet ancien de Kolwezi, « les Tutsis qui sont restés au Rwanda, avaient choisi le camp d’Habyarimana, si ce n’était pas le cas, ils auraient rejoint le FPR ! ».

Marchal ajoute : « Ce qui arriverait aux Tutsis de l’intérieur importait peu s’il pouvait atteindre ses objectifs ! »

Finalité : Faire éclater la vérité

Le colonel Marchal conclut sa déposition en ces termes : « La motivation de Charles Onana n’a pas d’autre finalité que la recherche de la vérité, pour rendre justice aux victimes de l’holocauste des Grands lacs, à toutes les victimes rwandaises et congolaises qu’on essaie de reléguer dans les oubliettes de l’histoire. »

Il y a du coup des applaudissements constipés dans la salle parmi les Congolais, et vite la juge présidente intervient sur le ton du rappel à l’ordre, en soulignant qu’ »il ne s’agit pas d’un spectacle » !

Ensuite, le commandant de l’opération Turquoise, le général Jean-Claude Lafougarde, va venir à son tour témoigner un peu plus tard en faveur de Charles Onana pour rappeler « l’obsession d’une conquête du pouvoir par la violence et par les armes. »

À la question de la défense de savoir si la stratégie militaire du FPR consistait à protéger les Tutsis ou à les exposer, Lafougarde va prêcher pour la seconde hypothèse. « M. Onana a déposé plainte contre Kagame qui le menace de mort, faut-il prendre ces menaces au sérieux ? », demande la défense à l’ancien conseiller de Mitterrand…

Réponse : « Kagame a pour habitude d’assassiner ses opposants à l’étranger ; même moi j’ai déjà reçu des menaces, ma famille aussi… Si ces gens veulent ma peau, ils l’auront certainement, mais ce sera au prix de la leur ! » Les Congolais tentent d’applaudir, mais se retiennent vite…

(À SUIVRE)

Le titre et les intertitres sont de la rédaction

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